Le gouvernement d'union nationale présidé par Youssef Chahed commence à prendre ses marques, à peine une douzaine de jours après la passation officielle des pouvoirs entre les deux cabinets, celui sortant d'Habib Essid et celui nouveau émanant de l'initiative du président de la République. Bien entendu, il est encore trop tôt de se prononcer sur le rendement des divers départements ministériels, même si l'approche et la méthodologie suivies par le nouveau chef du gouvernement sont jugées, par la majorité des experts, comme étant positives et efficaces jusque-là. Il est clair, par ailleurs, que le premier point sur lequel l'équipe gouvernementale aura des comptes à rendre est celui de la déclaration des biens pour chaque membre, dans la mesure où Youssef Chahed s'est donné pour cela un délai relativement court de 15 jours seulement, sachant que l'annonce des membres ayant procédé à cette déclaration commence à voir le jour. On citera, entre autres, Samir Bettaïeb ministre de l'Agriculture et Mabrouk Kourchid, secrétaire d'Etat chargé des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières. C'est dire qu'une attente marquée par la vigilance est de mise sur cette question pour mesurer, du moins symboliquement, le degré de crédibilité de ce cabinet Hormis les difficultés – et elles sont de taille – ayant accompagné le démarrage du gouvernement d'union nationale, il y a lieu de constater qu'il y a eu des retombées importantes sur les diverses formations politiques, ce qui laisse présager un remodelage du paysage partisan. A tout seigneur, tout honneur, on commencera par Nidaa Tounès qui est sorti de l'épreuve des tractations pour la formation du nouveau cabinet gouvernemental encore plus affaibli puisque l'on y recense, désormais, deux grands clans. Celui du directeur du Bureau exécutif et homme fort, pour ne pas dire carrément et théoriquement, « number One » du parti, Hafedh Caïd Essebsi. De l'autre côté, il y a le clan du chef du bloc parlementaire de Nidaa à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), Sofiène Toubel. Et pourtant, les deux hommes étaient, il n'y a pas si longtemps, de sérieux alliés pour « virer » Ridha Belhaj et Fadhel Omrane. De là à voir la main de Nidaïstes dans les deux coups reçus par, justement M. Toubel et la députée Sabrine Goubantini, il n'y a qu'un pas que certains milieux proches de ce parti n'ont pas hésité à franchir. D'où les affirmations de certains que le parti est carrément scindé en deux. La meilleure preuve de cette scission de facto, ayant été donnée lors de la signature par quarante députés proches du chef du bloc, en faveur de Saïd El Aïd afin de le maintenir en poste de ministre de la Santé, alors que le clan de Caïd Essebsi junior se prononçait publiquement contre lui. Ensuite, il y a le parti d'Ennahdha qui a démontré, mais à un degré beaucoup moindre, des signes de fissures qui étaient clairs lors des réunions tenues pour entériner les proposions et les noms avancés par le parti islamiste à Youssef Chahed à un point tel que Imed Hammami n'est passé que grâce à une seule voix de plus. Pis encore, au lendemain de la formation du gouvernement, Abdelfattah Mourou a pris son président Rached Ghannouchi à contre pied à propos de l'octroi d'un pourcentage des richesses du Bassin minier aux habitants de Gafsa, sans oublier les différends quant à l'acceptation ou non du quota réservé à Ennahdha au sein du gouvernement. D'ailleurs, les analystes sont persuadés que n'eut été le poids avec lequel pèse, Rached Ghannouchi, pour trancher les litiges, la situation aurait été toute autre au sein du parti islamiste passé, jusqu'à tout récemment, comme étant le plus discipliné. Certaines mauvaises voix allant jusqu'à émettre des points d'interrogation si Rached Ghannouchi venait à céder son poste de leader de ce parti. Quant au parti de Machrou3 Tounès de Mohsen Marzouk, il semble être l'un des grands bénéficiaires de cette initiative pour un gouvernement d'union nationale, dans le sens où il a su rester au-dessus de la mêlée, une gageure très difficile à réaliser tout en sachant préserver son bloc d'Al Horra au sein de l'ARP, gardant son statut de troisième force politique au sein de l'Assemblée. A cela s'ajoute la réussite, tout en usant de la manière douce, à placer Ghazi Jeribi au sein de l'équipe, à contribuer à l'entrée de Samir Bettaïeb dans le cabinet et, surtout, à barrer la route à Abdelaziz El Kotti de faire son apparition au sein du gouvernement malgré le soutien inconditionnel dont il disposait auprès de HCE. D'autre part, on signalera le net recul d'Afek Tounès qui se retrouve plus effacé que jamais dans un paysage où il n'a plus le rayonnement qui était le sien au lendemain des élections législatives d'octobre 2014. La situation est pire pour l'Union patriotique libre (UPL) de Slim Riahi qui a perdu sur les deux fronts dans la mesure où il s'est retrouvé out du staff gouvernemental et avec un effectif réduit des membres du parti parmi les élus de l'ARP. Certains allant jusqu'à prédire son effondrement d'ici le prochain rendez-vous électoral. La grande surprise est venue, toutefois, du Front Populaire, réputé pour être l'un des partis les plus soudés et les plus disciplinés, mais la manœuvre de Youssef Chahed en faisant appel à Mongi Rahoui a eu son effet, puisque, comme nous l'avions prévu, même s'il n'est pas entré au gouvernement, M. Rahoui a fini par créer une fissure de taille au sein d'Al Jabha et qui sera difficile, voire impossible à colmater dans les sens où ce même Mongi Rahoui et l'emblématique Hamma Hammami se « chamaillent » à couteaux tirés via plateaux radiotélévisés interposés. Pour les autres petits partis comme Al Harak de Marzouki et Daïmi ou le CPR de Samir Ben Amor ou encore Attayar de Mohamed Abbou et son épouse Samia, ils continuent à faire beaucoup de bruit, mais certains disent qu'il faudra compter avec eux lors des prochaines échéances électorales. Or, et selon les données disponibles, seul le parti Ennahdha continue à entreprendre un grand abattage sur le terrain en vue du prochain scrutin municipal. En effet, le parti islamiste aurait bien aimé que le déroulement de cette élection ait lieu dans les plus brefs délais, car il sent qu'il est le mieux préparé face à des formations en débandade, ce qui lui rappelle l'ambiance d'avant les élections de 2011 pour l'Assemblée nationale constituante (ANC) et qu'il avait remportées haut la main avec 90 sièges. En tout état de cause, les observateurs s'attendent, d'ici les municipales, qui n'auront pas lieu avant une autre année, à des mouvements au sein de la plupart des partis politiques sans oublier les éventuels et inévitables « coups bas » dans un sens comme dans un autre, ce qui aboutirait à de nouvelles distributions des cartes.