Plusieurs cas de suicide ont été enregistrés dans la Tunisie post-révolutionnaire, ce qui montre que la société va mal. Selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Tunisie est classée au 7e rang des pays arabes, avec 2,4 % de suicidés. Même si la situation n'est pas alarmante, elle reste tout de même préoccupante pour un pays où le taux de chômage atteint des proportions inquiétantes. Selon un rapport rendu public par le ministère de l'Intérieur, il y a eu 291 cas d'immolation par le feu rien qu'en 2011 qui résulteraient du chômage, de la misère ou tout simplement de troubles mentaux. Le suicide affecte notamment les jeunes. En voici quelques cas : en 2013, un jeune homme s'est immolé par le feu de manière spectaculaire en plein centre de Tunis, en face du Théâtre municipal et cela devant les passants. A Kairouan, une jeune tunisienne de 23 ans, diplômée en éducation physique, s'est immolée par le feu par désespoir de n'avoir pu décrocher un boulot. Selon sa sœur «elle a décidé de mettre fin à ses jours après avoir perdu tout espoir d'intégrer l'Education nationale ». Ses nombreuses démarches auprès du gouvernorat de Kairouan et du ministère de l'Education ont été traitées avec indifférence. Le suicide touche aussi les jeunes qui ont fait la « révolution » et en sont déçus. Le cas de Karim Alimi, un jeune de 29 ans, suicidé par pendaison chez lui à l'Ariana, le 16 juin 2012. Il avait averti ses amis de son intention, mais ils ne l'avaient pas pris au sérieux. Karim aurait été profondément déprimé par la situation de la Tunisie. Le 2 janvier de la même année, un jeune s'est donné la mort en se jetant dans un puits, à Siliana. Le 13 mars, un homme s'est pendu sous le pont de La Cagna, à Tunis. En mai dernier, c'est un blessé de la Révolution, Hassan Saîdi, qui s'est suicidé, en avalant une grande quantité de cachets de neuroleptiques. Son frère accusera des policiers de l'avoir torturé dans un poste près du ministère de l'Intérieur. Adel Khazri, un jeune de 27 ans, originaire de Jendouba, vendeur de cigarettes à la sauvette; une mère et deux jeunes frères à charge, malade, ne pouvant se soigner sans carte de sécurité sociale, voilà qu'il se fait saisir sa marchandise... après avoir séjourné quelques jours en prison, il se donne la mort. Il existe des tas d'autres cas que le désespoir et la souffrance ont poussés à entreprendre cet acte fatal. Le syndrome Bouazizi Les causes principales de ces suicides sont le chômage. Plus de 700.000 sur une population de plus de 10 millions d'habitants Même si les tendances suicidaires s'expriment de manières très différentes, selon les milieux sociaux, les mentalités, et les principales préoccupations de ces jeunes, l'appel du néant peut se révéler irrésistible dans les cas de grande détresse psychologique ou sociale. Et le passage à l'acte peut prendre les formes les plus diverses. Les enquêtes des spécialistes montrent que différents moyens sont utilisés : pendaison, noyade, ingestion médicamenteuse, prise de toxique, immolation, etc. Certaines caractéristiques constituent des facteurs de risque de suicide comme le chômage, le célibat, le bas niveau socio-économique. D'autres facteurs de risque sont relevés comme la présence d'antécédents familiaux de suicide (10 %), d'antécédents personnels de pathologie somatiques (31 %) et de tentatives de suicide (36 %), la prise de toxique (20 %), un nombre élevé d'épisodes d'hospitalisation : plus 5 fois dans 33 % des cas, une durée moyenne de l'évolution de la maladie de 10 ans, une mal observance thérapeutique dans 84 % des cas et une mauvaise prise en charge familiale et sociale chez 84 % des suicidés. Le profil épidémiologie dégagé est celui d'une population jeune (36 ans, de sexe masculin (81 %), célibataire (65 %), de bas niveau socio-économique. L'expression d'une extrême souffrance Le suicide dénote la présence d'un malaise important, c'est un cri de souffrance, de détresse et d'appel à l'aide. Le suicide intervient comme la seule voie possible lorsque l'horizon apparaît fermé. La tentative de suicide traduit alors l'expression d'un désir d'en finir une fois pour toutes avec un environnement qui reste sourd aux appels de détresse de l'éventuel candidat au suicide. Il s'agit aussi d'une sorte de revanche contre le sentiment d'impuissance pour apporter des solutions à une situation problématique. Plutôt que de changer sa vie, le suicidaire tente de mettre fin à sa vie parce qu'il a une faible estime de soi et se sent indésirable par son entourage. De nombreux signes sont annonciateurs du passage à l'acte. Appels au secours émis à travers des messages verbaux faisant allusion à la mort, préparation pour un départ, arrangements finaux, lettres d'adieu, troubles du sommeil, trouble de l'appétit, incapacité à prendre plaisir à quoi que ce soit, tristesse, pleurs, découragement, irritabilité, comportement agressif à l'endroit des proches, faible estime de soi, perte d'intérêt et de plaisir, recherche de solitude, rupture des contacts avec la famille, les amis, négligence au niveau physique, consommation excessive d'alcool et/ou de drogue et de médicaments. Des comportements irresponsables auxquels l'entourage proche du suicidaire ne peut rien faire. Les candidats au suicide trouvent la vie insupportable et, sans solution pour s'en sortir, recourent, in fine, à l'inéluctable. Il ne s'agit pas pour autant de personnes souffrant de maladie mentale. Elles peuvent être sous le coup d'un trouble émotif passager ou ne voient aucune lueur d'espoir pour se sortir d'une situation difficile Le facteur aggravant est la dépression. Des troubles fonctionnels et non pas imaginaires pourraient apparaître chez ces personnes sujettes à la déprime. Un mauvais fonctionnement du cerveau à l'image d'un moteur qui cafouille parce que mal réglé et cela peut conduire à la folie ou à la mort. Dépasser la détresse par la foi Le suicide est difficile à appréhender, à comprendre, aussi bien par la famille que par le corps médical. Le sujet reste encore tabou. Il est vrai que celui qui veut mourir dérange tout le monde. Vivre avec un dépressif est un véritable calvaire. C'est aussi un calvaire pour le suicidaire de trouver l'aide dont il a besoin car personne ne peut se mettre à la place de celui qui souffre. La pédo-psychiatre Héla Ouenich exhorte les sujets enclins au suicide de lutter contre la solitude surtout affective. « L'éducation spirituelle est de plus en plus considérée comme un facteur de protection à tous les âges. Aux Etats-Unis, par exemple, l'éducation spirituelle fait partie des thèmes d'éducation à la santé. En effet, donner un sens à sa vie, sentir qu'on fait partie du grand courant de l'humanité, œuvrer pour une cause, pour le bien de l'humanité, ne peut qu'aider les uns et les autres à dépasser les moments de désespoir, à être plus constructifs et pourquoi pas à devenir plus forts ». Pour sa part, Othmane Batikh, ex-mufti de la République, est catégorique sur l'interdiction du suicide en Islam. « Le suicide ou la tentative de suicide est un crime et un grave péché (kabira). Il n'y a pas de différence, dans la charia, entre celui qui se donne volontairement la mort, ou celui qui tue autrui. Dieu ordonne à ses sujets de ne pas se donner la mort, car, c'est Dieu seul qui ôte et donne la vie. Se suicider signifie qu'on désespère de la miséricorde de Dieu, qu'on vit un vide spirituel, et une faiblesse de foi ».