Le Président de la république est parfaitement dans son rôle lorsqu'il décrète le redéploiement de l'armée pour soutenir les forces de sécurités intérieures face aux dérives en tous genres auxquelles nous assistons, au déficit du sens premier de la citoyenneté de la part de bons nombre parmi nos compatriotes insensibles aux appels tenant au confinement total. Des dépassements en tous genres ont été enregistrés, ce qui a fait, qu'hier, Nissaf Ben Alaya s'est à peine retenue de crier à l'apocalypse, dans un coup de gueule frisant l'hystérie. Le ministère de la Santé publique, en première ligne dans cette guerre contre un ennemi invisible, ne peut pas, en effet, à lui seul endiguer le mal. De surcroît, il se pose un sérieux problème de dysfonctionnement au niveau des communes et des collectivités locales qui sont tout de même au nombre de 350 dans notre pays. Disparités régionales grandeur nature Dysfonctionnement, d'abord, depuis que le Président, pourtant idéologiquement porté sur le localisme décentralisé, déclare, lors de la tenue du Conseil de sûreté nationale, que tous les gouverneurs et, donc, tous les maires doivent se conformer aux consignes venant de l'administration centrale. Cela aura généré une espèce de cafouillage et, surtout, au regard des latitudes décentralisatrices données, la veille, par le Chef du gouvernement aux gouverneurs. La loi de 1978 instituant l'Etat d'urgence, dans l'esprit, habilite en effet les gouverneurs à prendre les mesures inhérentes à leurs régions respectives. Mesures sécuritaires en premier lieu, elles d'abord, et toutes les autres mesures d'accompagnement, tenant à la sécurité sanitaire et la sécurité alimentaire. A chaque région ses besoins et ses impératifs. Il y a aussi des gouvernorats plus nantis que d'autres, et cette pandémie vient confirmer les déplorables disparités régionales et qui se sont encore plus creusées depuis la révolution où tout s'est fait pour affaiblir l'Etat. Il n'échappe à personne, en effet, que l'Etat, le sens de l'Etat, s'est effiloché depuis neuf bonnes années dans une parodie de parlementarisme au nom de la démocratie, un parlementarisme, pour le moins clientéliste, si ce n'est qu'il est mû par le tonitruant retour en force des « idéologies » qui s'entrechoquent et qu'illustre la mosaïque parlementaire. Pour autant, en cette période de « guerre » et, au-delà des dysfonctionnements au niveau des gouvernorats, en aval, les mairies ne parviennent pas, elles non plus, à se concerter, criant leur désarroi (Moez Bouraoui à la Marsa, le doyen Fadhel Moussa à l'Ariana) déplorant le manque de moyens à leur disposition, déplorant aussi le déficit de communication avec les Départements ministériels, dont, essentiellement le ministère de la Santé. L'affaire des 18 Tunisiens qui ont galéré à la Marsa, à leur retour d'Italie, le week-end dernier, et toutes les confusions autour de ce qui s'est réellement produit à la clinique de la Soukra en sont l'illustration. On ne peut pas se permettre, en effet, « le luxe » d'une rétention de l'information en ce contexte de pandémie, où la moindre petite information est susceptible d'épargner des vies humaines. Mais, il n'y a pas que le désarroi. Il y a aussi la rébellion. Les maires de Tataouine et du Kram-Ouest ont carrément proclamé des « émirats » dans leurs régions. Dans ce sens, l'action des gouverneurs et la coordination avec l'administration centrale deviennent impérieuses. Lotfi Zitoun, ministre des collectivités locales a, certes, communiqué une forte batterie de mesures. Est-on néanmoins certains que les 350 collectivités s'y conformeront. Et de quels moyens logistiques dispose-t-il pour les imposer ? On n'y échappe pas : un vrai « chef de guerre » ! Tous ces dysfonctionnements, on le comprend, peuvent à la limite s'inscrire dans la logique de ce contexte imprévisible, de ce mal qui frappe de plein fouet. On a vu des nations autrement plus nanties que la nôtre (l'Italie, l'Espagne, voire la France) cafouiller, elles aussi, pour n'avoir pas su être promptement réactives et, aussi, à la faveur d'une irrépressible désobéissance civile. Pourquoi la Chine, de là où est parti le virus, n'enregistre-t-elle plus de nouveaux cas de contamination depuis quelques jours ? Plus que la dictature, c'est l'Etat fort. C'est les lois. En ce qui nous concerne, et quoique la pandémie se maintienne à des niveaux somme toutes « tolérables », il y a aussi le prix à payer pour faire face à la crise. Le prix ? Il est plus d'ordre institutionnel que politique. A savoir, le retour de l'Etat centralisateur et l'émergence d'un véritable « chef de guerre ». Dans l'architecture des pouvoirs, chez nous, et puisque cette architecture met tout naturellement le Chef du gouvernement en première ligne, il faudra bien, tout de même lui délier les mains. L'exigence première, aujourd'hui, c'est qu'il puisse recourir à l'article 70 de la constitution. Cet article lui confère les pouvoirs inhérents à l'exercice des décrets-lois pour une durée de deux mois et dans les limites bien précises, en l'occurrence, toutes les mesures en ce contexte de Covid-19. Sauf qu'il ne pourra actionner cet article 70 qu'à condition que l'ARP l'y autorise, en plénière, et à hauteur de 135 voix au minimum. Aujourd'hui, la présidence du gouvernement en a fait la requête au bureau de l'ARP. Celui-ci en saisira les commissions concernées avant d'en décider, d'abord, l'opportunité, ensuite d'en décider la date de la plénière, si ce premier écueil est franchi. Car, il se trouve que le plus gros des mesures annoncées par Fakhfakh ne sauraient être concrétisées en dehors du cadre de l'article 70 de la constitution. Sans cette « autorisation », ces mesures resteront autant de lettres mortes. Et, il se trouve que ces mesures sont impérieuses. Vitales. Vitales pour le droit à la vie, pour « le devoir de vie » et pour la survie de l'économie tunisienne, les entreprises, les emplois et, surtout, une large frange de la société tunisienne, déjà précarisée, et qui voit se dresser devant elle le spectre de la famine. Les mesures annoncées par Fakhfakh sont détaillées, précises, mais elles procèdent aussi d'un check up « scientifique » de la situation socioéconomique du pays. Et elles sont incontournables. Maintenant, tout dépend du Parlement. Fakhfakh se propose comme « chef de guerre » pour deux mois. Un cadeau providentiel. Si, nos honorables 217 élus du peuple ne l'acceptent pas comme tel et ne lui accordent pas ces pouvoirs, c'est la fameuse formule de Churchill, des temps de la guerre contre le nazisme, qui redevient d'actualité : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre »