Une des questions que le commun des citoyens se pose, légitimement d'ailleurs et avec insistance depuis quelque temps, est la suivante : qui gouverne réellement, actuellement, en Tunisie ? Il faut dire que du sur-pouvoir d'Ennahdha au cours des deux années de gouvernement de la Troïka, on est passé au sous-pouvoir de Nida Tounès. Pourtant, accusé de tout rafler et d'exercer le pouvoir d'une manière unilatérale (taghaouel) avec une mainmise sur les trois présidences, de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), du gouvernement et de la République. Cette question était posée dès le lendemain du scrutin législatif et présidentiel de fin 2014 avec les tractations ayant mené au consensus au sein de l'ARP, puis lors de la formation du gouvernement dont la première mouture était vouée à l'échec à cause de l'opposition d'Ennahdha. Les clivages sont allés crescendo au fil du temps et se sont aggravés suite à la scission de Nidaa ayant entraîné un affaiblissement manifeste du gouvernement d'Habib Essid. Et la redistribution des portefeuilles au gouvernement dit d'union nationale n'a fait que confirmer cette tendance de gestion effective des affaires du pays, dans une grande proportion, par Ennahdha. Il faut dire que Béji Caïd Essebsi, qui a axé toute sa campagne électorale sur son projet sociétal et sur la bipolarisation, à savoir « si ce n'est pas moi et Nidaa, ce sera Ennahdha », a changé progressivement de démarche au fur et à mesure que les temps avancent, arguant du fait que ce sont les urnes qui en ont voulu ainsi. Puis il a fini par se mettre sous la coupe du parti islamiste et par obéir aux desiderata de ce mouvement qui, faut-il le reconnaître, est devenu le premier parti au sein du Parlement. Avec le gouvernement d'union nationale groupant, au départ, près de six partis de coalition, la Tunisie est passée du « pluralisme de type autoritaire sous Ben Ali » au pluralisme de type anarchique. Un pluralisme sans qu'aucune autorité ne parvienne à se placer au-dessus de la mêlée. Pire, il y a trop d'autorités effectives, et même puissantes, visibles ou invisibles, légales ou occultes. Et pourtant le pays n'est plus en période transitoire puisque le pouvoir actuel est censé être issu d'élections définitives, démocratiques et libres. Qui gouverne alors à défaut d'une autorité reconnue, visible et incontestée ? En fait, les choses sont loin d'être aussi simples. Le Président Béji Caïd Essebsi ne semble pas avoir trouvé une formule de régime politique à sa mesure ou convenant à sa stature politique. Mais en homme réaliste et pragmatique, il s'arrange comme il peut en essayant de le façonner le pouvoir à sa mesure. Et il y a presque réussi. Ayant toujours l'esprit dominateur et patriarcal, il continue à s'impliquer dans l'action gouvernementale en recevant régulièrement, voire hebdomadairement, le chef du gouvernement pour des entretiens qui s'achèvent par des communiqués laconique parlant « d'examen de la situation générale dans le pays » ! Pour sa part, Youssef Chahed, chef du gouvernement d'union nationale essaie d'asseoir, tant bien que mal, son autorité, mais les tiraillements sont tels qu'il ne parvient pas contenter tout le monde pour se placer au dessus de l'autre mêlée. Et si on ajoute la pression qu'il exerce sur le clan de Hafedh Caïd Essebsi chez Nidaa, une pression qui le tente d'ailleurs, on comprend mieux la dispersion de son esprit et son dilemme dont il ne parvient pas à s'en sortir dans la mesure où il aurait bien aimé, dans d'autres circonstances du parti, prendre la tête de Nidaa Tounès. Et si au Bardo, aucun bloc ne peut se targuer d'avoir une influence déterminante, à Montplaisir, on continue à faire la pluie et le beau temps notamment avec la diplomatie parallèle ou « populaire » comme veut bien l'appeler Rached Ghannouchi qui, plus que jamais, parle au nom de la Tunisie. Plus encore, un des dirigeants d'Ennahdha n'a pas hésité dernièrement à clamer haut et fort qu'il n'y a pas de remaniement ministériel en vue, se mettant ainsi à la place du locataire du Palais de La Kasbah. En tout état de cause, la crédibilité de la parole officielle semble bel et bien entamée et elle est tous les jours mise à mal. En effet, plus personne ne sait qui détient le pouvoir dans ce pays. A Carthage? A la Kasbah? A Montplaisir? Au Bardo? A l'hôtel Concorde aux Berges du Lac de Tunis? A la Soukra? Ailleurs... La liste est longue... La situation est tellement burlesque au point de faire dire à certains observateurs à juste titre d'ailleurs, que tout le monde détient le pouvoir, mais, en réalité, personne ne détient le pouvoir.