Il fallait bien le prévoir : un gouvernement de technocrates en plein régime hybride dans ce panachage idiot entre ce que le parlementarisme a de plus mauvais et ce que le présidentialisme a de plus équivoque, devait bien se retrouver au milieu des tiraillements et pour le moins condamné à l'isolement. Il fallait bien voir venir de loin les prédateurs et, en face, les théoriciens de la morale, ceux qui s'approprient la conscience collective. Si le gouvernement de technocrates a été imposé par une conjoncture intenable, c'est par la faute de cette ploutocratie, bête immonde ayant broyé la vie politique nationale. Comment diriger un pays lorsque l'essentiel d'une crise jamais connue auparavant est instrumentalisée, ou alors ignoré par « les dandys politiques ». Dix bonnes années d'incurie Croit-on vraiment que le peuple, le bon peuple, se soucie vraiment de la refonte d'un décret-loi sur l'audiovisuel, alors qu'il est en butte à des magmas et à des incertitudes existentielles ? Fallait-il qu'il se résigne à admettre que ce manège parlementaire était dans l'ordre normal des choses et que les amendements au décret-loi 116 portant sur le champ audiovisuel étaient vitaux, au risque de surclasser l'essentiel de notre vécu, de se détourner d'une tragédie qui va s'amplifiant et qui emporte des vies ? Encore davantage : le gouvernement Méchichi doit plutôt s'attaquer à une loi de finances « impossible », avec des prévisions de croissance apocalyptique et, encore une fois, avec pour seul moyen de survie, le recours à l'endettement, encore plus d'endettement qu'il soit intérieur ou étranger. Lorsque le ministre de la Santé publique se fond en larmes sur un plateau télévisé et qu'il annonce le lendemain que la pandémie dépasse les capacités des hôpitaux à y faire face, c'est à cela que nous mesurons le délabrement de l'Etat. La faillite budgétaire causée par dix années d'incurie, de désinvolture dans les recrutements dans le secteur public, secteur dont la masse salariale est (en proportion) la plus lourde du monde. Qui en assume la responsabilité ? Un gouvernement de technocrates ayant à peine pris les commandes, et quelles commandes ? Le gouvernement Fakhfakh qui s'était lui aussi retrouvé, très vite après son investiture, à devoir gérer la pandémie et à suspendre toutes les autres urgences ? Quelque part, le triomphalisme dont s'est gargarisé Fakhfakh les jours où la courbe de contaminations a été totalement cassée, s'est révélé être un peu trop intempestif. Personne, même pas le comité scientifique, ne prévoyait que le monstre dormait tout juste, pour mieux rebondir. Un relâchement total, la levée de toutes les restrictions -normal puisque les victimes du verrouillage n'avaient plus quoi manger-, mais aussi la suppression des circuits-Covid dans les unités hospitalières, ce qui n'était pas très indiqué... Puis, rattrapé par « les affaires », Fakhfakh optait carrément pour la politique de la terre brûlée. Il a cru éliminer Ennahdha des sphères gouvernementales : voilà qu'elle en a profité pour vassaliser d'autres partis et pour créer une forte coalition parlementaire. Sur ce plan, Kaïs Saïed, qui a choisi Méchichi et « béni » le gouvernement de technocrates s'est trompé de calcul : Ennahdha aura vite fait de jeter son dévolu sur le gouvernement Méchichi... Va –t-il plier ? Et sous quel angle interpréter ce « coussin » ? En fait, c'est le ciel qui lui tombe sur la tête. Et, maintenant qu'il s'apprête à négocier le virage périlleux de la loi de finances, quelques appuis au Parlement, il en a fatalement besoin. On verra, cependant, s'il sera capable d'y opposer une force de résilience. En un mot : ne pas se compromettre dans des alliances avec le diable. Car, dans le cas contraire, son gouvernement de technocrates, en serait réduit à un gouvernement politique déguisé et, donc, partisan. Bravo, continuez à vous entretuer ! L'Etat tangue ? Ce n'est pas nouveau, en fait. Onze gouvernement se sont, en effet, arrangé pour que l'Etat vacille, et chaque jour un peu plus. Voilà, maintenant, que les dossiers de revendications sociales s'ouvrent tous à la fois. Encore heureux que ce gouvernement compte dans ses rangs un ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi, qui porte aussi la casquette du syndicaliste. Voilà donc qu'une ébauche de solution est trouvée pour les ouvriers des chantiers. Et cela aura nécessité beaucoup de courage, dès lors qu'il y aura une masse de recrutements dans la fonction publique, alors que le FMI s'y oppose fermement et qu'elle appelle même à désengorger le secteur. Il reste néanmoins ce problème presqu'insoluble -si l'on ne déniche pas de nouvelles idées- du financement du budget. Et, là, il y a deux approches. Celle de Méchichi qui sollicite ce « bunker » qu'est la Banque Centrale. Et celle de son ministre de l'Economie, Ali Koôli, qui privilégie la piste des grandes banques de la place. Actuellement, la BCT prête aux banques qui, à leur tour, prêtent à l'Etat. En 2020, les banques de la place -pas toutes évidemment- ont prêté 200 millions de dinars à l'Etat. En 2021, ce sera 2009 millions : une saignée. Confusion, dans la mesure où, dans des systèmes financiers qui se respectent, la Banque Centrale finance le Budget de l'Etat, alors que les banques financent l'économie. Or, là, nous sommes dans une double imposition. Le taux d'intérêt prélevé sur les prêts accordés par la BCT aux banques qui, à leur tour, perçoivent des intérêts sur les prêts accordés à l'Etat. Pour l'heure, Hichem Méchichi ne cherche pas à titiller Marouane Abassi. Or, un jour ou l'autre, ce statut d'indépendance totale de la BCT (statut mis sur pied par Chadli Ayari et Moncef Marzouki) doit être révisé. Parce qu'il n'est pas normal que les banques soient riches et que l'Etat soit pauvre. Ce qui est sûr, en première urgence, c'est que le gouvernement aura recours à l'emprunt intérieur. Mais il devra trouver aussi une ligne de financements de l'ordre de 200 milliards de dinars sur les marchés étrangers. Tout d'un coup, le problème devient politique. Voilà que Ghazi Chaouachi, secrétaire général d'Attayar crie au scandale et annonce que le Bloc démocrate ne votera pas en faveur de la loi de finances. Voilà qu'il annonce que son mouvement organisera sous l'égide du Président de la République un « Dialogue national économique et social » pour cimenter la famille socio-démocrate. Et voilà que Mohsen Marzouk crie au vol et à la supercherie : cette initiative, selon lui, a été avancée par son parti. Et, d'un ton sarcastique, il se demande si Attayar n'a pas découvert, le premier, que la terre est ronde. En fait, nos politiques font exactement comme ces sénateurs de Rome qui s'interrogeaient sur le sexe des anges alors que l'Empire brûlait. Entretemps, personne ne se ravise d'appeler à une petite trêve, le temps que ce démon de Covid-19 se rendorme à nouveau. L'urgence est à la Santé qui ne bénéficie que de 5,6 du Budget de l'Etat. L'urgence est au recrutement du personnel médical et paramédical. Le ministre de la Santé l'a dit : « nous manquons de médecins réanimateurs ». Et, au chevet de sa femme, la grande Radhia Nasraoui qui se bat contre le Covid-19, Hamma Hammami a maudit, dans son statut Facebook, ce système qui a fait que nos médecins aient choisi l'exode. Voilà, la pandémie se livre à sa danse macabre, tandis que l'Etat tangue et que nos politiques et nos élites s'entretuent. R.K.