La tempête engendrée par le remaniement ministériel partiel et restreint aura été finalement plus bénéfique que prévu pour mettre les Tunisiens de la masse silencieuse devant ce grand miroir en mouvement de la réalité tunisienne, qui nous projette la face cachée de ce que nous sommes devenus depuis six ans ! Dans quel pays au monde, un chef de gouvernement doit-il rendre compte d'un « mini-mini » remaniement, d'une permutation d'un secrétaire d'Etat, ou de pourvoir à un poste vacant ! Eh bien, dans cette méga-démocratie, enfantée par notre fameuse Constituante digne d'une certaine « convention » de l'après-Révolution française de 1789, le Premier ministre Youssef Chahed est pratiquement confronté à une mise sous tutelle systématique, des syndicats, l'UGTT en tête, des partis politiques et pas seulement les éléphants les plus représentatifs mais aussi et surtout de quelques « loges » qui ne disposent même pas de députés à l'ARP et qui manipulent les plus assourdissants des « Montarbo », de plateau en plateau et de TV en TV, et dont les « leaders » si peu représentatifs se forgent la stature de donneurs de leçons de la bonne gouvernance (sic) et de la cité vertueuse de Platon ! Et après tout cela on se demande pourquoi le gouvernement ne bouge pas, fait du surplace, et n'arrive pas à réformer. Or, pour réformer, il faut gouverner, et comme le gouvernement est pratiquement empêché de gouverner, nous avons cette situation de blocage qui handicape toute la dynamique économique et les réformes. Hamza Belloumi, en bon journaliste, l'a d'ailleurs précisé, lors de cette interview magistrale du jeune Premier ministre sur « El Hiwar », en répétant à Youssef Chahed : « Comment pouvez-vous changer tout cela, alors que tout le monde refuse et rejette les réformes » (Al kol yarfoudhou al islah), que c'est bien dit ! Le président du gouvernement a cité deux cas de blocage institutionnel et financier symboliques de tout ce que nous vivons à plusieurs niveaux sur cette mécanique grippée et ferraillée qu'on n'arrive pas à remettre à niveau. D'abord, les caisses sociales avec des déficits de plus de 1000 milliards de nos millimes et où l'Etat est obligé d'injecter du liquide à hauteur de 500 millions de dinars annuellement pour faire face et servir les pensions de retraite et autres prestations sociales et médicales. Or, tout le monde sait, que les solutions passent par des mesures, que les syndicats rejettent, ça fait trois ans, notamment l'allongement de l'âge de départ à la retraite et la réévaluation à la hausse des cotisations. Puis, les banques publiques, où l'Etat se voit aussi obligé d'injecter des sommes faramineuses pour les sauver de la banqueroute et de l'endettement. Or, là aussi, il faut plus que la chirurgie pour recapitaliser ces institutions et leur permettre à nouveau de jouer leur rôle moteur dans l'économie et le développement en revenant à leurs vocations premières à savoir financer les projets nouveaux et les besoins de crédits des entreprises. Là encore, « Niet » des syndicats avec une mobilisation autour de « Ne touchez pas au secteur public... et non à la privatisation même partielle de ces banques ». Ceci a pour conséquence de mettre l'Etat dans l'obligation de financer à fonds perdus le fonctionnement de ces entreprises publiques et bien d'autres vivant l'état de la mort clinique. Pire encore, ce sont les plus fervents défenseurs du secteur public, qui actionnent les grèves et les sit-in et qui font perdre toute crédibilité à ce secteur. Demandez à un parent d'élève, qui a l'argent et les moyens pour envoyer ses enfants dans les écoles privées de plus en plus élitistes et performantes, s'il est encore convaincu de les inscrire dans l'école publique de MM. Yaâcoubi et Gammoudi ! C'est dire que la meilleure défense du secteur public c'est d'en faire à nouveau, un secteur de pointe et leader pour la qualité des services et l'efficacité. Or, cela passe par le travail, la réforme et la discipline de fer et non les grèves. M. Chahed a agréablement impressionné par sa volonté d'aller de l'avant, tout en laissant la porte ouverte au dialogue social. Il a même répondu à un désir, profond, du peuple tunisien et des classes moyennes et populaires du « plus d'Etat ». Un Etat fort et ferme, décidé à réformer et non pas à gérer seulement les crises qui se succèdent. Oui, un « pompier » de service comme il l'a dit, mais aussi un bâtisseur. A lui de ne pas perdre de temps et de finaliser ses promesses sur le terrain en débloquant là où ça bloque. Ses ministres doivent aussi bouger et non pas rester en spectateurs face à la montée des exigences. Quant aux politiciens, bien pressés de contester à Chahed son leadership à l'horizon 2019, ils ont intérêt à laisser le gouvernement gouverner, car un jour, peut-être, ce sera leur tour de subir et de récolter les fruits amers des semences de l'immobilisme qu'ils provoquent aujourd'hui ! Ali, le cousin du Prophète, le disait bien : « Laou damat lighaïrika lama alet ilaïka ». (Si le pouvoir était éternel... il ne serait pas arrivé jusqu'à vous) ! K.G