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Gadamer vivant
Désir de comprendre
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 06 - 2010


Par le Pr Fathi NGUEZZOU
«L'herméneutique, c'est Gadamer». M. Heidegger
La commémoration du cinquantième anniversaire de la parution de Vérité et méthode (1960)* est un événement de pensée de prime importance. Depuis cette date, l'herméneutique est liée étroitement au nom du philosophe allemand Hans Georg Gadamer (1909-2002), célèbre élève de Natorp, de Husserl, de Hartmann et de Heidegger, auteur d'une série d'ouvrages qui ont marqué la seconde moitié du siècle précédent. Sa pensée s'inscrit dans une longue tradition qui remonte à Schleiermacher et à Dilthey, à l'idéalisme allemand, au néokantisme, ainsi qu'à l'école de la phénoménologie : Husserl et Heidegger. De ce dernier, qui était l'un des premiers à découvrir et à reconnaître le génie du jeune philosophe, Gadamer subit l'influence majeure sur sa démarche conjuguant les ressources phénoménologiques et herméneutiques d'une philosophie du sens, de l'intelligibilité des œuvres de l'esprit, de l'histoire et de la tradition.
Une philosophie de la compréhension : la philosophie, l'art et l'histoire
L'ouvrage, dont la communauté scientifique mondiale célèbre le cinquantième anniversaire de la parution cette année, peut être considéré comme l'opus magnum du philosophe de Heidelberg. Il marque un tournant aussi bien dans le parcours personnel de son auteur que dans le contexte global de la philosophie contemporaine. Vérité et méthode porte ainsi l'indication de son objet dans son sous-titre‑: Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique. Il s'agit, en effet, d'une contribution massive à une discipline particulièrement marquante de la pensée philosophique depuis au moins deux siècles. Située au croisement de la théologie et de la philosophie, des sciences de l'homme (ou de l'esprit selon la tradition allemande) et des sciences juridiques, de l'histoire et du langage, cette discipline incarne une singularité incontournable. Comme le souligne l'intitulé de l'ouvrage, il est explicitement question de l'herméneutique philosophique, c'est-à-dire d'une réflexion sur les phénomènes de la compréhension et de l'interprétation qui se veut au-delà des limites prescrites par la méthodologie des sciences de l'esprit. Le programme du livre est annoncé par son auteur en ces termes : «…Le problème de l'herméneutique outrepasse les limites posées par l'idée de méthode telle que la conçoit la science moderne. La compréhension et l'interprétation des textes ne sont pas seulement affaire de science, mais relèvent bien évidemment de l'expérience générale que l'homme fait du monde» (Vérité et méthode, Introduction).
Cette animosité à l'égard du modèle scientifique de la méthode est caractéristique de la position herméneutique telle qu'elle est conçue par Gadamer. Même si cette conception apparaît comme «dépourvue de légitimation véritable», il n'en reste pas moins qu'elle ne va pas jusqu'à sacrifier toute prétention à la validité et à la rationalité universelles. Le phénomène de la compréhension couvre une sphère qui outrepasse le domaine scientifique et le concept de vérité qui lui correspond. Il doit ainsi résister à toute forme de réduction et de travestissement pour faire valoir «l'expérience de vérité» en sa propre légitimité, au-delà de la sphère strictement scientifique. Vérité ou méthode‑: tel serait le titre approprié de cet ouvrage.
L'expérience philosophique, artistique et historique forme les types fondamentaux de l'expérience de vérité irréductible au seul modèle de la science. Ces types sont à même de véhiculer des sens de la vérité ayant leur dignité et leur légitimité propres. C'est la reprise du questionnement herméneutique qui répond, selon Gadamer, aux conditions de cette légitimité : «l'actualité du phénomène herméneutique consiste, à mes yeux, en ce que seul un approfondissement du phénomène de la compréhension peut fournir une telle légitimation».
Il y a d'abord ce que Gadamer considère comme l'axe fondamental de la réflexion philosophique, à savoir «le poids que possède l'histoire de la philosophie dans l'activité philosophique contemporaine». Notre philosophe s'inscrit dans la tradition allemande où, depuis Schleiermacher et Hegel, l'histoire de la philosophie est une phase fondamentale dans la constitution du système philosophique. Comprendre le passé de la philosophie est, selon sa propre expression, «une expérience de degré supérieur» qui dépasse les exigences objectives de la méthode historique. En effet, cette expérience s'avère décisive pour les contemporains : «Une des expériences les plus élémentaires de la réflexion philosophique est que les classiques de la philosophie, lorsque nous nous efforçons de les comprendre, font valoir d'eux-mêmes une prétention à la vérité que la conscience contemporaine ne saurait ni récuser, ni dépasser». Or, ce constat inévitable révèle un paradoxe incontournable : d'un côté, on ne peut pas se passer de faire le détour par l'héritage philosophique du passé pour penser le présent et pour prendre conscience de l'avènement de la contemporanéité elle-même ; d'un autre côté, ceci constitue «une faiblesse de la philosophie d'aujourd'hui», une naïveté des hommes d'aujourd'hui confrontés à la supériorité présumée de leurs prédécesseurs. En somme, les contemporains sont confrontés à une situation particulière : «Qu'en comprenant les textes de ces grands penseurs on connaisse une vérité inaccessible par d'autres voies, c'est ce qu'il faut bien avouer, au risque de contredire l'étalon de recherche et de progrès auquel d'emblée la science se mesure elle-même».
A côté de cet accès indispensable à l'histoire pour la constitution du problème herméneutique, Gadamer propose une seconde condition pour cette constitution : l'expérience artistique. A l'instar de la science historique, la science de l'art ou esthétique est incapable de «remplacer l'expérience de l'art». Il s'agit, encore une fois, d'une expérience de la vérité inaccessible par les autres voies. Ce que l'auteur de Vérité et méthode met au premier plan, c'est «la signification philosophique de l'art, qui s'affirme en face de toute ratiocination» et qui s'affirme comme épreuve effective des limites de «la conscience scientifique». C'est en ce sens que l'œuvre de 1960 commence «par une critique de la conscience esthétique, pour défendre l'expérience de vérité qui nous est communiquée par l'œuvre d'art contre la théorie esthétique» dans la mesure où cette dernière se laisse restreindre par le concept scientifique de la vérité. Outre la quête d'une vérité propre à l'expérience de l'art, il s'agit d'un concept de vérité et de connaissance qui correspond au projet herméneutique et qui diffère par là même du concept méthodique et scientifique de la vérité. Cette épreuve singulière de la vérité et de la connaissance, irréductible au modèle positiviste de la science, trouve son écho dans ce que la tradition allemande appelle sciences de l'esprit : un ensemble de disciplines qui s'intéressent au différentes sphères de l'existence humaine comme existence historique et culturelle. Dans ces sciences, confirme Gadamer, «notre tradition historique sous toutes ses formes devient elle aussi objet d'investigation, ce qui n'empêche pas qu'en même temps elle vienne s'y dire dans sa vérité». Ce qui importe ce n'est pas la vérité ou la non-vérité de cette tradition historiquement vérifiable, mais l'expérience singulière de la transmission historique du passé et la participation avec la vérité communiquée par elle.
De l'art à l'histoire, tel est le chemin qui s'ouvre avec la percée philosophique en vue d'un accès approprié au phénomène herméneutique : «L'important est qu'on y discerne une expérience de vérité qui non seulement exige une justification d'ordre philosophique, mais qui est une forme de l'activité philosophique». Le temps où l'herméneutique était une simple technique auxiliaire est révolu ; elle doit être conçue désormais comme faisant corps avec la philosophie elle-même, unifiant, du même coup, méthode et contenu. C'est l'activité philosophique elle-même qui devient herméneutique, travail d'interprétation et de compréhension. Conséquence : l'herméneutique n'est pas une méthodologie des sciences de l'esprit, mais une réflexion sur ce que ces sciences sont en vérité et sur ce qui rattache ces sciences à notre expérience du monde. Autre conséquence : la compréhension change de statut. L'herméneutique n'est plus une «technologie de la compréhension», c'est-à-dire une science formelle des règles et des lois de la compréhension comme c'était le cas dans les sciences philologiques et théologiques. A l'encontre de l'acception formaliste et technique de la compréhension, Gadamer développe une conception plus profonde de l'activité herméneutique : dans toute compréhension, il y a un avènement, une sorte d'historicité originaire qui travaille notre rapport au monde en sa totalité.
L'actualité du problème herméneutique ou le retour d'Hermès
L'ensemble de ces préparatifs constitue, à coup sûr, les conditions d'un accès approprié au problème herméneutique tel qu'il est formulé par Vérité et méthode. L'aspect patient et austère de ce projet confère à son auteur une notoriété mondialement reconnue jusqu'à nos jours. Certes, ce n'est pas un projet qui contredit l'essor scientifique de la pensée humaine ni ses performances remarquables. Seulement, c'est une pensée incompatible avec l'extrême rapidité des changements de notre époque, sensible à «la force de ce qui reste dans son état ancien», à «la présence cachée de ce qui se perpétue»…
Une conscience surexcitée par les changements s'accorde mal avec l'esprit herméneutique. C'est un esprit patient, à l'écoute des origines, en perpétuel dialogue avec soi et avec les autres. Il ne sacrifie ni la «tradition historique» ni «l'ordre naturel de la vie». C'est un véritable programme où l'homme est réconcilié avec soi, avec les autres et avec le monde : «Non seulement le fait que la tradition historique et l'ordre naturel de la vie constituent l'unité du monde dans lequel nous vivons en tant qu'êtres humains, mais la manière dont nous faisons l'expérience les uns des autres, celle des traditions historiques, celle des données naturelles de notre existence et de notre monde, tout cela forme un univers véritablement herméneutique, où nous ne sommes pas enfermés comme dans des limites infranchissables, mais auquel nous sommes ouverts».
Certes, cette cohésion intime des deux ordres qui régissent toute vie humaine, l'histoire et la nature, est au fond de l'intuition gadamérienne de la continuité qui est la source de la dimension herméneutique. Une continuité entre l'ordre naturel de la vie d'un côté et l'existence historique de l'autre ; mais surtout une continuité qui motive cette existence dans la mesure où elle revêt la forme d'une tradition vivante. Ce respect de la tradition est une caractéristique essentielle de l'herméneutique de Gadamer : la compréhension et l'interprétation ne sont pas de simples constructions conceptuelles, «mais prolongent un devenir historique qui provient d'un lointain passé».
Ce réenchaînement avec la tradition historique est le vœu majeur de la philosophie de Gadamer. Cela n'a rien d'une nostalgie ou d'un passéisme anachronique. Au contraire, la réactivation de l'élan herméneutique de la raison ne signifie rien d'autre qu'une lutte contre la distance historique qui sépare l'époque présente de ses origines. L'époque de l'herméneutique est l'époque de la continuité et de la communication, des croisements et des carrefours, des chemins et des détours : retour d'Hermès.
(ENS - Tunis)
* Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique, traduction partielle par E. Sacre, Paris, Seuil, 1976 ; traduction intégrale par P. Fruchon, J. Grondin et G. Merlio, Paris, Ed. du Seuil, 1996.


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