Après plus de deux mois de confinement imposé par la propagation du virus dans nos contrées, et à l'heure où la Tunisie s'apprête à négocier le dernier virage de la présente phase du déconfinement progressif, les séquelles, tant économiques que sociales et même psychologiques du corona-fléau se font d'ores et déjà sentir sur le terrain. La course au plus touché par la corona-crise ayant été déclenchée, plusieurs secteurs d'activité se sont mis, petit à petit, à « battre les pavés » et à « jeter les pierres ». Ils ont déjà commencé de voir rouge et de rouspéter, chacun pour soi et à qui veut l'entendre, tantôt contre l'inefficacité des mesures prises jusque-là par le gouvernement, tantôt contre l'imprévoyance et la négligence totale de la part de celui-ci quant à la situation de ces secteurs en question. Dans ce contexte, les premiers rassemblements de protestation « à l'air libre » ont eu lieu, un peu partout en Tunisie au cours de cette semaine, après une longue période de confinement. Aux premiers rangs, les chômeurs diplômés, désormais plus que jamais chômeurs, ont fait entendre leurs voix dans plusieurs villes, et ont manifesté en masse devant les différents sièges de leurs gouvernorats respectifs. Les manifestants ont dénoncé leur marginalisation flagrante dans les priorités du gouvernement, dans ses plans de relance économique post-corona annoncés récemment. Manifestations sur tous les fronts Sur un autre front, pas moins de cinq manifestations ont déjà « occupé » la rue, ce jeudi, rien que dans la Capitale, soit à la Kasbah ou au Bardo. Outre les chômeurs qui ont investi la place du Bardo, un sit-in des propriétaires de louages s'est tenu au coude à coude, devant le siège de l'ARP, faisant suite à leur refus d'assurer le transport des étudiants, élèves et enseignants à l'occasion de la reprise de l'année scolaire et universitaire, en vue de protester contre la situation difficile de leur secteur qui fait face à l'arrêt total de leur activité, depuis le mois de mars dernier. Mercredi, un sit-in des propriétaires d'auto-écoles a eu lieu à la Kasbah, rassemblant les professionnels du secteur venus manifestement de différentes régions du pays. L'Ordre national des écoles de conduite de Tunisie a déploré, dans ce cadre, l'absence de toute mesure de la part du gouvernement en faveur de leur secteur sinistré, plongé dans une crise profonde après la fermeture des auto-écoles pendant un peu plus de deux mois. Le lendemain, toujours à la Kasbah, les officiers au sein de la Douane tunisienne qui ont été mis à la retraite obligatoire ont effectué une marche de protestation afin de contester ladite décision, qu'ils ont jugée injuste. Entretemps, tous les syndicats du secteur de la santé ont observé une journée de colère simultanément ce jeudi dans tous les hôpitaux publics de la Tunsie, en vue de dénoncer l'ingratitude des autorités envers les professionnels de la santé qui sont en première ligne dans la lutte contre le corona-fléau, et de manifester contre la politique gouvernementale visant à fragiliser la santé publique, poussant de facto le cadre médical et paramédical à quitter la Tunisie. Les manifestants ont particulièrement pointé du doigt la circulaire publiée par le gouvernement, au début de ce mois, et qui annonce des mesures exceptionnelles pour la fonction publique dont, entre autres, le gel des recrutements, la réduction des primes et des heures supplémentaires ; jugeant que ces mesures témoignent de la non-reconnaissance des efforts fournis par le secteur de la santé publique, durant la corona-crise. Atmosphère de veillée d'arme Pis encore, de nombreux autres mouvements sociaux pointent à l'horizon, et de multiples grèves et autres manifestations s'annoncent déjà pour la semaine prochaine et pour les semaines qui suivent. Les ouvriers des « hadhayer » (chantiers), les professionnels du tourisme, les cafetiers, les restaurateurs et les compagnies de transport privé, pour ne citer qu'eux, pognent déjà les nerfs et seront très probablement les suivants à attendre Fakhfakh et son gouvernement avec la brique et le fanal. Sur fond de ce marasme annoncé, le constat actuel ne peut qu'être alarmant : paralysie totale dans plusieurs secteurs d'activité, montée vertigineuse du chômage, ébranlement de la classe ouvrière, léthargie des professions libérales et artisanales, effondrement des classes sociales inférieures, fragilisation de celles moyennes, danger de faillite conjecturable chez les petites et les moyennes entreprises. Tout cela sans oublier les effets psychologiques post-traumatiques sur tout un peuple, et qui seraient en passe de transformer, amplification oblige, des mouvements de mécontentement sectoriels et épars en une véritable explosion sociale, générale et généralisée.