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Chedli Klibi et le legs moderniste
Publié dans Le Temps le 15 - 05 - 2020

Décédé ce mercredi 13 mai, à l'âge de 94 ans, Chedli Klibi a été, en tant que ministre de la Culture, l'un des premiers promoteurs de l'éducation populaire en Tunisie. Depuis, son action est devenue le socle fondamental sur lequel s'est construit le développement culturel de notre pays.
Dans mon esprit, Chedli Klibi s'est toujours confondu avec les plus grandes personnalités de la littérature arabe moderne. Non pas qu'il ait beaucoup publié ou investi la sphère littéraire. Il s'agit d'autre chose, d'une maîtrise si parfaite des arcanes de la langue arabe que Chedli Klibi en devenait une sorte de dépositaire absolu.
Le fondateur des dynamiques culturelles de la Tunisie indépendante
A l'image de Taoufik El Hakim ou Taha Hussein, Chedli Klibi possédait la langue arabe dans ses nuances les plus subtiles. Il faut l'avoir écouté discourir ou encore analyser une oeuvre littéraire pour se rendre compte de sa faculté à s'emparer de n'importe quel texte pour le sublimer, le décortiquer, lui donner des ailes et en extraire le sens caché au profane. Cette faculté extraordinaire de Chedli Klibi a fait de lui un homme de lettres au sens le plus magistral du terme. On l'imaginerait en haut d'une chaire universitaire, introduire les lecteurs aux trésors de la littérature. On l'aurait aussi imaginé en professeur initiant ses étudiants à l'intertextualité et la polysémie de certaines oeuvres majeures. Par la grâce de sa lecture, les textes ont toujours vie et livré ce qu'ils cachent d'inoui, de majestueux ou de simplement limpide.
Si j'insiste sur cet aspect, c'est qu'il est fondamental si l'on veut comprendre le legs de Chedli Klibi, un homme qui a suivi le cursus des bilingues, celui qui vous menait des bancs du collège Sadiki à ceux du lycée Carnot. Au temps où l'on ne badinait pas avec les lettres classiques, Klibi s'était retrouvé à la Sorbonne et avait adopté comme un sacerdoce le monde des lettres. Enseignant, il partagera cet amour des belles lettres avec toute une génération qui lui est restée reconnaissante. Il n'avait pas son pareil pour démonter l'arithmétique de chaque phrase pour aller ensuite y chercher la poésie cachée et ces étincelles fugaces qui font la jubilation des lettrés, lorsqu'ils caressent cette part sacrée de toute oeuvre littéraire.
Cette générosité intellectuelle le mènera tout droit à la direction de la radio tunisienne. Dès les lendemains de l'indépendance, il allait mettre toute son ardeur au profit de la jeune nation dont il compte parmi les bâtisseurs. Il structurera la radio, dépoussiérera les traditions fanées et mettra ce média au service du développement intégral. Proche de Bourguiba dont il écrira de nombreux discours, il adhérait au dessein modernisateur qui, comme un frisson, traversait toute une génération d'intellectuels. Sensible aux idées de gauche, passé par le syndicalisme, il était aussi de ceux qui pressentaient que l'éducation populaire était le levier par excellence de la promotion des Tunisiens. Ces idées allaient le mener à constituer avec Mahmoud Messadi, un duo essentiel dans cette Tunisie des années soixante où tout était encore à faire.
Entre art et savoir, le combat moderniste de Chedli Klibi et Mahmoud Messadi
A la Culture et à l'Education nationale, ces deux hommes allaient mener un combat de titans et, surtout, ils allaient épouser leur siècle. Alertes, à jour et au fait de l'actualité intellectuelle internationale, Klibi et Messadi allaient façonner une génération qui sera portée par une modernité exigeante et d'un état d'esprit conquérant. L'école et la maison de la culture allaient devenir des milieux complémentaires, des lieux de passage incontournables pour accéder au savoir et au travail. A la Culture dont il sera le ministre à plusieurs reprises, Chedli Klibi allait non seulement jeter les bases d'un département ministériel mais aussi associer son nom à une vulgate qui répandra l'action culturelle jusqu'aux coins les plus reculés de la république. C'est sous sa férule de ministre que les Journées cinématographiques de Carthage ont vu le jour. C'est lui aussi qui a complètement réorganisé la politique du patrimoine, en créant un institut et en y recrutant les meilleurs chercheurs et archéologues. C'est aussi à Chedli Klibi que nous devons la fondation du réseau national des maisons de la culture et des bibliothèques publiques. C'est lui aussi qui allait moderniser le théâtre, fonder un cinéma, promouvoir les artistes et créer pratiquement tous les grands festivals.
Structurant son action autour de la notion d'éducation populaire, il était proche de la démarche de André Malraux en France et également ouvert aux idées de proximité et d'action culturelle. C'est par la culture qu'un peuple était à même d'évoluer et changer de paradigme: cette idée-force sera le leitmotiv de la mission de Klibi à la culture. Enraciné dans la langue arabe, sensible aux richesses du bilinguisme et de l'interculturalité, proche du vécu des Tunisiens, ce grand commis de l'Etat deviendra le fondateur de la politique culturelle de la Tunisie indépendante. Cette politique s'inscrivait dans le dessein modernisateur voulu par Bourguiba et faisait la part de l'esprit critique, de la diversité intellectuelle et de la culture artistique. Culture pour tous et modernité à l'horizon, telles étaient les articulations de cette action tous azimuts. Aujourd'hui encore, malgré les coups de boutoir des islamistes et l'incurie des politiques dites centristes, le ministère des Affaires culturelles continue à reposer sur la matrice développée par Klibi dans les années soixante.
Un fin lettré, profondément humaniste, à la croisée des cultures
Bien sûr, il importe de repenser la culture à l'aune des enjeux contemporains. Toutefois, ne perdons pas de vue que Klibi et sa génération ont pu à force de ténacité, créer près de cinq cents institutions culturelles de proximité à travers la Tunisie. Ces maisons de la culture, ces bibliothèques publiques furent et continuent à être de lumineux remparts face à une islamisation rampante portée par un tissu d'associations coraniques et de fondations caritatives qui sont l'exact contre-projet de l'action de Klibi. Alors qu'aujourd'hui, on ferme les yeux devant les difficultés de ces institutions, alors qu'on détourne son regard pour ne pas voir la révolution des zélotes, il ne faut pas oublier l'exemple de Chedli Klibi et ses compagnons de route qui ont gagné ce terrain à la culture, défriché l'avenir et lutté contre les tenants du rigorisme et de l'immobilisme.
Comme Hédi Nouira, Mahmoud Messadi et d'autres, Chedli Klibi a été le héraut de la modernité de son époque. Son apport est essentiel car son action déterminée a permis de tisser une infrastructure culturelle. Le reste relève de la responsabilité des héritiers et ils n'ont pas toujours été à la hauteur. La disparition de Chedli Klibi est d'autant plus à méditer que cet homme exceptionnel par la culture et l'action, était aussi un homme d'ouverture et de dialogue. N'est-ce pas lui qui, en 1970, avait convaincu Bourguiba de rejoindre les rangs de la Francophonie? N'est-ce pas lui qui, à la tête de la Ligue arabe dans une conjoncture délicate, avait misé sur le travail culturel inter-arabe? N'est-ce pas lui qui, maire de Carthage, signait une paix symbolique avec Rome, plusieurs siècles après les aléas de l'histoire? Fin lettré, profondément humaniste, passionné des Lumières et de la haute tradition arabe, Chedli Klibi se confond dans mon esprit avec ce qui fonde le mieux la personnalité tunisienne moderne. A sa manière, Klibi est le fondateur culturel de l'Etat-national, celui qui a mis en mouvement une superstructure où cohabitaient artistes, universitaires et médiateurs, dans le respect des identités politiques de chacun. Car, démocrate dans l'âme, le défunt savait écouter, arbitrer, oser, innover quitte à prendre des risques calculés en précédant la pensée de Bourguiba dont il fut un référent intellectuel.
Pertinence et permanence d'une doctrine culturelle
Aujourd'hui, un monument s'est éteint. Demain, il nous faudra revenir sur son héritage moral, ne pas occulter ce qu'il a fondé et restituer à sa pensée, un élan qui fait souvent défaut. L'homme s'était éloigné de l'action mais son exemplarité continue à nous interpeller. Au-delà d'une carrière brillante, il importe de retenir de Chedli Klibi non seulement les titres et les dignités mais aussi les leçons de vie et la pertinence d'une doctrine culturelle. Dès lors, inclinons-nous et rendons hommage à sa mémoire de géant. Demain, tel un courant chaud, nous ressentirons la rétroactivité de ses idées, leur permanence dans notre contexte tunisien et leur adéquation avec les horizons modernistes que nous désirons pour notre pays. Paix à son âme! Toutes nos condoléances à sa famille!


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