Le pays n'est plus à la croisée des chemins, comme le prétendent ceux de nos bienheureux politiques qui n'ont qu'un seul terme à débiter : « démocratie ». Comme si la démocratie pouvait à elle seule apporter des solutions à la recrudescence des inégalités régionales et, pour tout dire, à une fracture sociale jamais vécue auparavant. Le pays est bien enlisé dans des sables mouvants, qu'en aucun cas, on ne saurait mettre sur le compte de la pandémie et elle seule. En une décennie de révolution, l'Etat a fait se défiler un cortège ahurissant de ministres et autres secrétaires d'Etat (y compris l'overdose de conseillers avec rangs de ministres auprès des trois présidences). En dix ans, nous avons eu le triple des nomenclatures gouvernementales sous le règne de Bourguiba et celui de Ben Ali, les deux confondus. Cette démocratie s'est même vidée de ses intonations lyriques, de sa quintessence, se perdant dans les méandres politiciens et réussissant même à diviser le peuple. Maintenant, les disparités se font criardes par le fait d'un éclatement chromosomique de la société tunisienne. Le degré de défiance entre les Tunisiens et la classe politique fait que ce « bon peuple » ne croit plus en rien. Et quand un peuple en arrive à ne plus croire en l'Etat, à ne plus lui faire confiance, au bout du compte, c'est l'explosion sociale. Il arrive un moment, en effet, où les incantations démocratiques ne nourrissent plus son homme. A moins que nous nous résignions à vivre d'amour et d'eau fraiche ! Blanc bonnet ou bonnet blanc ? Onze gouvernements se sont succédé en dix ans de révolution et de mystification politique. Nous battons tous les records italiens en termes d'instabilité gouvernementale. Nous faisons, même, pire que la IVème République française, avant que De Gaulle ne vînt en révolutionner les institutions et mettre un terme au parlementarisme déstabilateur. Ceux, parmi les manifestants de l'Avenue Bourguiba ayant appelé à la chute du régime et, principalement, à la dissolution de « l'ARP de Ghannouchi », mettaient certes le doigt sur la plaie. Mais ils ne savent pas que c'est, pour le moment, utopique. Ce n'est pas tant le régime qui est à incriminer, que le système qu'il a enfanté. On sait en fonction de quelles pesanteurs partisanes a été rédigée la constitution de la 11ème République. Les causes expliquent donc les effets. Nous ne sommes ni dans la logique d'un régime parlementaire franc et qui se reconnaisse et agisse comme tel. Et nous ne sommes pas dans un semblant de régime présidentiel, hormis le charisme, à un certain moment, de Béji Caïd Essebsi, et les vaines tentatives de récupération de Kaïs Saïed. On dirait même que cela a été fait exprès : un interminable conflit de compétences et de légitimité entre les deux têtes de l'Exécutif. Dire que la constitution a délimité les prérogatives de l'une et de l'autre, serait de la pure théorie. Parce que la donne essentielle, déterminante, coercitive même, c'est au Bardo qu'elle se meut. Une ARP habile à attraper les mouches, même avec du vinaigre, et à toujours déployer le miroir aux alouettes. Si l'on approfondit le raisonnement, ce remaniement officiellement décidé par Mechichi ne tend pas vraiment à en finir avec le gouvernement du Président. Il satisfait plutôt aux injonctions de la ceinture politique. Il y a lieu cependant à se demander si l'enjeu tient uniquement à la composition gouvernementale. En fait, que signifierait Gouvernement de technocrates (non-sens en contexte de pluralisme politique) et que signifierait Gouvernement de compétences indépendantes avec ceinture politique ? Non-sens, là aussi. C'est du bonnet blanc, blanc bonnet. La donne politique les rattrape l'un comme l'autre. Par ricochet, on comprend les raisons qui ont fait que Hichem Méchichi fût évasif dans l'énoncé de son programme lors de son investiture à l'ARP, quatre mois et demi en arrière. Il a parlé de grandes réformes, mais ne s'est guère étalé sur les détails. C'était comme s'il distillait un message : « cette équipe, mon équipe n'est pas vraiment la mienne». Cela s'est vérifié. Entre temps, le pays aura connu une grave déficience au niveau de la gouvernance. Remédier à la cassure provoquée par son successeur dans la lutte contre la pandémie, Méchichi y a trouvé de sérieuses difficultés. De surcroît, le comité scientifique voit une chose, tandis que la réalité de la décrépitude socioéconomique donne quelque chose d'apocalyptique. En quatre mois et demi, le feu se déclarait un peu partout. FMI ou UGTT ?