Sous Kadhafi, la Libye, pays limitrophe à la Tunisie, a été source de malentendus répétitifs et de menaces subversives. Les menaces libyennes ne datent pas d'aujourd'hui. L'armée tunisienne a résisté avec une patience inlassable aux provocations de Kadhafi. Contre toute attente l'élimination du leader libyen en octobre 2011, n'a créé aucun changement positif aux libyens, au contraire c'est la guerre civile qui a pris la relève et de l'ampleur, depuis huit ans. Elle ne cesse d'alimenter l'instabilité au Sahel africain, au Maghreb et en Tunisie, le pays du Printemps arabe. Le changement de 2011 fût l'occasion à l'armée tunisienne de jouer un rôle clé dans la transition démocratique, sans interférer dans les amalgames politiques. Ce qui lui a valu le respect du peuple tunisien et de pays frères et amis. À présent les forces armées tunisiennes n'ont rien perdu de leur fraîcheur et de leur efficacité. Elles réagissent avec enthousiasme, depuis qu'elles ont été renforcées en personnels, en matériels de combats adaptés à la menace et en deniers. Le présent article propose le renforcement de la défense des villes en Tunisie, axer l'effort sur la diffusion du Droit des Conflits Armés et l'élaboration d'un fascicule de Droit humanitaire tunisien. La protection des villes, une priorité en matière de défense nationale Si on relit l'histoire des attaques subies par la Tunisie, depuis l'indépendance, on constate que leur objectif a toujours été les villes ou les agglomérations, exemples : à Sakiet Sidi Youssef 1958, Remada et Borj El Khadra 1958, Bizerte 1961, Gafsa 1980 et à Ben Guerdane en 2016. À la fin de la II GM les villes européennes sont toutes devenues des objectifs militaires, particulièrement en Allemagne et au Japon. À plus forte raison, une grande métropole nécessite toute la protection possible ; elle symbolise l'ultime bataille d'une nation. La ville a plus de valeur stratégique que la campagne et abrite les centres névralgiques et les centres de décisions, les installations sensibles et évidemment les citoyens, les habitants. Plus tard le même scénario s'est reproduit dans les Balkans, toutes les attaques aériennes et terrestres étaient dirigées contre les zones urbaines yougoslaves. Au Moyen-Orient, durant les deux guerres du Golfe, les forces de L'OTAN avaient pris pour cibles les villes et l'infrastructure de l'Irak. Plusieurs nouvelles armes de l'OTAN avaient été expérimentées sur des capitales arabes. Les petites villes aussi surtout les plus proches des frontières sont importantes et sont aussi prioritaires que les grandes. L'exemple choisi comme argument en faveur de la défense prioritaire des villes frontalières, c'est l'attaque terroriste à Ben Guerdane, soldée par une victoire éclatante du soldat tunisien sur les jihadistes et sur l'obscurantisme en général. C'est une opération "école" à enseigner à tous les niveaux militaires. À Ben Guerdane l'échange de renseignements, la réaction rapide, la coopération entre le Ministère de la Défense Nationale et le Ministère de l'intérieur, le courage et la rage de vaincre constituent les atouts de cette victoire. Dans toutes les batailles c'est le courage du soldat qui fait toujours la différence, cautionne la victoire rapide et épargne la vie des combattants. Si vis pacem, para bellum (« Si tu veux la paix, prépare la guerre » en français) est une locution latine qui représente le concept de paix armée. L'armée tunisienne est condamnée à se réorganiser en profondeur. La conception et le renforcement de la protection des villes tunisiennes devraient s'initier à partir des écoles militaires, jusqu'aux unités de combat. Sans dégarnir les formations territoriales avancées et leurs postes, ni changer tout ce qui donne satisfaction. Un ennemi jihadiste qui réussit à s'emparer partiellement d'une ville, finit à la longue par la contrôler entièrement et ne plus sortir. La ville constitue pour l'armée une banque intarissable d'informations à exploiter, ce qui facilite la prévention et la protection du milieu urbain. Il faudrait devancer l'adversaire et lui interdire de s'implanter dans l'agglomération. Sans la moindre prétention, ces propositions sont des idées provenant d'un ancien militaire, principalement professeur de renseignements stratégiques et tactiques dans le seul but d'enrichir le "Think Tank" du Ministère de la Défense Tunisien. Conflit interne libyen et menace de transbordement en Tunisie Le peuple tunisien et certaines parties étrangères accusent à tort la Tunisie d'implication directe dans le conflit libyen, alors qu'aucune des parties en conflit n'avait pointé du doigt la Tunisie. La Tunisie est souveraine dans sa politique extérieure et a toujours su défendre ses intérêts. Les observateurs du monde entier sont unanimes à reconnaître que la Tunisie avait évité de justesse le chaos et qu'aucun Etat n'allait venir à sa rescousse. Et si le pays est resté debout c'est grâce à son armée. Il n'y a pas longtemps, la menace jihadiste de la Syrie était considérée lointaine, aujourd'hui elle est devant les portes. Sur le terrain, la situation militaire des belligérants libyens est à la fois changeante et transnationale. Aucune partie n'a entrepris une action militaire d'envergure, il semble que les puissances soutenant l'armée du Maréchal Khalifa Haftar et celle du Président Faïez Sarraj aient d'autres plans en tête et ne voulaient pas en finir avec le conflit interne libyen qui perdure. À priori les deux tactiques utilisées sont différentes, l'Armée Nationale Libyenne du Maréchal Khalifa Haftar est conventionnelle, mieux entraînée et dispose de plus de moyens aériens. Concernant les forces du Government of Nacional Accord, GNA, du Président Sarraj, elles sont moins importantes et non conventionnelles. Néanmoins, l'acquisition récente de drones et de personnels turcs qualifiés a déséquilibré brusquement la balance du potentiel militaire au bénéfice de l'armée de Sarraj. En revanche, cette dernière souffre de multiples dysfonctionnements sur le plan opérationnel et sur plan de la discipline. L'armée de F. Sarraj tire sa force du soutien opérationnel turcs et de la tactique téméraire des jihadistes. Agissant par surprise, ils réussissent leurs assauts en scandant des cris de guerre et des slogans religieux pour terroriser leurs adversaires et les citoyens. Récemment, les villes à l'ouest de Tripoli jusqu'à la frontière tunisienne ont été reprises par les forces pro-Sarraj. En ce moment cette zone est sous le contrôle des chefs de guerre et les barons de la contrebande. Le scénario extrême se concrétise si l'ANL du Maréchal Haftar reconquit l'ouest libyen, une opération qui produirait un exode énorme de personnes déplacées, vers le territoire tunisien, des milliers de réfugiés et de combattants armés étrangers. La situation se compliquerait davantage dans le cas où la Turquie ferait débarquer une force importante et la déployer sur la plaine de Jeffara, dans le but de contre-attaquer en direction de Tripoli ou un autre plan inconnu. Depuis 2011 la seule incursion jihadiste en Tunisie, a eu lieu en 2016 à Ben Guerdane et fût un échec total. En résumé pour pallier aux différentes menaces venant du territoire libyen, il y a lieu de préparer des forces interarmées groupées en "détachements interarmées, task forces" qui seront rattachées territorialement chacune à un secteur autour d'une ville. Dans le Droit de la Guerre, la mission militaire est primordiale, ce qui est demandé à une force armée qui se respecte et qui croît à l'éthique militaire, c'est de respecter sans complexe ce Droit et de le faire comprendre à sa troupe. C'est pour ces raisons que depuis 1999, le Ministère de la défense coopère avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur la base du principe de la diffusion du droit humanitaire et des règlements généraux humanitaires. Le paragraphe suivant est un rappel du sens, de l'esprit et de la matière du Droit Humanitaire et propose des solutions pratiques en opérations. Le Droit des Conflits Armés et les règles d'engagement, appliqués en opérations L'histoire de la Tunisie est souvent marquée par des évènements exceptionnels, un exemple qui prouve que depuis l'ère Beylicale, la Tunisie était imprégnée du Droit de la Guerre. Pendant la Campagne de Tunisie, la France étant sous l'occupation allemande ; c'était le Bey de Tunis de l'époque qui avait pris vers la fin de 1942 l'initiative d'adresser deux lettres, aux forces de l'Axe et aux Alliés, les exhortant à se conformer au Droit de la guerre en Tunisie et à épargner les villes, les personnes civiles et leurs propriétés. En effet, la partie qui n'avait pas respecté le Droit de guerre fût l'armée américaine. Des soldats avaient violé et menacé les civils tunisiens, sans pouvoir les poursuivre en justice. Ils avaient agi selon le dicton militaire français : "À la guerre comme à la guerre". L'armée tunisienne a devancé plusieurs pays dans ce domaine et a œuvré pour faire apprendre ce Droit à ses militaires et à l'appliquer, depuis 1994. Ce Droit international devrait être observé en opérations, même si l'adversaire omet de le faire. L'armée tunisienne a contribué à la diffusion du Droit Humanitaire en Tunisie et dans le monde par le biais du spécialiste en la matière, le Colonel Kilani Bennasr. Pendant huit ans, il avait fait partie du corps professoral de cette manière en Tunisie dans ses grandes écoles militaires, et à l'étranger en Suisse dans le cadre du mandat du CICR et à l'Institut de Droit Humanitaire, IIDH, de Sanremo en Italie, au profil d'officiers et de médecins du Monde entier. Définition : Le Droit des Conflits Armés connu traditionnellement sous le nom de "droit de la guerre et des gens", est un ensemble de règles qui tend à limiter les effets des opérations de guerre, en particulier à l'égard des populations et des installations civiles et des personnes qui ne participent pas ou plus aux combats (prisonniers de guerre, réfugiés), ainsi qu'en limitant les objectifs, les moyens et les armes de guerre. Le Droit Des Conflits Armés DCA est également appelé « droit humanitaire DH ». Quant aux règles d'engagement, elles complètent le Droit Humanitaire, (en anglais : rules of engagement ou ROE) et désignent les directives régissant l'emploi de la force létale par les soldats dans un théâtre d'opérations. Le Droit Humanitaire est créé par le Suisse Henry Dunant, qui a passé de longs séjours en Algérie et en Tunisie au 19 siècle. Ce droit est un corpus complet et cohérent de règles gérant les situations de guerre, il englobe : Les quatre Conventions de Genève de 1949 dont les deux premières consacrées au respect et à la protection des malades, les blessés et les naufragés en mer en temps de guerre, ainsi que le personnel médical, les ambulances et les hôpitaux.. La 3ème Convention est réservée à la protection des prisonniers de guerre. La 4ème Convention protège la population civile qui se trouve aux mains de l'ennemi dans leur propre pays ou en territoire occupé. Les deux protocoles de 1977 additionnelles aux conventions de Genève, viennent compléter avec plus de détails les règles s'appliquant aux conflits non internationaux dans le but de protéger ceux qui ne participent pas aux hostilités. Ces deux protocoles viennent aussi compléter l'article 3 commun aux 4 Conventions de Genève, s'appliquant aux conflits non internationaux. Il faut reconnaître que ces conventions n'ont que peu de force exécutoire, ce qui compromet leur efficacité. Malgré la signature du Droit des Conflits Armés par tous les pays, certains signataires, des grandes puissances en l'occurrence et d'autres pays continuent d'omettre de le respecter pendant la guerre. À cet effet, et à l'instar d'autres armées Occidentales qui avaient déjà édité leur propre fascicule de Droit Humanitaire, l'armée tunisienne peut en faire autant, un fascicule ou un recueil de poche adapté à la Tunisie. Personnellement je pourrais contribuer à la préparation de cette référence, si elle n'est pas encore réalisée et si on me le demande. Les règles d'engagement, seront en complément, distribuées sous forme de dépliants où figure la conduite à tenir exacte face à chaque situation. Il est à rappeler aussi que le droit coutumier musulman protège les civils, les prisonniers de guerre, les malades, les combattants qui ne participent pas aux hostilités et la nature. Ce qui importe c'est gagner la bataille mais proprement, rien n'empêche le soldat tunisien de venir à bout de ses missions sans commettre de mauvais traitements et abus inutiles à son ennemi. Le Droit Humanitaire n'a pas interdit la guerre mais lui a posé ses règles. La guerre se prépare en temps de paix et l'unité militaire sur place à Ben Guerdane a un bien préparé la veille sa bataille et l'a gagnée le lendemain en un laps de temps. Depuis le nom Ben Guerdane est utilisé en Libye pour faire dormir les enfants. Pour tous tunisiens l'affrontement de Ben Guerdane est un symbole, une référence et une victoire très importante. Tous les détails de cette petite guerre représentent les recettes pour en gagner d'autres éventuelles contre tous ceux qui en veulent à ce pays. Le renforcement de la défense des villes tunisiennes devraient être traités en urgence. Si ce n'est pas déjà fait. * K.B., spécialiste en Droit des Conflits Armés.