La Biennale des photographes du monde arabe contemporain à Paris consacre un focus sur la jeune photographie algérienne et un autre à la photographie en Tunisie. Ce sont incontestablement les deux points forts de cette deuxième édition qui vient d'ouvrir ses portes à Paris. Cinquante photographes exposent leurs images aussi sensibles que souvent subversives dans huit lieux différents, dont l'Institut du monde arabe (IMA), la Maison européenne de la photographie et la Cité internationale des arts. La raison d'être de cette deuxième édition de cette Biennale des photographes du monde arabe contemporain ? L'incroyable succès de la première édition qui avait pourtant lieu en 2015, l'année de la vague d'attentats en France, avance le commissaire général Gabriel Bauret : « On avait une couverture médiatique exceptionnelle tant en France qu'à l'étranger et dans les pays arabes qui suivent beaucoup cette manifestation. » L'histoire continue, laissant des traces. À l'occasion de cette deuxième édition, une salle à la Mairie du IVe arrondissement de Paris a été dédiée à la jeune photographe franco-marocaine Leila Alaoui. Lors de la première Biennale, elle avait montré son talent exceptionnel sans savoir que cette exposition sur Les Marocains sera sa dernière avant d'être tuée quelques semaines plus tard par les terroristes à Ouagadougou. En 2017, avec un focus sur la jeune photographie algérienne à la Cité internationale des arts et un autre focus sur la Tunisie à l'Institut du monde arabe, la Biennale souhaite rendre justice à deux pays « qui se retrouvent souvent en marge de l'actualité photographique ». La jeune photographie algérienne à la Cité internationale des arts Le photographe français d'origine algérienne Bruno Boudjelal - qui avait lui-même exploré l'Algérie pendant dix ans – a sélectionné une vingtaine de jeunes photographes de tout le pays lors d'un atelier photographique à Alger. Avec l'exposition Ikbal/Arrivées, il souhaite traduire le bouillonnement ressenti auprès ces jeunes artistes : « Il est essentiel que l'Algérie soit aussi racontée, décrite, photographiée... par les Algériens eux-mêmes. » Le résultat est bluffant. Les portraits tout en mouvement de Rahiche Hamid dégagent une incroyable énergie. Né à Alger, il a plongé dans le désenchantement d'une utopie urbaine qu'il a lui-même vécu : l'ensemble architectural Climat de France à Alger. Erigé en pleine guerre d'Algérie, cet ensemble se trouve aujourd'hui loin de la vision humaniste de l'architecte français Fernand Puillon. Pour les 50 000 habitants, l'utopie s'est transformée en ghetto surpeuplé et malaise social. Et pourtant, les visages sont rayonnants, fiers, pleins d'espoir... Sahraoui Fethi de Mascara nous emmène dans un stade de foot. Stadiumphilia ne parle pas de football, mais de la folie autour. Le stade est devenu une échappatoire de la pression sociale. Tidafi Karim-Nazimraconte ses histoires à travers de quatre carrousels, une série presque documentaire, des photos de bus de la capitale algérienne qui transportent les joies et les peines de toute une société. Rezaoui Hakim capte le silence du pays. À Way of Life montre le milieu naturel avec ses formes et silhouettes surprenantes et ses couleurs rayonnantes. Salhi Sihem de Constantine nous plonge dans l'univers de la prière. Dans Lumière d'âme !, elle multiplie ses autoportraits sur le même tapis en questionnant la vérité et l'infini : « Toute mon âme et tout mon corps fusionnent avec cette lumière. » Abdo Shanan, vit et travaille à Oran. Il avait grandi en Libye (« un pays multiculturel ») avant de se retrouver en 2009 en Algérie (« un pays avec une seule culture »). À moitié Algérien et à moitié Soudanais, Shanan pratique la photographie depuis une dizaine d'années, après des études de télécommunication en Libye. Interdit de travail dans ce domaine en Libye, il se retrouve sans travail, mais avec un téléphone portable. Il prend alors ses premiers clichés... Dans sa première exposition à Paris, il montre Diary : Exile, un journal intime sur l'exil avec une douzaine de photographies collées au mur comme une grande mosaïque de visages et de scènes souvent violemment arrêtées par le flash. Avec ses photos en noir et blanc (« il n'y a pas mieux pour transmettre les émotions »), il interroge depuis 2014 son « exil » en Algérie : « La société a changé, comme moi. Aujourd'hui, les codes sociaux ont changé. Si je veux m'intégrer dans cette société, je dois changer. Mais, je ne veux pas changer, je veux protéger celui que je suis. Alors, je me trouve comme dans un exil émotionnel, intérieur, et j'utilise la photographie pour l'exprimer. » Son prochain projet ? Il travaille actuellement avec des migrants en Algérie, avec des Algériens qui ont comme lui des difficultés de s'intégrer dans la société, mais aussi avec des migrants algériens en France. La photographie tunisienne à l'Institut du monde arabe « Pour la Tunisie, on a voulu vraiment mettre en valeur la créativité extraordinaire des artistes tunisiens. Je pense cela sera une révélation pour beaucoup de gens, » affirme Jack Lang, président de l'IMA et créateur de la Biennale. Olfa Feki, la commissaire du focus appelle à « une ouverture des frontières physiques et mentales à travers des travaux inédits pour s'éloigner au maximum des clichés. Chaque visiteur aura traversé et vécu les expériences des photographes exposés. » Noir s'appelle une série de séquences d'images de Mouna Karray. Sur ses photographies apparaissent seulement un corps accroupi, caché et le fil d'un déclencheur souple d'un appareil photo. Une métaphore pour la Tunisie cachée ? « C'est un travail sur l'enfermement » répond la photographie qui vit entre Sfax en Tunisie et Paris. « L'enfermement de l'être humain, d'un citoyen, d'une personne, de tout le monde. Je voulais exprimer cela à travers l'acte photographique. Donc, j'ai imaginé un corps et dans ce corps, il y a un mouvement et une volonté de se débattre. L'acte photographique devient un acte libérateur. » La situation des photographes en Tunisie reste précaire : « On peut s'exprimer, mais le problème est la visibilité, les structures et le marché. Comment financer un projet, le rendre visible ? Pour cela, le focus sur la photographie tunisienne est très bien, parce qu'on n'est pas montré assez. » Sur les images imprégnées de noir de l'artiste photographe Douraïd Souissi, les personnages semblent s'enfuir du cadre (« j'aurais aimé qu'il n'y a pas de cadre, mais un ciel noir énorme »). Dans ses portraits de Tunisiens, assiste-t-on à une disparition ? « C'est une disparition, mais paradoxalement peut-être aussi des retrouvailles, parce qu'il y a les masques qui tombent. Peut-être les personnages se retrouvent ainsi eux-mêmes ? Parfois, on a besoin de disparaître avant de se retrouver, de faire le vide. »