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La Tunisie sur un chemin qui ne mène nulle part
Publié dans Leaders le 26 - 09 - 2012


Holzwege :
Un chemin qui ne mène nulle part ! C'est sur pareil chemin qu'est postée aujourd'hui la Tunisie et non à une quelconque croisée de chemins, allant droit dans un mur ou se retrouvant précipitée dans le vide.
Férus de philosophie ou amateurs de Heidegger ont déjà compris ce que je veux dire par ce propos liminaire. Ils savent ce que le philosophe allemand entend par le titre de ce paragraphe, traduit par « Chemins qui ne mènent nulle part », en parlant de sa quête dans le domaine inexploré de la pensée. Dans la postface de son ouvrage éponyme, voici la définition qu'il donne du terme : « Dans la forêt il y a des chemins qui, le plus souvent encombrés de broussailles, s'arrêtent soudain dans le non frayé ».(i)
Penser est donc synonyme d'une marche dans la forêt où les chemins peuvent à n'importe quel moment finir dans l'impasse; mais forestiers et bûcherons connaissent parfaitement ces chemins apparemment impraticables et savent les traverser. On a donc affaire à deux types de personnes : certains qui savent marcher dans de pareils chemins et y avancer et d'autres qui n'ont ni le savoir ni l'expérience de la forêt et n'arrivent nulle part.
La pensée, en l'occurrence politique, est comme cette forêt, à la fois pénétrable et impénétrable, un chemin pouvant être tortueux, périlleux et imprévisible; mais, contrairement aux apparences, il n'est ni clos ni bouclé, et il est à découvrir et à dévoiler.
C'est par la force de l'interprétation que l'on y arrive, une interprétation novatrice, loin du simple geste canonique de méditer, mais pouvant être, en apparence, une action de forçage qu'on ose faire subir à l'être des choses pour le dévoiler ou au texte pour en saisir l'essence que son esprit recèle.
Car si l'on reste ouvert à tout, avec une capacité de comprendre et d'apprendre à toute épreuve de ce que le chemin peut nous livrer de découvertes, de choses ignorées, nous ne ferons qu'avancer sûrement. Et autant ce chemin recèle de choses imprévisibles qui n'expriment pas moins des réalités restées longtemps cachées ou inaperçues, autant pareil dévoilement se fait grandiose, une épiphanie advenant certes par la peine ou dans la douleur, mais augmentant notre apprentissage, fortifiant notre profit.
Ainsi, le chemin n'a d'importance que pour qui connaît la douleur de la quête et qui est véritablement à la recherche de quelque chose ! Et pareil chemin ne mène finalement nulle part que ceux qui n'ont rien à y faire, faute d'intérêt; alors il est fermé pour eux, bouclé non par la nature des choses, mais par leur propre désintéressement.
Que chercher donc sur le chemin de la Tunisie Nouvelle République? Pour qui a la passion du pays au cœur et la volonté de le servir en tête, agir politiquement, parcourir ce chemin revient à avoir la volonté de faire de l'islam politique un islam de progrès, non une angoisse d'un quelconque futur ou une peur de l'autre diabolisé, mais une puissance tout de sérénité, d'ouverture et de tolérance. Une paix spirituelle; ce que l'islam est à l'origine.
Or, il ne suffit pas de le dire, l'affirmer et le marteler même sans agir concrètement pour le faire advenir. En effet, tout comme le chemin forestier n'a de sens que pour ceux qui y cherchent quelque chose et savent la chercher, c'est ce que nous cherchons qui donne valeur et sens à notre chemin par une marche qui ne se fait pas dans les pas de nos ancêtres à l'aveugle, mais qui s'en inspire tout en demeurant une exploration innovante.
Le coup du peuple, Kehre du destin de la Tunisie :
La révolution tunisienne, son coup du peuple, a été son tournant historial, kehre de la philosophie de Heidegger; elle a ouvert la porte à une «méditation de l'histoire de l'Être», une méditation au sens de praxis, de réflexion au jour le jour, sur la métaphysique islamique et qui, comme pour Heidegger revenant au commencement de la philosophie occidentale et aux présocratiques tels Anaximandre et Parménide, ramène les musulmans tunisiens aux origines de l'islam.
Et pareillement à Heidegger réalisant une remise à l'endroit du retournement de la métaphysique occidentale, ce retour aux sources de l'islam est en mesure de permettre une remise à l'ordre de l'éthique islamique, la libérant d'une idiosyncrasie que résume le courant salafi actuel pour une herméneutique islamique authentiquement salafie, parfaitement incarnée par le courant soufi des origines.
Car il ne s'agit rien de moins que de retrouver l'être islamique dans le temps de la postmodernité et de la fin du nihilisme salafiste en redécouvrant l'éminente signification de l'œuvre d'art qu'est l'islam et son texte majeur, le Coran, autorisant un authentique acheminement vers la parole divine véritable.
Ceux qui sont convaincus de pareil défi tunisien savent qu'il y des compétences qui ne sont pas de leur bord mais qui sont prêtes à les aider à réussir, car il y va de l'intérêt suprême du pays; et que, même chez leurs contempteurs les plus virulents, il existe des volontés sincères, certes pouvant être imbues de leur talent, mais demeurant capables de ce sens éminent de l'Etat qui leur fait oublier leur propre personne pour son service.
C'est ce qui fait la Tunisie et qui constitue son originalité; cet attachement moins à une terre, une nation, qu'à un esprit, une façon d'être et de penser. Or, je l'ai souvent répété, cela constitue ce qu'on a qualifié pompeusement de génie tunisien et qui n'est rien d'autre qu'une âme qui palpite, éprise de liberté et d'amour. C'est le sentiment vrai dans sa plus simple expression, ce silence quand il se fait éloquent, cette inertie lorsqu'elle se fait mouvement, ce trait de génie lorsqu'il remplace maints discours, ce geste quand il se fait une geste, chanson épique.
Avec sa révolution, le peuple tunisien a donc mis fin à un âge révolu, l'âge d'airain de la dictature. Avec son vote pour un gouvernement a majorité islamique, il a entendu demander une politique mettant fin à un autre âge, celui de la métaphysique musulmane classique.
En effet, au-delà de toutes les fausses interprétations, le peuple dans sa sagesse ancestrale a jugé le parti de Ghannouchi en mesure de réaliser en Tunisie une assomption de l'islam tolérant et avant-gardiste dans le respect de ses fondamentaux.
En cela, à la manière de Heidegger osant faire la différence capitale entre philosophie et pensée, le Tunisien — agissant en liberté — a estimé les islamistes, auréolés de leurs actes de bravoure contre l'ancien régime, en mesure de mieux réussir la distinction qu'impose notre temps entre croyance cultuelle et foi culturelle.
Son vote, somme toute équilibré, ne donnant pas le pouvoir absolu au parti du Cheikh Ghannouchi, mais l'encadrant de partis résolument modernistes, a mis l'accent sur cette volonté prégnante chez lui de renouer avec une riche philosophie islamique avec une œuvre novatrice ayant réussi d'ériger l'islam en un art, bien moins qu'en une simple technique, sophistiquée certes pendant un temps, mais désormais obsolète — cette œuvre qui a fini par servir la Renaissance occidentale au lieu de maintenir l'essor culturel arabe islamique.
En fait, tout comme avec la pensée de Heidegger, ce que vit la Tunisie actuellement, ce qu'a voulu son Coup du peuple, c'est d'être en phase de questionnement paraissant interminable, mais qui a le mérite d'avoir lieu et de faire avancer notre appréhension des choses, faisant de la question ontologique, toute question, une ouverture de chemin, un horizon nouveau.
C'est que toute réflexion sérieuse, novatrice qui plus est, ne peut se faire ex nihilo; aussi le questionnement ontologique tunisien ne pouvait avoir lieu qu'à partir d'une réflexion sur l'islam, seule réalité tangible enracinée dans l'imaginaire du peuple.
Toutefois, il ne devait surtout pas s'agir d'un islam quelconque avec des recettes précises et connues, les techniques du Fiqh d'antan et que je nomme la tradition musulmane, mais bel et bien d'une véritable science islamique.(ii) Ce nouveau savoir à quêter est une recherche au jour le jour, une interrogation sans a priori, une philosophie comme un amour de la sagesse, notamment dans sa dimension populaire, soit une pensée en action où l'acte est fondamentalement double, à la fois de déconstruction et de construction simultanées.
De la sorte, ce questionnement est une marche qui semble être une déambulation sans but, une dérive, mais qui est bien au fond la réflexion éminente du véritable philosophe en action, accouchant sa propre pensée, se penchant sur son esprit dans une maïeutique grandeur nature, impliquant le peuple dans son entièreté, dans le même temps physique, humaine et spirituelle, psychologique.
Du pretium doloris à l'affectio societatis :
Les hommes du parti au pouvoir, les plus clairvoyants d'entre eux, pour le moins, le savent et l'ont enfin compris; la dernière interview du ministre Dilou le démontre.
On estime désormais que le temps de la réparation de la souffrance endurée durant les années de lutte est passé, que le pretium doloris, ce prix de la douleur, doit laisser maintenant la place à ce qui pourrait être qualifié d'adhésion à un affectio societatis qui serait une empathie plus grande avec ce qui caractérise le peuple dans son écrasante majorité, une volonté d'être conforme dans sa politique à la manière d'être de la société.
Surtout, ils semblent finalement réaliser ce que cheikh Ghannouchi disait pourtant dans l'un de ses ouvrages résumant l'expérience de son parti en Tunisie, à savoir que l'islam tunisien n'est nullement aux couleurs affichées par son parti.(iii)
L'islam du Tunisien est un islam sui generis, de son propre genre, et qui ne peut dans sa singularité se retrouver dans un classement quelconque, une catégorisation connue, déjà répertoriée.
Certes, je l'ai résumé par l'expression d'islam postmoderne, mais ce n'est nullement une définition, une précision de limites (dé-finition), mais plutôt une approche, juste une indication attirant l'attention sur cette spécificité qui nécessite de créer une théorie nouvelle particulière à l'islam tunisien à partir du quotidien de son peuple, de son actuel et son vécu propres, ce à quoi se prête à merveille la sociologie compréhensive du quotidien postmoderne.
De ce quotidien dont l'originalité est attestée et de cet islam dont l'approche est à renouveler, je parlerai dans deux articles qui suivront où je tenterai moins de saisir ce qui pourrait en constituer l'essentiel que d'inviter, à la manière de Rabelais dans la métaphore du prologue de son Gargantua, à « rompre l'os et sucer la substantifique moelle ».(iv) Et cette invitation est d'autant plus pressante que nous relevons de ce présent tunisien qui est un instant bachelardien,(v) de ces instants éternels faisant la véritable histoire des hommes.
Or, nombre de nos compatriotes parmi les analystes se trompent sur l'état de notre pays de la même manière que ceux qui voyaient moins le talent de Rabelais que l'apparence fallacieuse, ignorant sa riche personnalité que résume éloquemment l'académicien jean d'Ormesson : « Polémiste, encyclopédiste, savant, grand voyageur épris de tolérance, moraliste sans morale, éducateur, ivrogne, humaniste camouflant son humanisme sous des torrents d'obscénités, romancier se servant du réalisme au seul bénéfice de l'imagination, linguiste maître du langage et créateur de mots, Rabelais est un précurseur dans tous les domaines et la plus comique de nos énigmes.»(vi)
Le Tunisien, malgré ce qu'on en a vu et ce qu'on en voit, n'est ni un paillard épris de festins orgiaques ni un sanguinaire fou de Dieu, il est certes jouisseur, mais de la vie, il est ivrogne, mais de sa liberté et il est un infatigable érudit sur le chemin qui ne mène nulle part de la réflexion sur soi, sur l'essence de son être.
Aussi, réussir en Tunisie n'est pas impossible tant notre pays est riche de ses femmes et hommes de talent, en mesure d'être de véritables humanistes infatigables dont l'action peut à tout moment se faire acte sincère de confiance dans le Tunisien du peuple, reflétant l'idée de lui imposée par son génial coup. Or, celle-ci dit qu'il est citoyen d'un pays apte à faire de son émancipation politique la libération d'un déterminisme idéologique paralysant où le moteur du progrès est moins le pouvoir étatique que la puissance populaire. Et cette puissance, s'opposant au pouvoir transcendant, est toute tendue vers un but unique éclairé par le meilleur d'une tradition ouverte sur son temps pour une société idéale.
En Tunisie, le peuple cherche consciemment ou inconsciemment une Thélème postmoderne où le « fais ce que voudras » n'est pas l'anomie destructrice, mais l'anarchie constructive selon un but précis à atteindre, celui d'une société idéale où l'islam épiphanise ses richesses et son génie en conformité avec les valeurs universelles de l'humanité en un véritable humanisme de grand format.
Farhat OTHMAN
À suivre :
1) L'ère des sens
2) L'éthique islamique et l'esprit de la démocratie : l'islam en œuvre d'art
NOTES :
i Martin Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part (traduction de Wolfgang Brokmeier), édition de poche, Idées, Gallimard, 1980, postface, p. 89.
ii Je reviendrai sur cette distinction dans le troisième opus de la présente trilogie.
iii راشد الغنوشي، من تجربة الحركة الإسلامية في تونس، دار المجتهد للنشر والتوزيع تونس 2011
iv François Rabelais, Gargantua, Pocket, 2011.
v Voir, par exemple, Gaston Bachelard, L'Intuition de l'instant, Biblio essai, Le livre de poche, 2011.
vi Jean d'Ormesson, Une autre Histoire de la littérature, Tome I, Nil éditions, 1997.


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