Histoire collective, mémoire picturale et tensions individuelles tissent et nouent leurs traces dans la peinture d'Abbés Boukhobza. Cet autodidacte proche de Sahli et Rouan a su opérer des synthèses infinies et s'affirme comme une valeur aux résonances internationales. Le foisonnement de couleurs et les modules qui se reproduisent à l'infini sont deux des tours de main de l'artiste Abbès Boukhobza qui, entre son île natale de Djerba et la ville-lumière de Paris, a le vent en poupe. Traces, empreintes, fusions et rebonds Après une période d'apprentissage, Boukhobza a eu deux rencontres déterminantes dans son parcours artistique. La première l'a mis devant la technique modulaire du regretté Abderrazak Sahli dont les approches spatiales et la chromatique avaient profondément inspiré les premières années de Abbés Boukhobza. S'inspirant de la démarche de Sahli tout en y injectant ses propres visions, le jeune artiste avait commencé à se faire connaître par son onirisme et la patience de ses constructions. Une géométrie délibérément éclatée et des structures qui semblaient s'échapper vers des circonvolutions imbriquées devenaient peu à peu les caractéristiques de la peinture de Boukhobza. Une explosion de couleurs accompagnait ce déploiement et, pour être plus précis, en était une partie essentielle. Dans cette exubérance chromatique et cette richesse des signes et symboles, la pratique de Boukhobza avait trouvé un premier ancrage, un terreau aux perspectives modulaires infinies. Ce monde propre qu'il avait construit à la proximité de Sahli, allait être à la fois amplifié et remis en question avec une seconde rencontre capitale. Admis auprès de François Rouan, Abbès Boukhobza allait vite s'imprégner de la technique de cet artiste incomparable. Ami de Balthus, animateur de l'approche Supports/Surfaces, Rouan a pris le jeune artiste tunisien sous son aile et l'a installé dans de nouvelles perspectives picturales. Ainsi, Boukhobza allait devenir plus sensible à la notion de trace ou d'empreinte. Il allait peu à peu intégrer ses modules dans un jeu d'entrelacs et des structures en labyrinthe. Brassant les couleurs et repensant l'espace de la toile, Boukhobza parvenait dans la foulée du maître, à multiplier les variations, ponctuer ses motifs de fusions et rebonds et bouleverser ainsi le périmètre de la toile. Plus visuelle, instaurant des répétitions en tressage et multipliant les échos chromatiques, la peinture de Boukhobza a pris un nouveau chemin de couleurs et beaucoup gagné en maturité. Une véritable poétique de l'étonnement Une nouvelle autonomie plastique sillonne les oeuvres de l'artiste tunisien qui, abstraction bien comprise, découvre les horizons de sens et leur traduction dans l'espace. La dissémination de motifs entrecroisés, interrompus, disséqués, opère des superpositions et des répétitions qui atteignent une plénitude de sens. Les modules sont désormais démultipliés mais pleinement autonomes. Proches des tressages de Rouan ou des illuminations de Sahli, ils s'en distinguent par une propension à jouer les lignes obliques et les croisements impromptus. Nodale, la dissémination telle que la recherche Boukhobza s'exprime par des ruptures qui libèrent des énergies et des couleurs qui sont l'architecture véritable des tableaux. Cette maîtrise de l'espace et sa composition en plans qui s'emboîtent crée une topologie qui interroge méticuleusement le sens. En effet, la peinture de Boukobza se veut aussi démonstrative et cherche son credo dans un jeu d'interférences et d'interprétations. Il n'est pas rare que l'artiste invoque des métissages ancrés dans les monothéismes. Se voulant démonstratif, l'artiste noue en permanence des proximités et semble puiser dans les entrailles du fonds commun "abrahamique" la dimension théorique de sa peinture. Si l'esthétique l'emporte, il n'en reste pas moins que la combinatoire des motifs est en soi signifiante. C'est d'ailleurs cela qui structure profondément le travail actuel de Boukhobza à propos duquel les lectures critiques demeurent insuffisantes. Il est plus que temps de découvrir la nouvelle maturité de cet artiste, brillant autodidacte dont la soif d'apprendre et les visions généreuses se traduisent par une véritable poétique de l'étonnement.