Le gouvernement d'union nationale a finalement décidé de s'attaquer, frontalement, à l'épineux dossier de la réforme du système de subventions aux produits de base. La mise en place de l'identifiant social unique, un mécanisme destiné à orienter le soutien de l'Etat vers les catégories sociales les plus vulnérables à travers la réallocation du budget de la Caisse générale de compensation (CGC) aux transferts sociaux directs, devrait intervenir avant la fin de l'année en cours, selon des sources bien informées au ministère des Affaires sociales. Ce mécanisme se traduira par la mise en place d'un système de distribution de bons alimentaires dans les zones rurales défavorisées pour l'achat de dérives céréaliers (pain, la semoule, couscous et pâtes alimentaires), de l'huile de table et du lait par les plus démunis ainsi que par la distribution directe du lait dans les écoles situées dans les zones urbaines et rurales défavorisées. Ce passage d'un système de subvention généralisé à un système de ciblage des couches nécessiteuses se heurte cependant aux difficultés d'identification des couches cibles. Ce système de ciblage requiert un suivi régulier de la mobilité sociale qui nécessité des moyens humains et logistiques considérables, ce qui a contraint plusieurs pays qui l'ont appliqué à l'abandonner rapidement. Pa ailleurs, la réforme du système de compensation des produits de base n'est pas sans risque et pourrait déclencher des conflits sociaux majeurs. Une étude de l'Institut Tunisien de la Compétitivité et des Etudes Quantitatives (ITCEQ) a fait ressortir que la seule suppression des subventions aux produits énergétiques se traduirait par une augmentation du taux de pauvreté qui passerait de 15,5% à 19,9%. En même temps, l'élimination totale des subventions aux produits énergétiques génèrerait une grande mobilité des classes sociales vers des classes plus basses. La part des classes à bas revenus qui passerait dans le cadre de cette hypothèse de 21 à 26% et celle des classes moyennes inférieures passerait de 39 à 43%. Jusqu'ici, aucun des gouvernements qui se sont succédé, depuis la révolution, n'a osé engager une vraie réforme du système de subvention. Quelques actions ont été certes entreprises ces dernières années, dont la suppression des subventions pour les industries énergivores, notamment l'industrie du ciment et les verreries, ainsi que l'augmentation des prix pour les grands consommateurs d'électricité et l'ajustement des prix du carburant. Mais le budget de la CGC n'a fait qu'augmenter au fil des années. Le budget de la CGC a plus que doublé en sept ans Entre 2010 et 2017 le budget de cette caisse, qui représente un instrument de politique économique utilisé par l'Etat pour la mise en œuvre de sa politique dans le domaine social, a été multiplié par environ 2,3 passant de 730 millions de dinars en 2010 à 1605 millions en 2017, donnant l'impression que les autorités publiques sont dans l'incapacité de contrôler les dépenses de la caisse. Ce montant représente, par ailleurs environ 1,7% du P.I.B, 5% du budget de l'Etat et 26% du des dépenses d'investissement ! Le problème majeur de l'actuel système de subvention concerne les inégalités dans le bénéfice des interventions de la Caisse générale de compensation. Les ménages pauvres, qui représentent 15,5% de la population tunisienne, ne bénéficient que 12,2% des subventions, qui profitent aux riches, plus qu'aux familles nécessiteuses, selon une étude réalisée par la Banque africaine de développement (BAD). En effet, le Tunisien défini comme pauvre ne perçoit, individuellement, que 64,8 dinars par an, en tant que compensations, alors que le Tunisien riche perçoit, quant à lui, 86,9 dinars par an, selon cette même étude intitulée «Subventions alimentaires et aides sociales directes, vers un meilleur ciblage de la pauvreté monétaire et des privations en Tunisie». Cette analyse de l'impact des subventions alimentaires et des transferts sociaux directs vers la population pauvre et vulnérable souligne ainsi que le caractère universel des subventions alimentaires nuit gravement à l'efficience de ce mécanisme de lutte contre les inégalités. Pour rappel, la CGC subventionne les hydrocarbures et des produits alimentaires de base comme les dérivés céréaliers (le pain, la semoule, le couscous et les pâtes alimentaires), l'huile de graine, les papiers destinés à la fabrication des cahiers scolaires, le lait stérilisé demi-écrémé, le sucre et le concentré de tomates.