Avec un niveau record en 2012 de dépenses dépassant les 5.000 millions de dinars, la rationalisation des dépenses publiques se présente comme l'alternative à la faillite de ce système distributif Les subventions alimentaires, qui contribuent à la réduction des inégalités, représentent 20,6% de la consommation alimentaire de la population pauvre contre 10,3% pour la population la plus aisée Le système des subventions en Tunisie, l'envolée des dépenses de la Caisse générale de compensation (CGC) et la nécessité d'opérer un meilleur ciblage qui permettrait aux catégories les plus vulnérables de profiter prioritairement des interventions de la CGC reviennent avec insistance en cette période de crise et de doute. En atteignant en 2012 un niveau record de dépenses dépassant les 5.000 millions de dinars, la rationalisation des dépenses publiques se présente comme l'alternative à la faillite de ce système distributif. Face au contexte difficile que connaît la Tunisie post-révolution, caractérisé par une crise économique aiguë, la rareté des ressources financières, l'exacerbation des tensions sociales et l'aggravation de la pauvreté, les pouvoirs publics se trouvent devant un grand dilemme. Celui de la recherche d'un difficile équilibre entre la nécessité de préserver les équilibres des finances publiques et l'exigence de poursuivre un soutien mieux ciblé à l'effet de lutter efficacement contre la pauvreté. Un mécanisme de lutte contre les inégalités Pour cela, l'année 2013 marque l'amorce d'une stratégie visant à réorienter l'action de subvention vers ceux qui devraient en bénéficer et l'engagement d'une étude sur la performance de ce système. Concernant ce dernier aspect, l'Institut national de la statistique, le Centre de recherche et des études sociales et la Banque Africaine de Développement viennent d'entreprendre une étude sur la performance du système des subventions. En effet, le caractère universel des subventions alimentaires nuit à l'efficience de ce mécanisme en tant que mécanisme de lutte contre la pauvreté. En dépit du fait que les ménages pauvres représentent près de 15,5% de la population nationale, ils ne perçoivent que 12% de l'enveloppe totale des subventions. Il faut préciser que les subventions alimentaires, qui contribuent à la réduction des inégalités, représentent 20,6% de la consommation alimentaire de la population pauvre, contre 10,3% pour la population la plus aisée. En dépit d'une tendance lourde au recul de l'incidence numérique de la pauvreté en Tunisie, le taux de pauvreté enregistré en 2010 laisse apparaître toujours des niveaux inquiétants de l'ordre de 15,5% contre 23,3% en 2005 et 32,4% en 2000. Le profilage géographique de la pauvreté montre que les taux de pauvreté dans les régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest se démarquent gravement des autres régions. Les disparités régionales en matière de pauvreté sont frappantes. En se référant à la pauvreté extrême, les écarts entre les régions littorales et les gouvernorats de l'Ouest semblent se creuser dangereusement d'une année à l'autre. Le cas le plus symptomatique est celui de la région du Centre-Ouest dont le retard par rapport à la région du Grand-Tunis s'est creusé nettement entre 2000 et 2010. L'étude réalisée par l'INS sur le système des subventions révèle que les sentiments d'injustice et de marginalisation des habitants des régions défavorisées se sont trouvés exacerbés. Résultat : une hausse remarquable de l'indice de polarisation qui est passé de 77.7 en 2000 à 103.2 en 2010. Un système insuffisant et coûteux Devant l'amplification des difficultés économiques et sociales, la rationalisation des dépenses publiques devient essentielle pour préserver le système redistributif et prévenir sa faillite. Dès lors, toute décision d'allègement des charges de la CGC nécessite, inévitablement, la mise en place de dispositifs opérationnels qui permettent d'épargner les familles pauvres et nécessiteuses de ses effets négatifs. L'étude élaborée par l'INS s'est focalisée sur l'examen de l'efficacité des dispositifs de ciblage et la performance des filets de protection sociale dans l'atténuation des inégalités et la réduction de la pauvreté en Tunisie. L'objectif recherché, à travers ce travail, consiste à mesurer l'équité et les impacts distributionnels des subventions universelles accordées dans le cadre des dépenses de compensation de base. Il s'agit également de dégager des propositions pratiques susceptibles d'améliorer la gouvernance de tous les filets de protection sociale. Quarante-trois ans après son institution à l'effet de préserver le pouvoir d'achat des catégories défavorisées, l'on se rend compte actuellement que le programme de subventions universelles était à la fois insuffisant et coûteux. La majeure partie de la masse totale des subventions publiques est destinée essentiellement aux produits céréaliers. Ces derniers accaparent plus de 77,2 % du budget de la caisse en 2011. En 2011, les dépenses relatives aux subventions des produits alimentaires de base tournaient autour de 2% du PIB et de 6% des dépenses publiques totales. En 2011, la valeur moyenne des subventions reçue par habitant est de 83,752 dinars par an, soit près de 7 dinars par mois. Cela représente en moyenne 3,2% de la dépense totale des ménages. Selon la classe de population (pauvres-non pauvres), la répartition de la subvention annuelle moyenne par habitant s'avère inégale en termes absolus. Elle est de 64,777 dinars pour les pauvres contre 87,231 dinars pour les non-pauvres. Autrement dit, un pauvre perçoit en moyenne près de 23 dinars de moins de subventions en produits alimentaires de base qu'un non-pauvre. En termes relatifs, les subventions à la consommation améliorent beaucoup plus le pouvoir d'achat des pauvres que celui des non-pauvres. Les bénéfices perçus par les pauvres des subventions alimentaires représentent 8,1% de leur consommation totale tandis qu'ils ne représentent que 3% de la consommation des non-pauvres. Aujourd'hui, ce système fait face à un grand paradoxe. Les subventions peuvent être mal ciblées et souvent accaparées par les non-pauvres. L'on se rend compte que la subvention perçue par chaque ménage dépend de son niveau de consommation des biens subventionnés qui, à son tour, dépend du niveau du revenu. Dans cette optique, la réforme envisagée, qui se propose d'éliminer les contraintes freinant la réalisation des objectifs de l'équité sociale, exige une analyse approfondie de ces aspects distributionnels. En pratique, un système de transfert idéal s'avère impossible à mettre en œuvre aussi bien avec un système de transfert direct et encore moins avec un système de transfert indirect. Pour les transferts directs, le meilleur système possible nécessite une observation parfaite du revenu de chacun et même de sa capacité à gagner ce revenu. Dans un pays où la fraude fiscale et le travail informel sont importants, l'entreprise s'avère ardue. Etant donné l'impossibilité de la mise en œuvre de la solution idéale, l'efficacité du ciblage des transferts à travers les subventions à la consommation peut se faire à travers deux perspectives : la première est relative tandis que la seconde est absolue. L'efficacité relative du ciblage veut que le système de transfert en question cible davantage de revenus supplémentaires aux plus pauvres de la population que l'aurait permis un système de transfert proportionnel. Un système de transfert proportionnel est susceptible de garantir à chaque individu un supplément de revenu proportionnel à son revenu avant transfert. L'efficacité absolue du ciblage veut que le système de transfert à l'étude octroie plus de bénéfices aux plus pauvres de la population que ne l'aurait octroyé un système de transfert forfaitaire. Un grand débat est, aujourd'hui, engagé sur cette thématique d'importance. Tous les travaux mis en œuvre constitueront une bonne base pour l'identification de nouvelles pistes à même de permettre d'atteindre deux objectifs concomitants : une meilleure utilisation des ressources affectées et la réduction de la pauvreté.