Les magistrats observent, depuis hier, une grève générale de trois jours, décidée par l'Association des magistrats tunisiens (AMT) dans l'ensemble des tribunaux du pays, judiciaires, administratifs et financiers. Une grève qui intervient, officiellement, en signe de protestation contre la « détérioration de la situation financière des magistrats et des conditions de leur travail », en plus de la crise concernant l'installation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). En réalité, la cause essentielle de ce débrayage demeure ce clivage inextricable autour de la mise en fonction du CSM, pierre d'achoppement entre les juges eux-mêmes, et entre l'AMT, d'un côté, et les deux pouvoirs exécutif et législatif, de l'autre. Dévoilant, donc, le fond de la problématique, Raoudha Karafi, présidente de l'AMT, a fini par avouer que le problème majeur, actuellement, est bel et bien, celui du CSM qui s'est terminé, malheureusement, selon elle avec la possibilité d'adopter l'initiative législative qui sera examinée, probablement, par l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) lors de la réunion plénière qui se tiendra aujourd'hui même, mardi 28 mars 2017. Mme Karafi a réaffirmé, néanmoins, le rejet de cette initiative par son Association en indiquant que cette action vise l'abandon de l'indépendance du CSM. Elle a, en outre, ajouté que le ministre de la Justice a ignoré l'initiative du Conseil lui-même qui est parvenu à un compromis avec l'approbation par plus des deux tiers de ses membres d'une proposition pour sortir de l'impasse. Ce qui prouve, encore selon Raoudha Karafi, que le but réel du pouvoir était, dès le départ, de faire passer l'initiative législative. « Or, assure-t-elle en substance, l'AMT ne peut pas tolérer l'empêchement des juges de pratiquer leur droit au dialogue et le ministre de la Justice, qui se tient clairement aux côtés de la minorité, doit écouter les juges surtout que leurs demandes ont pour objet les droits des Tunisiens ». Opposition de l'AMT Il faut dire que l'AMT, qui s'oppose fermement depuis la fin du mois de janvier dernier au projet de loi portant sur l'abrogation de la loi sur le CSM, considère que ce texte vise à soumettre le pouvoir judiciaire à l'exécutif et constitue, de ce fait, une grave atteinte à l'indépendance de la magistrature, d'où sa considération que ledit projet de loi est anticonstitutionnel. Il est à rappeler, d'ailleurs, que l'Association des magistrats, mène, depuis plusieurs mois, un combat pour la mise en place du CSM et l'achèvement de sa composition, conformément aux dispositions prévues par la loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016. Selon ce texte, le CSM, qui représente les juridictions judiciaire, administrative et financière, doit comporter, en plus des membres élus, d'autres désignés en fonction de leur qualité. Malgré l'élection de la première catégorie de membres, qui a eu lieu en octobre 2016, le conseil n'a pas pu, jusqu'aujourd'hui, tenir sa première réunion, sa composition n'ayant pas encore été achevée. Ceci est causé par le départ à la retraite de 3 des membres devant être désignés es-qualités et qui n'ont pas été encore remplacés. D'autre part, les observateurs s'attendent à toute forme d'escalade puisque dès aujourd'hui, un sit-in est prévu devant le siège de l'ARP avec l'idée d'empêcher l'approbation du projet de loi portant sur l'approbation de la loi sur le CSM. Dans une autre phase d'escalade attendue, on apprend que l'AMT et autres associations qui la soutiennent dont la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (LTDH) n'écartent pas l'hypothèse consistant à internationaliser le conflit. Dans ce cas, c'est l'image de marque de tout le système judiciaire tunisien qui prendrait un sérieux coup pour son grade surtout que son image n'est déjà pas bien reluisante. Devant cet état de fait, les analystes restent persuadés que le meilleur moyen de dépasser ces imbroglios, serait de trouver un terrain d'entente entre les différentes structures représentatives des juges. Car, sont nombreuses, aussi, les organisations qui ont des avis contradictoires avec ceux de l'AMT qui semble vouloir, selon ses détracteurs, avoir une mainmise sur le pouvoir judiciaire En effet, des représentants du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), de l'Union des magistrats administratifs et de l'Union des magistrats de la Cour des comptes estiment urgente la mise en place du CSM dont dépendent les élections municipales. Cependant, lors d'une rencontre avec les médias à Tunis, ces derniers mécanismes n'ont pas manqué de pointer un doit accusateur à l'encontre de l'AMT qui, selon eux, fait durer la crise du Conseil. Les représentants des syndicats des magistrats ont appelé à la nécessité de trouver une solution consensuelle à la crise entre les membres du CSM avant l'examen et l'adoption prévue de l'initiative du gouvernement par le Parlement. L'appel du syndicat Pour le président de l'Union des magistrats administratifs, Walid Helali, « la crise du CSM n'a que trop duré », et qu'en l'absence d'une solution, il y aura forcément recours à l'initiative du gouvernement afin de permettre au président du Parlement de convoquer la réunion du CSM. Par ailleurs, il estime que les élections municipales constituent un enjeu national dont le succès est tributaire de l'installation du CSM, eu égard aux missions qui sont du ressort de la justice, notamment celle de trancher les litiges relatifs aux candidatures et aux résultats du scrutin. Le même Walid Helali va jusqu'à considérer tous les mouvements menés par l'AMT comme étant illégaux dans la mesure où l'Association est régie par la loi sur les associations qui lui interdit toute action syndicale et encore moins les appels à la grève ! Il a, par la même occasion, souligné la nécessité de mettre en œuvre les décisions annoncées, récemment, par le ministre de la Justice, relatives à l'installation des tribunaux de première instance et des cours d'appel, compte tenu du fait que l'examen des litiges inhérents aux candidatures démarrerait en septembre au cas où les municipales auraient lieu au mois de décembre prochain. Il en est de même pour le président du Syndicat des magistrats tunisiens, Fayçal Bouslimi, qui a exhorté l'Association des magistrats à mettre un terme à ses mouvements de protestation et à se contenter de l'action associative, expliquant, toutefois, que la grève est un droit syndical. En tout état de cause et en l'absence de toute lueur d'espoir d'un rapprochement des positions des uns et des autres, la situation pourrait devenir explosive dans le sens où c'est tout le processus de la transition démocratique qui sera mis en danger puisque le scrutin municipal, la Cour constitutionnelle et bien d'autres mécanismes seront bloqués. Devra-t-on attendre la fameuse 90ème minute pour s'en sortir comme cela a été le cas pour bien d'autres questions litigieuses, auparavant ? Tout porte à le croire, mais cette fois-ci, les enjeux sont tellement gros qu'en cas de fiasco, les pots cassés seront difficiles voire impossibles à recoller !...