Décédé le 4 novembre 2010, Taha Cheriaa compte parmi les plus importants animateurs de la scène cinématographique arabe et africaine. Dix ans après sa disparition, sa présence reste vive et son legs toujours en mouvement. Que reste-t-il de l'héritage de Tahar Cheriaa dix ans après sa mort et presque trois décennies après sa retraite de la vie active? Sans aucun doute, l'homme était-il demeuré un observateur attentif de la vie culturelle et un cinéphile impénitent. Toutefois, les choses ont énormément changé de son vivant, que ce soit en termes esthétiques ou politiques. Un théoricien pour les cinémas du sud Tahar Cheriaa fut d'abord un homme d'action qui paya au prix fort son engagement en faveur d'un cinéma alternatif. Avant de théoriser sa démarche, c'est bien sur le terrain que Cheriaa avait provoqué des changements. En s'opposant aux majors américaines, il avait pressenti la nécessité de nouveaux réseaux de diffusion et défriché la voie pour l'émergence de cinémas nationaux. En ce sens, dès la première session des Journées cinématographiques de Carthage, il avait contribué à une synergie entre les cinémas européens et ceux du Tiers-monde. C'est au nom d'un Tiers-cinéma que Cheriaa envisageait son engagement. Cette notion, il l'avait développée dans son essai sur les écrans d'abondance, un livre qui reste une référence utile pour qui voudrait se pencher sur la dynamique des cinémas dominés. C'est sur ces bases que les Journées cinématographiques de Carthage ont prospéré pour être le reflet d'une génération à la fois esthète et militante. Ce sont de fortes personnalités comme Tahar Cheriaa, Ousmane Sembene et Youssef Chahine qui ont incarné cette époque désormais révolue. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. La génération des JCC Les Journées cinématographiques de Carthage ne sont plus le festival de rupture qu'elles furent pour quelques sessions mais demeurent le plus ancré des rendez-vous des cinémas du sud. L'industrie cinématographique a su capter les gisements de compétences et institué des politiques de coproduction qui prônent une interdépendance des cinémas du monde. Le mouvement était largement engagé du vivant de Tahar Cheriaa et tourne à plein régime aujourd'hui. Aux cinémas dominés se sont substitués les cinémas indépendants alors que les modes de diffusion ont radicalement changé. De nos jours, les plateformes de streaming et les canaux de télévision ont supplanté les salles de cinéma classiques. De même, les festivals sont devenus la rampe de lancement par excellence pour les cinémas du sud dans leur ensemble. Tahar Cheriaa aura en tous cas ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés les cinéastes des générations montantes. Une mémoire vive en Tunisie et dans le monde Cheriaa et ses compagnons de route ont beaucoup donné et contribué à susciter une exception cinématographique tunisienne avec ces JCC qui continuent aujourd'hui dans la fidélité aux fondateurs. Quant à Tahar Cheriaa, il se retrouve fort d'un statut mythique aussi bien dans son pays que parmi les cinéastes arabes et africains. Il nous reste de lui ses écrits engagés ainsi que l'excellent film biographique que lui a consacré Mohamed Chellouf. Ce film a été rediffusé par la chaîne francophone TV5 à l'occasion des dix ans après sa disparition. C'est dire la présence de Cheriaa à l'échelle internationale. Sa mémoire reste vive en Tunisie et sans doute, si elle a lieu, la prochaine édition des JCC lui rendra-t-elle un nouvel hommage. H.B