Tout porte à croire que le gouvernement décrètera, le 4 Avril prochain, la prorogation du confinement total pour 14 jours supplémentaires. De très crédibles indiscrétions du côté de la Kasbah font, en effet, état de l'impérieuse nécessité -quoique à contrecœur- de persister dans cette voie, à doses homéopathiques et à coups de prorogations, histoire de conjurer la psychose sociale qui s'est, pourtant, bel et bien installée. Abdellatif El Mekki, ministre de la Santé publique, a même parlé de l'éventualité d'un confinement qui irait jusqu'au…31 décembre. Le constat est clair, cependant. Seuls le ministère de la Santé publique et la Commission ad hoc de lutte contre le Covid-19, installée à l'Aouina et présidée par le Chef du gouvernement en personne, connaissent la réalité sur le terrain. En tous les cas, du moins au volet de la transparence, le ministère communique au jour le jour quant aux nombre de contaminations qui va crescendo. En fait, aucun pays au monde ne sait jusqu'où ira la pandémie. Or, plus on communique et, paradoxalement, plus les citoyens, plus bon nombre parmi nos élites et davantage de députés cherchant à clouer le gouvernement au pilori, alimentent la suspicion. Dans le déni, tout autant que dans le désarroi, ils émettent des réserves quant à la véracité de ce que communique le gouvernement. Quand Nizar Yaïch souffle le chaud et le froid Pour autant, le problème réel qui se pose pour le gouvernement tient essentiellement à une problématique dichotomie. Nizar Yaïch, ministre des Finances, a cru bon de souffler le chaud et le froid. Le chaud ? C'est lorsqu'il se dit capable d'adopter la fameuse « comptabilité à partie double » et, donc, assez paré pour assumer le coût de cette pandémie (2,5 milliards de dinars). Le froid, c'est lorsqu'il dénonce le système « obsolète » de comptabilisation du budget 2020. Il se trouve, néanmoins, que des mesures d'exception doivent être mises en place, et en toute urgence. La Santé publique a besoin de moyens colossaux pour aménager et équiper des espaces d'isolement et autant d'unités d'urgence spécifique pour les patients atteints du Covid-19. Quitte à racler dans d'autres rubriques, des fonds énormes doivent être alloués aux unités hospitalières, aux unités sécuritaires et aux forces armées. Et ces fonds sont absolument nécessaires pour les équipements logistiques, pour les médicaments nécessaires, tout autant que pour les équipements des forces en première lignes : l'appareil sanitaire et l'appareil sécuritaire. Cela va de pair. Des voix s'élèvent aujourd'hui -les constitutionnalistes autant que les économistes- appelant à un changement de statut de le Banque centrale. Il se trouve, en effet, qu'en vertu d'une loi votée en 2016, la BCT, devenue trop indépendante, ne prête plus directement à l'Etat. Elle prête aux banques, lesquelles banques prêtent à leur tour à l'Etat. Et l'on en imagine les taux. Oui mais, seule une loi peut abroger une loi, en vertu du principe du parallélisme des formes. En tous les cas, les décrets lois qui seront « généreusement » autorisés grâce à la grande « mansuétude » de l'ARP ne l'y autorisent pas. Un moratoire sur la dette ? La Banque mondiale et le FMI y consentent pour tous les pays affiliés. Le défi que doit maintenant relever le gouvernement est d'éviter autant que possible de recourir à de nouveaux emprunts extérieurs. Est-ce jouable ? Premier dilemme donc. Sécurité sanitaire ? Et la sécurité alimentaire ? On entend, partout, dire que cette crise représente aussi une opportunité pour le retour de l'Etat régulateur, pour l'Etat-providence. On entend, aussi, la montée en flèche des slogans appelant à l'interventionnisme étatique, essentiellement sur le plan sanitaire, qu'au regard de la sécurité alimentaire que du côté de la sécurité tout court. Un peu dans le style américain pour conjurer la crise de 1929 et les affres de la récession qui s'est, vite globalisée, telle une trainée de poudre. Le scénario change. Mais le Covid-19 en exerce les mêmes répercussions, en dehors des pays riches. Et, tout près dans le temps, mais avec des effets moindres, il y a le crac du Lehman Brothers de 2008. Face à tous ces tsunamis, les Etats se sont repliés sur eux-mêmes, faisant preuve de résilience. Est-ce dans nos cordes ? Le fait est que nous subissons des dépendances vis-à-vis de l'étranger. On parle de tests PCR, on parle de tests rapides, on parle de tests Anticorps. Là, les spécialistes, et même au niveau du ministère de la Santé lui-même, ont des avis divergents. Et, à supposer même qu'on y ait recours, la matière première, nous devons encore l'importer. Tout autant que celle inhérente à la fabrication à grande échelle de l'Hydro-chlorophine qui fait l'objet de grandes controverses dans le monde. C'est là, qu'on mesure l'ampleur du retard accusé par l'industrie pharmaceutique en Tunisie. Et tout autant que le nombre réduit de laboratoires privés équipés pour : on en dénombre à peine 20 dans tout le pays, en dehors des six laboratoires de la Santé publique. Le problème prend, cependant, autrement plus de l'acuité au niveau de la sécurité alimentaire. Oui pour la prorogation du confinement total. Car nous ne sommes pas en reste, en effet. Tous les pays s'orientent dans ce sens. Sauf que des pans entiers de la population accusent, déjà, en temps normal, un déficit alimentaire. Ils ne vivent que de semoule et de farine. Autant de produits vitaux trustés par les barons de la contrebande. La fermeture des marchés, les circuits parallèles de ravitaillement dans les contrées reculées du pays, la bêtise ayant consisté à n'ouvrir le marché du gros que trois fois par semaine, bêtise à laquelle le ministère du commerce a remédié (mais le mal est fait comme déjà étayé par notre journal), tout cela aura généré une spirale dépressive jamais enregistrée auparavant. Et, c'est quoi, 200 misérables dinars alloués sur 14 jours aux 63 mille cinq cent familles vivant sous le seuil de pauvreté ! Au final, c'est le spectre de la faim qui plane. Et, la faim, on le sait, ne connait pas le Covid-19. Elle brave aussi toutes les mesures sécuritaires. Elle peut générer des émeutes. C'est là que le dilemme prend toute sa dimension, allions-nous dire, tragique. C'est même plus tragique que le classique dilemme cornélien.