Unique arbre encore debout dans la forêt dévastée du « Printemps arabe », la Tunisie occupe le triste rang de premier pays «exportateur» de terroristes vers les zones de conflits. Un rapport publié récemment par l'Institut américain spécialisé dans le renseignement Soufan Group a révélé que les Tunisiens constituent le plus gros contingent de l'organisation terroriste l'Etat Islamique (Daech), avec plus de 6000 éléments. Une autre étude publiée en juillet 2015 par l'Organisation des Nations Unies (ONU) a fait ressortir que le phénomène du départ des terroristes vers les zones de conflits a pris des proportions inquiétantes depuis la révolution qui a balayé le régime de Ben Ali. En effet, l'ONU a dénombré 4.000 terroristes tunisiens en Syrie, entre 1000 et 1500 en Libye, 200 en Irak, 60 au Mali et 50 au Yémen. Le nombre des Tunisiens qui ont rejoint les zones de combat en Syrie, en Irak et en Libye aurait pu être beaucoup plus élevé si les autorités tunisiennes n'ont pas empêché quelques 13.000 Tunisiens de partir grossir les rangs des terroristes à l'étranger, selon les statistiques du ministère de l'Intérieur. La nébuleuse terroriste l'Etat islamique est cependant depuis quelques semaines à la peine dans tous ses bastions. En Syrie, ses hommes armés ont essuyé un sérieux revers à Alep qui a été officiellement reprise par les forces loyalistes. En Irak, l'armée locale, appuyée par la coalition internationale, a contraint les fondamentalismes à céder le contrôle de plusieurs villes dont Tikrit, Sinjar et Ramadi. En Libye, les extrémistes de Daech ont été chassés de Syrte et perdent de plus en plus de leur mordant. L'instinct de survie poussera ces terroristes à fuir vers des lieux moins dangereux, mais lorsque l'étau se resserrera davantage, ils n'auront d'autres choix que de regagner leurs pays d'origine. Dans le cas de la Tunisie, ce retour à l'expéditeur comme on l'appelle dans le jargon postal, inquiète au plus haut niveau la population et les autorités 800 terroristes déjà parmi nous D'après les données dévoilées le vendredi 24 décembre par le ministre de l'Intérieur, Hédi Mejdoub, lors d'une séance plénière tenue à l'Assemblée des représentants du peuple, quelque 800 terroristes sont déjà revenus des zones de conflit. Un grand vide juridique existe cependant dans le domaine du suivi et de réinsertion de ces «revenants». S'il est vrai que la loi organique n° 2014-9 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d'argent promulguée en août 2015 a facilité les procédures de surveillance administrative, il n'en demeure pas moins que ce texte ne prévoit aucune mesure de réhabilitation et de réintégration. Dans ce cadre, les experts préconisent de faire le tri dans les rangs de ces terroristes. «Les autorités doivent mettre en œuvre une opération de tri sélectif des revenants pour identifier les vrais criminels et les juger et pour entamer un processus de dé-radicalisation pouvant aider à réinsérer une partie de ces hommes dans la société»,suggère Mohamed Nafti, général à la retraite et ancien inspecteur général des Forces Armées. «Les pays qui combattent le terrorisme, et plus précisément ceux qui traquent les terroristes de Daech, offriront volontiers toutes les informations sur les revenants pour aider nos agents de sécurité et nos magistrats à identifier les criminels et les juger», ajoute-t-il. Diplômé de l'Ecole de guerre d'Italie et ancien commandant du régiment des forces spéciales, M. Nafti estime qu'un processus de dé-radicalisation doit cibler ceux d'entre eux dont on pourra démontrer qu'ils n'ont pas commis des crimes. «Un programme de prévention de dé-radicalisation, initié depuis une décennie au Danemark, a donné de très bons résultats. Ce travail de prévention est effectué dans un centre situé dans la ville d'Aarhus. En Allemagne, l'Ong Hayat, fondée en 2011, œuvre pour arrêter et inverser le processus de radicalisation en retissant le lien familial des éléments radicalisés puis en leur fournissant un soutien médical et psychologique... Il serait utile de suivre l'exemple de ces deux pays et fonder un centre de dé-radicalisation pour accueillir nos apprentis terroristes et, pour ainsi dire, les réparer», a-t-il fait remarquer. Lutter contre la détresse psychologique et sociale Même son de cloche chez Alaya Allani, professeur d'histoire contemporaine à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba et spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb: «Il est plus que jamais temps de tenir un congrès national sur la lutte contre le terrorisme en vue d'adopter une approche globale visant à circonscrire ce fléau. Outre l'aspect purement judicaire, cette stratégie devrait notamment prévoir le dialogue avec les terroristes en vue d'amener une partie d'entre eux à renoncer à leurs idées destructrices, l'amélioration de la situation économique des jeunes démunis auxquels les organisations extrémistes offrent des sommes d'argent mirobolantes, la réforme de l'Education et le développement des régions défavorisées». L'anthropologue Mondher Kilani estime, quant à lui, que la lutte contre la précarité sociale et psychologique constitue la pierre angulaire de tout processus de prévention ou de lutte contre la radicalisation. «L'adhésion au terrorisme résulte de trajectoires où la détresse psychologique et sociale est prégnante. En Tunisie, les problèmes sociaux (chômage, marginalisation, précarité économique, frustration) n'ont pas disparu comme par enchantement après la révolution. Certes, tous ces profils n'aboutissent pas à cet engagement puisque beaucoup de jeunes tentent par exemple l'émigration clandestine vers l'Europe pour changer de vie, mais la rencontre de certains d'entre eux avec l'idéologie du salafiste djihadiste s'avère décisive», souligne-t-il. Et d'ajouter : «Le profil social des terroristes correspond souvent aux déclassés, aux déçus dans leur aspiration sociale, en quête d'une identité ou d'une reconnaissance, indépendamment de leur degré d'instruction. Les mouvements radicaux, qui disposent de moyens considérables, représentent un attrait non négligeable pour ces jeunes. Ils leur offrent des ressources matérielles mais aussi une forme de revanche sur la société qui les a délaissés, ignorés ou méprisés. Ils leur proposent également l'aventure, la puissance, le pouvoir sur la vie et sur la mort, la publicité et in fine la promesse du paradis».