La situation prévalant en Tunisie en matière de protection de la vie privée et des données personnelles n'est pas très reluisante dans la pratique quoiqu'elle soit avancée et conforme aux standards européens et internationaux au plan juridique, à en juger par un point de presse tenu, mardi, par l'Instance nationale de protection des données personnelles (INPDP), avec le soutien logistique de la fondation allemande Friedrich Naumann pour la liberté. Erigée en droit fondamental, la protection de la vie privée et des données à caractère personnel, en Tunisie, est garantie par l'ancienne constitution tunisienne ainsi que par celle de 2014, parallèlement à une loi fondamentale sur la protection des données personnelles en vigueur depuis 2004 et stipulant, entre autres, la création de ladite Instance nationale chargée de la protection des données personnelles et du suivi de l'application des dispositions de cette loi. La Tunisie a adhéré, également, en mai 2017, à la convention européenne relative « à la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel » et des protocoles y afférents. La Tunisie est ainsi pionnière en la matière à l'échelle arabe et africaine. Aucun pays arabe ou africain ne figure sur une liste dressée par l'INPDP en mai 2016 concernant les pays qui assurent une protection appropriée des données personnelles et avec lesquels elle peut coopérer. Cependant, comme l'a noté le président de l'INPDP, Mohamed Gaddès, la culture de la protection des données personnelles en Tunisie reste très limitée, selon deux sondages d'opinion réalisée en 2016 et 2017 qui ont montré que très peu de Tunisiens connaissent l'existence de l'INPDP, au point que, chose bizarre, quelques 37% des personnes consultées croient que cette protection est assurée par le ministère de l'Intérieur. Les Tunisiens ignorent également les domaines qui forment la vie privée et les données personnelles telles que les informations relatives à la santé de l'individu, bien que les informations sanitaires aient été depuis longtemps proclamées secret professionnel, avant même l'émergence de la notion des données personnelles dans leur intégralité. Plusieurs personnes interrogées ne voient pas d'inconvénient à la collecte et au traitement de leurs données personnelles, disant « qu'elles n'ont rien à cacher » ! Le président de l'INPDP a signalé, par ailleurs, que les affaires relatives aux infractions à la protection des données personnelles ne bénéficient pas encore de l'attention requise de la part de la justice. Aussi, quelques 65 dossiers de ce genre ont été transférés à la justice, via les procureurs de la république, durant les 9 dernières années et ils n'ont pas été examinés, à l'exception d'un seul. Au total, quelques 3400 dossiers ont été traités par l'Instance, au cours des 9 derniers années, sur la base des requêtes qui lui sont présentées, dont 633 durant l'année 2017, concernant des infractions liées aux enregistrements par les caméras de vidéosurveillance, 96 des infractions liées au transfert de données à l'étranger, 62 concernant des données relatives à la santé. La moyenne mensuelle est de 98 dossiers. Mohamed Gaddès a noté que ces chiffres annuels et mensuels sont faibles et que normalement, le nombre annuel des dossiers aurait du se monter à 60 mille et 70 mille dossiers. Au même moment, la loi fondamentale de 2004 relative à la protection des données à caractère personnel accorde aux autorités publiques et aux structures publiques un droit discrétionnaire très large en matière de collecte et de traitement automatisé et manuel des données personnelles de sorte qu'elle mérite d'être révisée et améliorée pour être conformé aux obligations internationales de la Tunisie en la matière, car elle exempt les autorités et les structures publiques de toutes les limites imposées à la collecte et au traitement des données personnelles. Un projet de loi sur la protection des données à caractère personnel, en cours de finalisation, sera bientôt présenté dans ce sens. Il reprend les principes édictés par le Règlement général européen sur la protection des données personnelles devant entrer en vigueur en mai 2018. Ainsi, en Allemagne, pays précurseur à tous les points de vue dans ce domaine, l'Identifiant unique du citoyen a été déclaré mesure inconstitutionnelle depuis 1982. Au Portugal, l'Identifiant unique du citoyen est interdit par la constitution. En Tunisie, on travaille à la mise en place d'un tel Identifiant. Il en va de même de la carte nationale d'identité biométrique et de la mise en place des caméras de vidéosurveillance sur la voie publique qui soulèvent des problèmes relativement à la protection des données personnelles. Sur un autre plan, l'Instance nationale de protection des données personnelles a besoin d'un renforcement de ses moyens matériels et humains qui sont actuellement très modestes, en vue de s'acquitter au mieux de sa mission.