Cet été, le festival de Carthage a aussi valu par les prestations de quatre artistes tunisiennes qui ont le vent en poupe. Alors que le festival vient de s'achever hier sur fond de musiques et danses indiennes, le public a aussi eu un coup de coeur pour les oeuvres de Emel Mathlouthi, Yasmine Azaiez, Dorsaf Hamdani et Leila Toubel, égéries d'une culture en mouvement... Le rideau vient de tomber sur la 53ème édition du Festival international de Carthage. Ainsi les lampions s'éteignent sur une saison pleine de paradoxes mais incontestablement marquée du sceau du succès populaire et de quelques découvertes artistiques. Sans nous aventurer dans un quelconque bilan, force est de constater que le festival de Carthage a su trouver les moyens de mobiliser le grand public. Les grands équilibres étaient respectés entre culture de masses, culture populaire et scènes expérimentales. Le recours au musée de Carthage et à l'Acropolium pour quelques spectacles a évité de se retrouver face à des gradins vides, alors que les spectacles présentés étaient en général des oeuvres majeures. Le théâtre antique a pour sa part été mobilisé par les chanteurs et quelques spectacles comme "Lemdina", la soirée tango ou encore les deux représentations de "La Reine des Neiges". Une philosophie alliant divertissement et culture Sans verser dans l'outrance et avec des choix équilibrés, le festival a démontré un élément capital, à savoir qu'il faisait recette et qu'il pouvait - malgré les prix - aligner les soirées à guichets fermés. C'est un fait d'importance car, désormais, tout indique qu'un seuil minimal de rentabilité a été atteint et qu'une philosophie alliant divertissement et culture préside à la démarche du festival. Pourtant, il faut oser plus encore! Car on pourrait facilement et à peu de frais doubler l'offre de la scène alternative constituée par le musée de Carthage qui, cet été, accueillait seulement 12 spectacles. De fait, le paradoxe de Carthage, c'est que les spectacles foncièrement culturels n'attirent qu'un public restreint et que cette contrainte conditionne l'esprit de la programmation générale. On pourrait à ce titre alléger le calendrier du Théâtre antique, inventer de nouvelles formules peu coûteuses, éviter les spectacles budgétivores. En effet, l'objectif majeur des organisateurs devrait être de préserver à tout prix cette identité culturelle du festival tout en la doublant par cette autre image qui fait de Carthage le festival le plus populaire de Tunisie, celui qui en tous cas est scruté par tous les publics. Qu'on se le dise: il est extrêmement difficile de faire cohabiter sur la même scène Zucchero, Balti, Mokdad Shili, des rappeurs et des disc-jockeys. Et comme on ne fait pas pareille omelette sans casser d'oeufs, Carthage réussit dans sa mission au prix de quelques acrobaties et parfois quelques dérapages. Selon le point de vue de chaque spectateur, il restera quelques étincelles de cet été 2017. Les uns garderont en mémoire le concert de Faia Younan ou ceux de Léna Chamamian et Ragheb Alama, d'autres se souviendront surtout des paillettes de Nancy Ajram ou Soufia Sadok. Certains n'oublieront pas les provocations de Booba, les rires aux éclats avec Ben Yaghlane ou Abdelli et aussi quelques découvertes comme Carmen Souza et Yamandu Costa. Pour notre part, nous croyons que ce festival a été l'occasion d'une confirmation, celle de quatre divas qui ont donné à la fois son énergie positive et sa dimension culturelle au festival. Ce carré de dames représente les frémissements actuels de la scène artistique tunisienne et conjugue musique et chant. Quatre divas tunisiennes au coeur de l'été Indéniablement, Emel Mathlouthi a brillé de mille feux avec son nouvel opus intitulé "Thamla". Entre musiques du monde et acquis antérieurs de ses oeuvres "Enssen" et "Kelmti Horra", Emel a démontré qu'elle était sur une pente ascendante. De plus, le recul généré par ses quatre années d'absence des scènes tunisiennes a créé les conditions d'une véritable redécouverte. La même magie artistique a accompagné Yasmine Azaiez qui affrontait le public de Carthage pour la première fois et parvenait à convaincre grâce à son sens du show et sa technique limpide. Intitulé "Fabulous", son spectacle de fusion musicale a tenu ses promesses et confirmé les capacités de cette musicienne à créer les conditions d'un revival néo-traditionnel. Dorsaf Hamdani a elle aussi fait montre d'une fibre musicale innée. Lancée dans une collaboration avec une artiste iranienne, Dorsaf est parvenue à rendre entre langue arabe et persane toutes les subtilités des poésies de Omar Khayam. A la confluence des cultures et des chants mystiques, elle a ainsi démontré les sommets que sa voix pouvait atteindre et sa maîtrise de registres des plus ardus. Hamdani aussi compte parmi ces divas qui ont fait le festival véritable, celui où le tarab rejoint la recherche conceptuelle. Enfin, Leila Toubel complète ce quatuor de dames. Epoustouflante, la sensibilité exacerbée, la voix et le corps en transes, Toubel est l'incontestable égérie du théâtre tunisien actuel. Opérant une synthèse entre théâtre expérimental et voies du monodrame, elle confirme à chaque nouvelle création sa liberté de ton et ses exigences esthétiques. Avec "Houriya", accompagnée par Mehdi Trabelsi au piano, elle est parvenue à rendre un hommage ardent et simultané à la femme, à la Tunisie et à la liberté. Du grand art qui, nécessairement, fera école. Telles sont nos quatre divas de l'été: deux chanteuses, une instrumentiste et une comédienne. Grâce à elles et leurs créations débridées, ambitieuses ou engagées, l'été a vécu ses couleurs culturelles et ses échappées artistiques. Comment tourner la page de cette session sans avoir une pensée affectueuse pour celles qui font l'étoffe de notre culture, sa texture joyeuse ou festive et sa capacité à transcender les carcans, les censures et les frontières artificielles.