L'auteure de « Ségou » a reçu le prix littéraire décerné par la Nouvelle Académie de Stockholm, faute « du » prix Nobel en 2018. Elle l'a dédié aux siens et à la Guadeloupe. C'est elle ! L'écrivaine guadeloupéenne vient de recevoir le prix littéraire suédois créé en lieu et place du prix Nobel de littérature, non décerné cette année pour cause de scandale sexuel dans les coulisses de l'académie. La Nouvelle Académie a élu Maryse Condé parmi les quatre finalistes retenus par le jury sur les valeurs de démocratie, d'empathie, d'ouverture et de respect. Depuis le village de Gordes, dans le sud de la France, où elle vit désormais sans plus pouvoir écrire (son dernier romanLe Fabuleux et Triste Destin d'Ivan et d'Ivana figure au palmarès 2017 du Point ), a réagi ce 12 octobre en nous confiant dédier son prix « à mon mari, à mes enfants et petits-enfants et surtout à la Guadeloupe qui a voté massivement pour moi et sans qui je n'aurais peut-être pas cette distinction. Pour moi, enfin, la voix de mon pays se fait entendre : une voix qui n'est pas celle d'un département français mais qui n'est pas africaine non plus ». Dès l'annonce de sa nomination, Maryse Condé nous avait accordé l'entretien qui suit. À quoi servent les prix littéraires de votre point de vue, et quel est, parmi ceux que vous avez reçus, celui qui vous a le plus touchée ? Les prix littéraires sont trop souvent un moyen de satisfaire telle ou telle maison d'édition réputée puissante ou, comme je l'ai dit, un pays que l'on ne veut pas blesser. J'ai eu souvent l'impression qu'appartenir à une île pauvre, dont personne ne se soucie, comme la Guadeloupe, était un handicap dans ma carrière littéraire. J'ai eu beaucoup de plaisir à recevoir le prix Marguerite Yourcenar décerné pour mon livre Le Cœur à rire et à pleurer à un écrivain de langue française vivant aux Etats-Unis. Il ne s'agissait pas d'une quelconque allégeance à la Francophonie à laquelle je ne crois pas. C'était une manière d'affirmer ma spécificité : je suis originaire d'une île des Antilles colonisée par la France. Que représente à vos yeux le Nobel (celui qui n'est pas décerné cette année) dans l'histoire littéraire universelle ? À quoi sert-il ? Comme tout écrivain, j'avoue naïvement que le prix Nobel est considéré comme la récompense suprême. Personnellement, je n'y ai jamais vraiment rêvé, car elle me paraissait inaccessible pour beaucoup de raisons : femme, noire, originaire d'un petit pays auquel nul ne fait attention et que nul ne se soucie de heurter comme c'est le cas pour des pays considérés comme importants. À quoi sert un Nobel ? Peut-être d'abord à persuader l'écrivain que son travail n'est pas dénué de valeur comme il a tendance à le croire trop souvent, car on ne le répétera jamais assez : un écrivain est un être rempli de doutes et d'interrogations sur lui-même. Au regard de vos combats d'écrivaine, de femme, de militante, de prof, comment regardez-vous les combats des générations suivantes : féminisme, racisme, décolonialité, notamment la question de décoloniser les arts ? Il y a trop d'abus commis contre les femmes. Voyez ceux qui ont été révélés cette année. En regardant la télévision, j'ai appris avec stupeur que les hommes sifflent encore au passage des femmes qu'ils trouvent aguichantes et font des remarques outrageuses. Je croyais que pareil comportement déjà fustigé n'avait plus cours depuis longtemps. J'avoue que je suis souvent étonnée, car j'étais convaincue que ma génération, par ses luttes, avait résolu certains conflits. À ma surprise, ils durent encore et donnent la preuve que les sociétés changent lentement. J'ai beaucoup d'admiration pour le mouvement « Décoloniser les arts », car il s'efforce d'apporter la tolérance dans le monde fermé de la création où elle est souvent méconnue. En outre, plusieurs de mes amis en font partie. Comment allez-vous, et qu'est-ce qui aujourd'hui vous préoccupe, vous soucie, vous réjouit ? Maintenant, mon principal souci est certes ma santé qui laisse à désirer. Cependant, je me suis mise à aimer cette région : Avignon, Aix-en-Provence, Marseille, L'Isle-sur-la-Sorgue, Menerbes et Gordes où j'habite. Les gens qui n'avaient jamais entendu parler de moi et me prenaient pour une Française m'écoutent avec surprise et curiosité et, toujours en même temps, avec une infinie tolérance. Nous parlons ensemble de sujets qui peuvent surprendre : imaginez cela, l'indépendance de la Guadeloupe. Etait-ce vraiment un rêve irréalisable ? Pire, une utopie ? Je ne le crois pas