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"Les femmes font l'Histoire"
Rencontre avec Najet Abdelkader Fakhfakh, auteure de «La liberté en héritage, journal d'une tunisienne»
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 02 - 2017

Troisième rencontre organisée par la Compagnie des Vives Voix à la librairie Millefeuilles, avec, à l'honneur, cette semaine, l'écrivaine et universitaire tunisienne, Najet Abdelkader Fakhfakh, qui s'est livrée à un échange des plus enrichissants avec un public venu nombreux la découvrir.
Comment êtes venue à l'écriture ?
Quand je suis descendue, les 6 et 13 août, dans la rue, avec des milliers d'autres femmes pour manifester notre mécontentement, notre exaspération et notre crainte grandissante face à la montée de l'obscurantisme, une pulsion presque viscérale m'a poussée à écrire. Ecrire, dans l'urgence, pour répondre au monde entier qui s'interrogeait sur les sources de notre courage, notre détermination, notre combativité. Ecrire pour démontrer qui nous étions vraiment. Ecrire, pour expliquer notre différence par rapport aux autres femmes du monde arabo-musulman. Ecrire, pour prouver que rien n'est fortuit, que notre émancipation est ancrée en nous, qu'elle n'est pas l'œuvre d'un seul homme —certes Bourguiba a donné un sérieux coup de pouce en institutionnalisant les droits de la femme, mais il a trouvé un terrain favorable pour promulguer le Code du Statut Personnel— d'autres hommes et femmes avant lui, depuis des siècles, lui ont facilité la tâche. Il n'aurait pas pu agir de la sorte ni en Algérie ni au Maroc ou en Libye. Ecrire pour rendre hommage aux Tunisiennes qui, depuis 3000 ans, sont méconnues, voire oubliées involontairement ou volontairement. Les femmes font l'Histoire, n'en déplaise à certains ! Ecrire pour transmettre, pour raconter le passé, le présent aux générations futures et contrecarrer ainsi des forces malveillantes qui profitent de la méconnaissance de l'Histoire de la Tunisie par la majorité des jeunes, pour gommer le passage de quelques civilisations et en favoriser d'autres. «Un pays qui oublie son passé n'a pas d'avenir», cette réflexion de W. Churchill demeure d'actualité. Ecrire, enfin, pour le plaisir de triturer les mots et les phrases même si leurs accouchements se font souvent dans la douleur. Je crois que l'oxymore plaisir douloureux qualifie bien, dans mon cas, l'acte d'écrire.
Pourquoi le choix de ces trente femmes ?
Ces personnalités féminines vouent, toutes, un amour indéfectible à leur pays, elles ont une soif inextinguible de savoir et de connaissance et un désir exacerbé de liberté. Pour Om Millel, elle est très peu connue, j'ai donc voulu la sortir de l'ombre. Elle est l'unique femme qui ait dirigé l'Ifriqiya en tant que régente. Elle a gouverné autrement, avec équité, sagesse et générosité. Aucun conflit notable entre les tribus n'a été signalé au cours de ses années de règne.
Quant à Zoubeida B'chir, elle est la première poétesse, qui a publié un recueil de poèmes. Et quels poèmes ! Cette autodidacte ose y parler d'amour et parfois d'érotisme. Elle a l'audace d'épancher ses sentiments, de dévoiler ses désirs par l'écriture. Je pense que, grâce à elle, les Tunisiennes ont commencé à écrire. C'est pour cette raison que le Credif (Centre de recherches, d'études, de documentation et d'information sur la femme), a donné son nom à un prix récompensant les écrits des femmes. J'ai eu l'honneur de le recevoir en 2015.
Parlez-nous de vos influences littéraires féminines...
Avant d'écrire, il faut lire, encore lire, toujours lire pour reprendre la fameuse formule de Danton : de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace.
J'ai commencé à lire dès l'âge de 8 ans. Au fur à mesure de mes lectures, je devenais une femme qui pense, réfléchit, analyse, critique. Initialement, il y a eu une Najet avant et après la découverte de la philosophie.
Je ne puis trouver de meilleure transition que cette citation de Marguerite Yourcenar qui écrivait : «Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-même: mes premières lectures ont été les livres». Je dois avouer avoir lu qu'un seul ouvrage de MY : Mémoires d'Hadrien (1951), il m'a tellement subjuguée qu'il m'a peut-être donné l'envie d'écrire des romans historiques autrement.
D'abord, l'auteure, première femme à faire sauter le verrou qui ouvre l'accès au cercle très fermé des académiciens et à devenir immortelle. Ensuite, elle écrit à la première personne du singulier, prenant ainsi la place de son personnage masculin, l'empereur romain Hadrien, malade, qui adresse une longue lettre à son petit-fils adoptif, Marc Aurèle, dans laquelle il raconte sa vie et médite sur la maladie, la guerre, le pouvoir, la philosophie, l'art, la mort et l'amour qu'il éprouve pour le bel Antinoüs, fusionnant complètement avec cet homme d'Etat du IIe siècle après J.-C., éclairé, humaniste, aimant la musique, helléniste. J'ai trouvé cette démarche innovante et audacieuse. Puis, j'ai été fascinée par son incroyable connaissance et son interprétation de l'Histoire ; l'Histoire sous le regard scrutateur d'un personnage historique, un homme, qui écrit ses mémoires avant de mourir. Enfin, l'écriture, claire, pure, classique. L'érudition rendue légère et accessible grâce à la magie des mots et du style. Je n'aime pas les textes pédants.
Une autre lecture m'a marquée : Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras. C'est un roman de l'attente jusqu'à ce que le lecteur ressente la nausée.
C'est un roman engagé qui démonte un système colonial de l'intérieur : âpre combat d'une femme contre une administration rapace qui exploite autant les autochtones que les petits colons. Le barrage contre le Pacifique est une image, une métaphore qui présage, anticipe la prochaine décolonisation. Nul ne peut résister à la nature. Tôt ou tard, la nature reprend ses droits comme les pays colonisés recouvrent leur indépendance. Mon prochain roman serait un questionnement sur la colonisation en partant d'un événement historique peu connu : la bataille de Sfax.
Je suis toujours très curieuse de lire les travaux d'écrivaines, d'aller voir les spectacles musicaux féminins, les expositions et les films de réalisatrices et de metteures en scène tunisiennes. Il faut bien sûr les encourager mais surtout être au diapason de leurs œuvres et de leurs centres d'intérêts. Depuis la révolution, la création féminine se porte plutôt bien. Elle est diversifiée, innovante, audacieuse, voire téméraire et elle est récompensée, exemple du livre de Faouzia Zouari, Le Corps de ma mère, Comar d'Or 2016.
Un roman a particulièrement attiré mon attention, c'est celui de Azza Filali : Ouatann, mais je dois avouer que je lui ai préféré Chronique d'un décalage (2005). J'ai eu un certain plaisir à le lire même si l'auteure trouve avec le recul que son écriture est «trop comme il faut», qu'il lui manque un grain de folie. Filali nous entraîne avec son personnage Zohra jusqu'aux frontières de la folie. Le lecteur suit la narratrice, aux prises avec son personnage, dans son acte d'écriture. C'est cette démarche qui m'a fortement intéressée.
J'ai découvert plus récemment, grâce au précieux conseil d'une amie, la quatrième auteure qui m'a profondément secouée, un véritable électrochoc. Cette rencontre tardive a répondu à toutes mes attentes littéraires. Un vrai modèle. La vie de cette femme de lettres est déjà un roman( 1936-2015) : pour ne pas choquer et porter préjudice à sa famille. Il s'agit de Fatima-Zohra Imalayène, une écrivaine remarquable qui s'invente un pseudonyme pour publier son premier roman Soif et devient Assia Djebar, deux termes presque antinomiques (consolation et intransigeance). Son talent littéraire, déjà apprécié par le Général De Gaulle, lui ouvre les portes de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et celles de l'Académie française, elle y remplace Georges Vedel au fauteuil numéro 5, en 2005. Elle est le premier auteur d'Afrique du Nord à occuper cette place honorifique, et bien-sûr la première femme musulmane. Dans ses nombreux travaux, elle parle souvent des deux cultures, des deux communautés qui entretiennent des rapports difficiles et ambigus de sorte qu'ils engendrent des obstacles à la quête de soi, à la construction d'une nation, au développement d'une langue( la langue française). Une permanence de deux territoires que l'on retrouve clairement dans l'incipit de son roman «l'Amour, la Fantasia» (1985). Cet extrait est très important et très intéressant à découvrir dans la mesure où il nous éclaire sur le projet d'écriture d'Assia Djebar. Une autre caractéristique de cette remarquable écrivaine qui me plaît c'est qu'elle commence ses romans par l'individuel pour ensuite s'ouvrir sur le collectif, elle joue avec le temps (passé lointain/passé récent), elle jongle avec les pronoms personnels, elle passe du elle au je, du il au nous multipliant ainsi les narrateurs, et ce, dans une écriture maîtrisée et savante. J'apprécie le subtil mélange entre son histoire personnelle, ses amours naissantes et la prise d'Alger qui, indéniablement, est la cause de cette situation contradictoire qui se reflète au début du roman. En mêlant l'écriture de soi à celle de l'histoire, Assia Djebar inaugure un genre autobiographique qui me séduit.
Et pour finir, «Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses», d'après vous ?
Quand les femmes agissent, sortent de leur silence, dépassent leur pudeur, quand elles osent aller fouiller dans les méandres de leurs pensées, de leurs réflexions, de leurs envies, de leurs pulsions pour les exprimer librement dans un livre, quel que soit le thème de leur ouvrage, elles dérangent. Ecrire est un acte subversif dans la mesure où il livre un message qui, potentiellement, risque d'éveiller les consciences, remettre en question des superstitions, ébranler un conformisme enraciné depuis des siècles au profit d'une catégorie d'individus. Le livre escalade les remparts les plus hauts et les prisons les mieux gardées. C'est pour cette raison que tous les régimes totalitaires et théocratiques brûlent les livres. Le film de Youssef Chahine, «Le destin», qui retrace la montée de l'intégrisme dans l'Andalousie à l'époque du grand savant et philosophe Ibn Rochd, Averroès, illustre parfaitement la menace que représentent les écrits de l'exégète. Olympe de Gouges, femme de lettres et révolutionnaire, considérée comme la pionnière du féminisme français a été guillotinée, 1793, au XVIIIe siècle, en pleine révolution, pour ses écrits subversifs. Elle a milité pour de nombreuses causes : pour les droits des Noirs, en écrivant une pièce de théâtre, «Zamore et Mirza», ou l'heureux naufrage. Pour ceux des femmes en publiant : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, texte qui sert de pendant à la Déclaration promulguée par l'Assemblée Constituante qui en excluait les femmes. Elle considérait que si la femme avait le droit de monter à l'échafaud, elle deuvrait avoir également celui de monter à la tribune. Cependant, l'écrit qui lui a été fatal, fut celui où elle a fustigé sans ménagement Marat et notamment Robespierre «l'opprobre et l'exécration de la Révolution» qu'elle accuse de vouloir instaurer une dictature. Là, j'ai pris un exemple extrême. Mais, aujourd'hui, sous d'autres cieux, elles sont encore menacées de mort car elles informent, elles sont des passeuses d'idées. Elles sont la lueur qui guide les autres femmes dans les ténèbres, elles sont l'étincelle qui risque d'allumer un brasier. Les femmes qui écrivent sont dangereuses car celles qui les lisent le deviennent.


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