Très tôt Moncef Souissi s'était entiché du jeu de théâtre, il le tenait de son père Ezzeddine Souissi, qui fut acteur. A peine âgé d'une douzaine d'années il partagea l'affiche avec les grands noms du théâtre de l'époque, milieu des années cinquante dans un mélodrame intitulé ‘Les Deux orphelins' avec comme partenaires Mohamed Abdelaziz Agrébi qui en fut le metteur en scène, Mouna Noureddine, Abdelhafidh Samaloussi, grand comédien s'il en fut, totalement, mais injustement oublié. Ezzeddine Souissi était l'un des fondateurs de la Troupe Municipale de Tunis, mais aussi résistant à l'occupation française, les armes à la main. Il avait dû subir les affres des geôles françaises. C'est à cette époque que j'avais fait la connaissance de Moncef. Nous étions camarades de classe à l'école primaire de la rue Ouerghi à Bab Souika, et déjà il se faisait remarquer par des audaces et quelques outrances enfantines, nous admirions, cependant son côté volontaire et drôlement bravache ; nous avions alors, comme camarade de classe, l'excellent peintre que fut Habib Bouabana. A peine diplômé de l'Ecole d'Art Dramatique dirigé, alors, par Hassen Zmerli et après un stage auprès de Gabriel Monet et un autre auprès de Roger Planchon, Souissi rejoignit la ville du Kef pour y fonder la première compagnie théâtrale régionale d'importance, en quoi il fut le pionnier de la décentralisation dans notre pays. Il avait aidé à l'émergence de la troupe de Gafsa, de Kairouan et de Sfax me semble-t-il. Après un passage de deux saisons à la tête de la Troupe de la Ville de Tunis il s'en alla au Koweït pour y lancer une aventure théâtrale d'envergure qui allait rayonner dans les pays du golfe arabique. De retour en Tunisie il fonda le Théâtre National et, dans la foulée les journées théâtrales de Carthage avec l'intelligent soutien de Béchir Ben Slama un de nos très rares bons ministres de la culture s'il en fut. Son éviction du théâtre National fut très mal vécu par Moncef Souissi, surtout que par la suite le dit Théâtre n'avait vraiment pas beaucoup gagné au change, s'enfermant dans une forme d'élitisme de mauvais aloi, optant pour la discrétion, cantonnant ses activités dans un périmètre réduit de la capitale ou presque. Mais Souissi ne pouvait pas rester inactif surtout que, malgré l'adversité son engagement et sa passion pour son métier sont demeurés intacts, il fonda une compagnie théâtrale ‘Souissi Founoun' tout en poursuivant ses activités de metteur en scène dans les pays du Golfe. Pour avoir un outil de travail à sa disposition il n'hésita pas à rénover et à équiper de ses propres deniers,(une bien forte somme s'élevant à quelques dizaines de milliers de dinars), une salle appartenant à l'ancien parti socialiste destourien et mise à sa disposition, ce fut l'occasion de nos retrouvailles .A l'époque moi-même quittant mes fonctions à la Ville de Tunis je m'étais retrouvé sans outil de travail, assez désorienté je dois dire. Quoique entre temps j'avais pu mettre en scène Ibn Khaldoun pièce de Ezzeddine Madani, dans le cadre de la Troupe de la Ville de Tunis, suite à l'amicale invitation de Mouna Noureddine directrice de la dite troupe ; ce fut l'occasion pour moi d'offrir un des rôles principaux à Moncef ,il s'en était magistralement acquitté et ce fut le départ d'une fructueuse collaboration puisque profitant de la salle qu'il vient d'équiper j'avais pu réaliser avec sa complicité active une autre pièce de Ezzeddine Madani ‘Ibn Rochd' et même si son interprétation du personnage fut sujette à débat car nous n'étions pas dans un rapport de complaisance l'un envers l'autre, ils nous était même arrivé de nous écharper durement sans jamais arriver à la rupture, car nous étions toujours guidés par la sincérité d'une amitié fraternelle qui nous avait toujours évité l'irréparable..Par la suite, j'avais pu enchaîner une nouvelle création absolument passionnante intitulé ‘qu'a-t-on à voir avec Shakespeare ? Sur une idée dramaturgique de Moncef et où il tenait un des rôles principaux et ce fut une de nos plus belles réussites. Se sachant condamner mais littéralement subjugué par « Drama » une pièce originale de Mohamed Moncef Ben Mrad, il voulait en faire son travail théâtral testamentaire et tenait à m'associer à la mise en scène tout en me proposant de jouer un des rôles. Le sort en a voulu autrement. Moncef était un interlocuteur de travail, un partenaire de travail exigeant. Il ne s'embarrassait pas de précautions, se méfiait de trop de nuances. Il aimait à tonitruer, à « tonitruer contre». Ses colères à la télévision étaient devenues une marque déposée. Ses enthousiasmes étaient à la mesure de ses fureurs. Il voulait ardemment, voir réformer le dit « fonds d'aide à la création ».Il enrageait de voir les festivals d'été surtout les principaux se muer en foires à la variété alors que le théâtre en fut le pivot pendant les années glorieuses. Homme généreux, plein d'humour, je peux témoigner qu'il était la passion même du théâtre. Passion jubilante, excessive, coléreuse mais douloureuse, quelquefois méchante mais jamais haineuse ou méprisante. La mort est scandaleuse, comme toujours ! Cette fois-ci elle nous ravit l'un des meilleurs d'entre nous. Il nous manquera, il nous manque déjà.