Les informations alarmantes provenant d'Irak sur les avancées éclairs de ce mouvement radical en occupant de larges territoires sur le sol irakien inquiètent plus d'un. On situe leur présence à près de 600 km de nos frontières. Leur affinité idéologique avec Ansar Chariaâ n'est pas à démontrer. De nombreux jeunes tunisiens ont quitté le pays pour rejoindre le Jihad en Syrie. Leur nombre est estimé à 2900 dont près de 80% ont intégré l'organisation terroriste l'Etat islamiquede l'Irak et du Levant (Daech). Peut-on nous attendre au pire? Quelles seraient les retombées sur la Tunisie ? Comment anticiper ? Que faire ? Serait-on porté à prédire un Ramadan embrasé ? Néji Jelloul, universitaire spécialiste des mouvements islamistes, estime que la situation est très confuse. La déclaration de Lotfi Ben Jeddou affirmant que 80% des Jihadistes tunisiens sont avec Daech est très inquiétante. Notre universitaire affirme au Temps : « Cette organisation est presque à la frontière du pays. Elle est présente en Libye. Qui dit Libye dit Tunisie. D'une façon ou d'une autre, les Jihadistes de Daech vont revenir en Tunisie. Malheureusement, nous n'avons pas commencé à lutter réellement contre le terrorisme. En Tunisie la structure terroriste estlà. J'ai peur qu'ils ne commencent à agir au mois de Ramadan, qu'ils ne perturbent les élections. On n'en parle pas assez. Ils sont des milliers bien armés et entrainés ». Que faire devant ce danger ? Néji Jelloul pense qu'il faut commencer par assurer les moyens pour lutter contre ce danger, avec plus de logistique consentie à la police et à l'armée. Tout en étant persuadé que cette guerre sera gagnée par les Tunisiens, « toutefois son coût sera très lourd. A chaque jour qui passe, de nouveaux jihadistes surgissent. Il y a une politique sociale à revoir ainsi que les discours religieux enflammés dans les mosquées, sans oublier les associations caritatives qui exploitent la précarité sociale pour recruter des jihadistes. Les jeunes vivent dans le désespoir et le désœuvrement. Pendant l'été qu'est-ce qu'ils vont faire ? La solution sécuritaire est une urgence, mais il faut aller aux sources. Les ingrédients du terrorisme existaient depuis Ben Ali. Mais jusqu' aujourd'hui nous n'avons pas commencé la lutte réelle et structurée contre le terrorisme. Le phénomène s'amplifie de jour en jour. Les filières de recrutement des Jihadistes s'activent toujours. Il faut agir et châtier rigoureusement. Qui est en train de faire sortir nos jeunes ? J'ai l'impression qu'il faut faire le ménage dans le ministère de l'Intérieur. Il n'y a pas de complaisance, mais un manque de professionnalisme. Avec 80% des Jihadistes tunisiens au sein de Daech, il y a de quoi s'inquiéter. J'ai l'impression qu'il y a un certain relâchement, alors que le danger est là ». Aleya Allani, universitaire et spécialiste de ces mouvements, vient de rentrer de Jordanie où il a participé à un congrès international sur les mouvements radicaux dans le monde arabe y compris Daech. Il estime qu'il y a des nuances à faire entre Daech en Irak et son homologue en Afrique du Nord. Il affirme dans une déclaration au Temps : « Daech est une organisation jihadiste qui a enrôlé des éléments de nationalités différentes, arabes, islamiques de la Tchetcheni, de la France, l'Allemagne, l'Angleterre, la Canada...En 2004 Abou Mosaeb Zarkaoui a créé le groupe Tawhid Et Jihad qui s'est transformé en 2006 en l'Etat de l'Irak Islamique sous la direction de Abdallah Rachid Al-Baghdadi. Après la mort de Zarkaoui qui est encore plus radical qu'Al-Qaïda , en 2006, Aboub Hamza Al-Mouhajer a été élu à la tête de l'organisation. A la fin de 2006, a été constitué l'Etat de l'Irak islamique sous la direction d'Abou Amr Al-Baghdai assassiné le 19 avril 2010. Il a été remplacé par l'Emir actuel par Abou Baker Baghdadi qui le 9 avril 2011, après le printemps arabe a annoncé dans un enregistrement audio, que Jebhat Ennosra de Syrie était un prolongement de l'Etat d'Irak islamique, chose rejetée par la Jabha. Deux organisations cohabitent, Jabhet Ennosra et l'Etat de l'Irak et du Levant connu sous le nom de Daech. Le nombre des jihadistes en Syrie s'élève à 6000 et à 5000 en Irak. La majorité des combattants de Daech sont des Irakiens, de la Tchetchenie, de l'Afghanistan, et d'autres nationalités arabes. Un récent rapport américain parle de 3000 Tunisiens, 1500 Marocains et entre 300 et 400 Algériens engagés en Syrie. Pourquoi les Tunisiens sont-ils si nombreux, Est-ce le résultat de stratégie sécuritaire tunisienne erronée ? Est-ce la complicité de lobbys intérieurs ? En plus ces jeunes proviennent principalement du Nord-Ouest, Centre-Ouest et du Sud avec quelques dizaines des villes du Nord comme Bizerte. Ce sont des régions qui manquent de développement économique, de services étatiques, avec un taux de chômage élevé...En plus, la conjoncture sécuritaire et politique de la Tunisie pendant deux ans et demi a favorisé cette émigration vers la Syrie, avec la fragilité sécuritaire qui a permis l'entrée des armes incontrôlées. Les mosquées incontrôlées ont permis aux jihadistes de procéder au lavage de cerveaux. Un autre facteur : l'absence d'une stratégie religieuse sur le plan du discours, sans oublier les dizaines d'associations caritatives et de prêche qui travaillent sur ce créneau : la formation des jihadistes à l'intérieur et à l'extérieur. Tous ces facteurs expliquent pourquoi le nombre des Tunisiens est le plus élevé parmi les Nord Africains. La déclaration du ministre de l'Intérieur selon laquelle 8000 jeunes ont été empêchés d'aller vers la Syrie prouve qu'un Tunisen sur mille est acquis au Jihad. Il faut tirer la sonnette d'alarme et trouver une méthode pour arrêter ce fléau. Tant qu'il n'y a pas une amélioration sur le plan socio-économique et tant qu'il n'y a pas des institutions stables, ce fléau de terrorisme menacera toujours la stabilité du pays. Il est urgent de concevoir un plan pour l'accueil des Jihadistes de retour ».