Modeste mais bonne initiative d'Attijari Bank, l'exposition d'art qui est montrée au siège de la banque (rue Hédi Karray), au Centre Urbain Nord. Cette exposition rassemble les œuvres d'art tunisiennes faisant partie d'une collection dont la création a été décidée et entamée il y a à peine trois ans. Les banques en Tunisie ont rarement sollicité l'art. Seules quelques banques telles que l'UIB de Taoufik Torjmène, ont investi dans l'art avec une collection de plusieurs centaines de tableaux. La BIAT a tenté de réaliser une collection mais a interrompu l'opération. L'ATB a rassemblé quelques œuvres pour décorer ses bureaux centraux. La STB a entrepris également de regrouper avec Hassen Belkhodja, un grand nombre d'œuvres d'art. La Banque Centrale possède aussi quelques tapisseries monumentales surtout celles de Safia Farhat. Les autres banques ont acquis quelques œuvres provenant surtout du groupe de l'Ecole de Tunis. Attijari Bank entame sa collection surtout après la recommandation de la banque mère Wafa Bank. L'action de la fondation Wafa au Maroc a été appréciée très positivement par les artistes marocains au niveau de la dynamique insufflée dans le marché de l'art au Maroc, et qui pourrait jouer ainsi un rôle culturel et artistique d'avant-garde. En Tunisie, en dehors de l'expérience systématique de l'UIB, aucune autre banque nationale ou privée n'a adopté l'idée de faire de l'art, un créneau d'investissement porteur. L'art reste un domaine marginal non sérieux. La peinture reste également pittoresque tout juste propre à décorer certains bureaux. Si l'art est considéré comme un phénomène secondaire, il ne peut pas être un produit lucratif, un objet capitalistique, un objet de collection donc. D'où la faiblesse des collections privées bancaires. Les cadres et les responsables bancaires, les propriétaires des banques manquent malheureusement de visions culturelles et n'ont pas vu que le secteur artistique pourrait être l'occasion de lancer des opérations financières rentables à moyen ou à long terme. En Tunisie, le marché de l'art est resté un marché à court terme ignorant la spéculation autour des collections. Certes, quelques collectionneurs ont essayé de se constituer une collection mais ces collections sont restées personnelles, essentiellement centrées sur les œuvres orientales ou néo-orientalistes... et cela ne peut pas constituer les prémices d'un marché. Les salles de vente de Richelieu-Drouot continuent à monopoliser ce marché. Les Tunisiens font le voyage à Paris pour s'approvisionner en art orientaliste et même en art néo-orientaliste du groupe de l'Ecole de Tunis. A défaut de pouvoir acquérir certaines œuvres... Les spéculateurs ont alors recours aux faux pour répondre aux sollicitations des clients en quête de produits orientalistes ou néo-orientalistes. La collection montée aujourd'hui, par Attijari Bank, en son siège ne contient pas d'œuvres du groupe de l'école de Tunis, elle compte une trentaine d'œuvres éclectiques « dépareillées » ne pouvant refléter totalement le mouvement pictural et plastique tunisien. Il reste cependant que l'exposition révèle beaucoup d'œuvres personnelles intéressantes de type individuel non « systématisable » en démarche de groupe ou de tendance. L'art est une expression individuelle Ali Bellagha, même appartenant à l'Ecole de Tunis, est montré dans cette exposition, dans sa singularité, d'artiste-artisan à travers quelques œuvres centrées sur le travail de gravure sur bois peint. La démarche de l'artiste ne visait pas la rupture avec l'artisanat au bois traditionnel mais réussissait à intégrer le volume dans les surfaces plates du bois. Ce qui représente quand même une rupture, une douce rupture dans l'adoption du tableau, comme pratique autonome artistique. Ali Ben Salem est également présent dans cette collection, le catalogue réalisé par Rachida Turki restitue tous les éléments biographiques de ce premier étudiant tunisien à l'Ecole des Beaux Arts de Tunis, créée en 1923. Après avoir produit des œuvres (aquarelle) dans les années 30-50 du siècle dernier, Ali Ben Salem séjourna en Suède. En 1970 il revient à Tunis où il développa une nouvelle démarche fondée sur un retour formellement de type traditionnaliste, mais où réellement il procède par la répétition dans toutes ses toiles de modules invariables presque similaires sur un espace toujours le même, mais où les couleurs peuvent varier presque insensiblement. Les modules, fleurs, gazelles, visages de femmes aux grands yeux bleus, corps presque voluptueux expressions douces d'un monde figé sans heurts, sans malheurs où tout est beau, serein... Les pionniers ne sont pas non plus présents. L'absence de certains artistes se fait sentir. Mais, les surprises au niveau de la présence de certains artistes comme Naceur Ben Cheikh relève un peu le niveau de la collection... Cela fait des décades que nous n'avons pas vu d'œuvre de Naceur Ben Cheikh. Son tableau exposé a été peint en 1963. Le Sahel brûlé dans un magma rouge où baignent des éléments graphiques semi-figuratifs, semi-abstraits. L'approche est cependant abstractive dans sa globalité tout en restant sensible à une certaine présence figurative... Le mouvement est également invoqué dans une ambiance bi-chromatique austère... Cela nous rappelle les premiers gestes picturaux des grottes préhistoriques. Il est clair que la collection telle qu'elle a été montrée contient également des œuvres individuelles intéressantes comme celle de Mongi Maâtoug , maître en composition et en combinaison de couleurs très chaudes et en expression nuancée et poétique, entre figuration et abstraction. L'autre œuvre qui n'est pas colossale et dont la démarche pourrait être similaire à d'autres comme celle de Mongi Maâtoug est l'oeuvre de Rafik El Kamel. Ce tableau est à mi-chemin également entre figuration et abstraction. Les éléments compositionnels procèdent d'une purification de la représentation. Ils évitent les précisions figuratives orientalistes ou néo-orientalistes, mais évitent également le formalisme abstractif pour adopter une démarche transitionnelle, où la « transfiguration » opère dans une sorte de raccourci très caractéristique de la peinture de Rafik El Kamel, un raccourci présent au niveau de la figuration mais aussi à des exercices abstraits de Rafik El Kamel. L'autre présence qui nous a semblé intéressante, c'est celle de H. Bouabana. Ce peintre appartient à deux écoles, celle expressive lyrique et celle de la figuration libre ouverte sur l'hybride dans son tableau « La chevauchée ». L'expressionisme lyrique est également très présent chez Lamine Sassi, Megdmini et même chez Imène Berrhouma. Lamine Sassi semble avoir été capable de pénétrer la toile pour s'y installer en y marquant l'espace de ses grands mouvements lyriques en clair-obscur et en traces chromatiques très contrastées. « Le modulaire » En dehors de cette tendance assez regroupée (Lamine Sassi, Mguedmini, Imène Berrhouma, peut-être Mongi Maâtoug), il nous semble que certains autres peintres peuvent être regroupés dans une deuxième démarche assez présente dans l'exposition qui est celle plus contemporanéiste liée à la peinture « modulaire » mais qui est différente de celle de Aly Ben Salem. Ces peintres, dont nous parlons, sont : Baker Ben Fraj, Samir Triki, Rachid Fakhfakh, Néjib Belkhodja, Imed Jmaïel, Fatma Charfi... Certains parmi ces peintres préfèrent se référer à l'arabesque ou à la lettre arabe et à la calligraphie. D'autres plus « organiques » se réfèrent à la nature comme Baker Ben Braj, ou dans une certaine mesure, Sami Ben Ameur. Quant à Abderrazak Sahli, il « modélise » et structure les éléments très différents les uns des autres... objets et animaux tout passe par la structuration de l'informel. La collection d'Attijari Bank, quoique récente est assez intéressante. Elle est modeste. Elle a les défauts de la jeunesse, elle a, cependant, le mérite de représenter pour les peintres tunisiens, une promesse d'intégrer une collection qui semble se dérouler dans le temps et rassembler de plus en plus d'œuvres au profit de l'art et du développement culturel durable.