Sous le thème " L'imagination au pouvoir ", slogan largement répandu dans les manifestations de Mai 1968, la deuxième édition de "la Nuit des idées", organisée, jeudi, dans plusieurs lieux de la Tunisie, s'interroge, cinquante ans après Mai 68 et 7 ans après la révolution tunisienne de 2011, sur les notions de contestations de révolution, d'utopie et du pouvoir dans une Tunisie à l'image du monde de 2018 en pleine mutation économique, écologique et géopolitique. Dans cette deuxième édition organisée par l'Institut français de Tunisie (IFT), "la Nuit des Idées" s'est décentralisée et a proposé un voyage intellectuel et artistique dans plusieurs lieux du pays à savoir les Instituts Français de Tunis, Sousse et Sfax en plus du lycée français Gustave Flaubert à la Marsa, l'espace cogite et l'université privé Esprit. A l'Institut Français de Tunis (IFT), la manifestation a débuté par une performance de JAYE, artiste graffeur franco-tunisien. La fresque dessinée dans le hall de l'IFT reprend une citation d'Albert Einstein " l'imaginaire est plus important que le savoir " et annonce la thématique de cette édition " l'Imagination au Pouvoir ", l'imaginaire comme acte artistique et engagé devient source de savoir et par conséquent une source de pouvoir. Tout au long de la soirée et jusqu'à 1h00 du matin, des documentaires, des performances artistiques et des débats ont été au centre d'une réflexion interactive intellectuelle et artistique autour de penser " l'Imagination au Pouvoir " dans la Tunisie d'aujourd'hui après 7 ans de l'insurrection populaire de décembre 2011. Mai 68 / Décembre 2011 : Regards croisées et Mise en perspective Regroupant le politologue Chérif Ferjani, l'historienne Kmar Bendana, le traducteur Hichem Abdessamad et l'académicienne Raja Ben Slama, la première table ronde a mis en perspective les événements de Mai 68 avec celle de la révolution tunisienne de Décembre 2011. Pour les participants, les événements de Décembre 2011 rejoignent ceux de Mai 68 dans l'esprit contestataire des jeunes contre le pouvoir établi et l'aspiration vers un monde meilleur avec comme slogan " Soyons réalistes, demandons l'impossible ". Pour l'historienne Kmar Bendana, la révolution tunisienne s'est appropriée à la fois l'imaginaire de mai 68 à travers le soulèvement d'une jeunesse éduquée alimentant l'espoir d'une Tunisie démocratique libre, mais aussi, cette révolution s'est alimentée de l'imaginaire national de la Tunisie, de son imaginaire syndical ainsi que des espoirs et rêves de toutes les régions du pays. La danse et la magie, l'Imagination pour libérer le corps et l'esprit du pouvoir des croyances sociales Dans sa performance reprenant une partie de son spectacle " Ouled Jellaba ", le danseur chorégraphe Rochdi Belgasmi interpelle le spectateur à travers l'histoire de ce danseur populaire des années 20, sur les tabous liés au genre dans la danse et la société tunisienne contemporaine. Le " spect'acteur " est pris dans le jeu du danseur : animé par la peur et le dégoût au début du spectacle face à ce corps étrange, il est submergé par la joie vers la fin du spectacle et se laisse emporté par le pouvoir magique de la danse. Dans " Ouled Jellaba " , la danse devient ainsi une source pour questionner les limites imposées par la société au corps. Par son pouvoir imaginatif, la danse folklorique se transforme grâce à Rochdi Belgasmi à un hymne au respect des libertés individuelles. C'est à travers la magie que Thierry Collet s'interroge dans son spectacle interactif " Vrai/ Faux- Rayez la mention inutile " sur la construction sociale de l'imagination et de l'imaginaire. Usant de la magie mentale et de l'humour, le spectacle invite le public à travers des jeux interactifs d'illusion optique et de déconstruction du jeu magique à s'interroger sur ce qui conditionne ses choix, ses opinions et ses croyances. L'Imagination au service de l'Histoire contemporaine des peuples, de l'écologie et de la jeunesse S'interroger sur l'écriture contemporaine de l'Histoire de la Tunisie, le regard porté par l'Occident sur cette révolution qui a marqué le début d'une nouvelle ère marquée par des bouleversements géopolitiques dans le monde en particulier les pays arabes, ont été au coeur du débat dans la table ronde " les Utopies et l'Histoire en marche ". Les romanciers Felwine Sarr et Emna Belhaj Yahia en compagnie de l'essayiste Bechir Garbouj s'interrogent sur la place de l'Utopie dans le changement et l'évolution de l'histoire des peuples. L'artiste Naziha Mestaoui, pionnière reconnue dans l'art digital, a dans son intervention, mis l'accent sur le pouvoir créatif et imaginatif de l'art digital dans la mise en scène de solutions au service de la nature et de l'écologie. A la fin de la soirée, la parole a été donnée à la jeunesse du bassin méditerranéen à travers un show radio 3D en direct accompagné par des projections et de la musique live. Ainsi, grâce à des témoignages recueillis par les journalistes Aurélie Charon, Caroline Gillet et Amélie Bonnin, le public a découvert les rêves et les craintes des jeunes vivant à Tunis, Alger, Beyrouth, Gaza ou Casablanca... Née en Janvier 2016 à Paris, la Nuit des idées est une soirée à l'ambiance festive, destinée à rassembler un large public autour des enjeux artistiques, politiques et philosophiques du monde aujourd'hui. Dès 2017, la Nuit des Idées s'est exportée à travers le monde entier. Pour cette édition 2018 " L'Imagination au Pouvoir ", cette manifestation d'une journée a invité en France et dans 70 pays, penseurs, artistes, créateurs, intellectuels, chercheurs et citoyens à débattre et échanger autour de la place de l'imagination aujourd'hui dans un monde où la place du rêve et de l'utopie se rétrécie face au poids des crises économiques et des soubresauts politiques.