Elle n'a pas de candidats. Elle n'a pas de slogans. Elle n'a pas d'affiches de campagne... Et pourtant, elle pourrait devenir le premier parti de Tunisie. L'abstention, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, risque d'atteindre des sommets lors du premier scrutin municipal depuis la révolution, prévu le 17 décembre prochain. Selon un sondage d'opinion publié récemment par Emrhod Consulting, 54% des Tunisiens ne comptent pas aller voter lors des prochaines élections municipales. 28% seulement envisagent de passer aux urnes et 18% ne se prononcent pas à ce sujet. L'institut Sigma conseil a, quant à lui, dévoilé que 33% des électeurs comptent bouder les urnes. Ces chiffres traduisent une forte désaffection des Tunisiens à l'égard de la chose publique, en raison notamment de la dégradation de la situation économique dans le pays et des querelles politiciennes incessantes. Les anti-isoloirs sont essentiellement des adeptes du « tous pourris», dégoûtés par la politique et par un paysage partisan passé comme par enchantement du trop peu au trop plein à la faveur de la révolution. Outre ces personnes qui pensent que les élections ne changeront rien à leur vie, on trouve des électeurs qui trouvent qu'aucun parti ne répond réellement à leurs aspirations et qui refusent de voter utile et de laisser à la maison leurs convictions. Quoi qu'il en soit, les partisans de l'abstention risquent de s'en mordre les doigts au moment de la proclamation des résultats. Le boycott des urnes devrait, de l'avis de tous les observateurs, profiter aux grands partis bien structurés. Le dernier sondage Emrhod a d'ailleurs révélé que le mouvement Nidaâ Tounes recueille 38,6% des intentions de vote lors des municipales, devant Ennahdha (33%). Ces deux partis sont les plus structurés et les mieux implantés dans les diverses régions du pays. Le Front Populaire (Al-Jabha) arrive en 3ème position avec 3,4% des intentions de vote, à égalité avec l'Union Patriotique Libre (UPL). Viennent ensuite le Courant démocratique (3,3%), Al Moubadara (2,3%), Machrou Tounes (2,3%), Afek Tounes (1,7%), Al Joumhouri (1,7%) Tayyar Al Mahabba. «L'abstention profitera naturellement aux grands partis et non aux listes indépendantes ou aux petites formations politiques. Les grands partis sont en effet capables de mobiliser un électorat discipliné et acquis à leurs thèses », souligne la présidente de l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (ATIDE), Leïla Chraïbi. Et d'ajouter : «Le seuil électoral qui a été fixé à 3% causera aussi un grand éparpillement des voix. Des centaines de milliers de voix qui auraient pu profiter à des petites formations politiques ou à des listes indépendantes risquent en effet de se perdre». Le scrutin municipal est déjà très complexe. Seuls les grands partis dotés de moyens financiers et humains considérables auront la possibilité de présenter des listes dans toutes les circonscriptions électorales. C'est que chaque parti qui souhaite participer dans l'ensemble des circonscriptions (350 municipalités existantes) est tenu de présenter 7200 candidats ! De plus, la constitution des listes s'avère très difficile. La loi électorale relative aux municipales impose en effet une parité horizontale et verticale en plus d'une représentativité de 30% de jeunes sur les listes, ce qui nécessite 175 femmes tête de listes et quelques 3600 femmes candidates au total. Le financement public ne sera pas cette fois-ci accordé aux listes candidates avant le vote. Et seules les listes ayant obtenu au moins 3% des suffrages exprimés auront le droit au financement public. Bien que le nombre total des partis agréés s'élève à plus de 200, les observateurs s'attendent à ce que deux partis seulement, en l'occurrence Nidaâ Tounes et le mouvement Ennahdha, soient capables de présenter des listes dans les 350 circonscriptions. Les petites formations se contenteront, dans le meilleur des cas, de présenter des listes dans les grands centres urbains et les villes à forte densité démographique grâce à une ouverture accrue aux indépendants et à un jeu d'alliances souvent risqué. Selon l'Instance supérieur indépendante pour les élections, (ISIE), l'opération d'inscription des électeurs, qui a eu lieu du 19 juin au 10 août, a permis de porter sur le registre électoral quelques 562.746 électeurs supplémentaires. Cela a porté le nombre total des inscrits sur le registre électoral à 5.740.291 personnes.