La Tunisie avait, dans les temps anciens, sous l'emprise de l'empire romain, la réputation d'être « le grenier de Rome », c'est-à-dire, qu'elle se suffisait à elle-même en matière de céréales et en exportait de grandes quantités vers l'Italie de l'époque. Qu'en est-il actuellement ? Il faut rappeler, d'abord, qu'au moment de l'indépendance du pays, en 1956, les colons français, au nombre de 3000, possédaient 570.000 ha, situés essentiellement au Nord et au Centre de la Tunisie, soit les régions les plus fertiles, ainsi que 200.000 ha en location (1). Après le départ de l'armée française de Tunisie, le leader Habib Bourguiba, après accord de l'Assemblée Nationale, a nationalisé toutes les terres agricoles aux mains des étrangers. Avec la nationalisation de ces terres, qui étaient en possession des colons, l'Etat tunisien était devenu le plus grand propriétaire foncier du pays, avec plus de 800.000 ha des terres les plus fertiles, le gouvernement tunisien ayant acheté des colons, avant cette nationalisation, 120.000 ha en 1957 et 150.000 ha en 1961 (1) Avec la proclamation du socialisme destourien en 1962, en accord avec l' UGTT et l'institution des coopératives avec la gestion désastreuse que l'on sait et la limitation déclarée de la propriété privée, des soulèvements ont eu lieu, particulièrement dans le Sahel, si bien qu'en 1969, Bourguiba a décidé d'abandonner cette politique. Mais, depuis, presque rien n'a été fait pour mettre en production de centaines de milliers d'hectares qui auraient servi à occuper des milliers de jeunes de l'intérieur du pays dans les zones rurales et qui ont été amenés à émigrer dans les villes. Depuis plus de soixante ans, rien n'est fait donc sérieusement pour réformer le secteur agricole. Plus récemment, le ministre de l'Agriculture a même avoué que l'Office des Terres Domaniales est en faillite et qu'il est donc incapable d'investir dans ces centaines de milliers d'hectares (2). Il faut rappeler qu'en 1958, l'Etat tunisien, qui a acheté des colons des terres comme nous l'avons signalé plus haut, avait commencé d'une façon spontanée à céder ces terres dans la Basse Medjerda, mais cela a été bloqué par le socialisme destourien, inspiré par l'UGTT. Cet état de choses n'a pas manqué de se répercuter sur le commerce extérieur. En effet, depuis 1958-59, années au cours desquelles, les échanges commerciaux étaient équilibrés, soit avant la nationalisation des terres des colons (et grâce à de bonnes récoltes agricoles), le commerce extérieur n'a pas connu d'équilibre. A signaler, que durant la période coloniale et avant la nationalisation des terres, selon une étude de la Banque d'Algérie et de Tunisie (l'Institut d'émission monétaire de l'époque), et suivant des statistiques disponibles pendant les périodes suivantes : De 1890 à 1915, soit 25 ans De 1941 à 1943, soit 3 ans Et de 1949 à 1959, soit 11 ans, soit, durant 40 ans, la balance commerciale a été équilibrée 10 fois, soit en moyenne tous les 4 ans. (3). Or, ce que nous constatons actuellement, c'est que depuis la reprise des terres des colons, soit depuis près de 60 ans, la balance commerciale n'a jamais été équilibrée, malgré le développement prodigieux de l'Industrie (30% du PIB), depuis les années 1960 et surtout les années 1970, alors que le pourcentage de l'agriculture dans le PIB ne cesse de régresser. Pour prendre l'exemple des céréales, la production tunisienne étant insuffisante pour la consommation interne, le recours à l'importation a été nécessaire. Ainsi, durant la décennie 1990-1999, la Tunisie a importé 15.780.000 tonnes (t) , soit en moyenne par an, 1.578.000 ou 15.780.000 quintaux (Q), soit une consommation totale avec la production interne de 32.199.200 Q. Durant la décennie suivante, 2000-2009, la Tunisie a importé pour 25.513.000 t, soit une moyenne annuelle de 2.551.300 t ou 25.513.000 Q, donc, une augmentation de 9.733.000 Q ou 62% par rapport à la décennie précédente, alors que la production interne stagne aux alentours de 17.000.000 Q, en moyenne par an. Pour la période 2007-2016, la Tunisie a importé pour 30.749.000 t, soit en moyenne par an 30.749.000 Q, c'est-à-dire, le double de la moyenne annuelle de la décennie 1990-1999, pour une valeur totale de 13,647 milliards de dinars (4). A notre avis, pour alléger la pression exercée sur la balance commerciale, (et donner plus de travail aux populations de l'intérieur), la seule solution est de revenir à la politique (débarrassée des idéologies), entamée par Bourguiba, en 1958 et céder ces terres afin de les rendre productives, soit à des individus, soit à des sociétés privées, soit à des coopératives privées, l'Etat s'étant avéré (comme partout ailleurs dans le monde), mauvais gestionnaire de ces terres. DIMASSI Abdelmajid* *) Ancien Directeur à la BCT Voir l'important article de M.Mokhtar Boubaker dans le Maghreb du 17-9-2016 Cf. le Maghreb du 13/5/2017 Voir le livre de l'auteur de ces lignes, « Les Echanges économiques extérieurs de la Tunisie » - P. 149 et P. 325. Tous ces chiffres sont tirés de la publication de la Banque Centrale de Tunisie « Statistiques financières ».