Qu'est ce qui fait sortir de ses gonds Mohamed Abbou, ministre d'Etat de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption ? Qu'est-ce qui fait, surtout, qu'il martèle que « ce gouvernement est venu pour durer quatre ans encore », alors que ce gouvernement est investi depuis, à peine quatre mois ? Qu'est-ce qui avait fait dire à Elyès Fakhfakh, bien avant Abbou, qu'il était là pour durer ? A l'évidence, « ce gouvernement du hasard » et ce « Chef du gouvernement du hasard » -il était, en effet, loin derrière les favoris pour le poste- étaient, à peine, en train de trouver leurs marques et leurs repères à la Kasbah que le Covid-19 leur est tombé, tel le ciel, sur la tête. Les ministres n'ont pas eu le temps de se familiariser, de se connaitre, d'harmoniser leurs gouvernances respectives, et c'est ce qui explique certains dysfonctionnements. On a même eu à vérifier certains comportements « irréfléchis » -mais qui doivent bénéficier de la présomption de bonne foi en dehors du bourbier Maarouf- comportements que le Chef du gouvernement a eu la promptitude de défendre avec, néanmoins, un peu trop d'arrogance, particulièrement en ce qui concerne cette affaire toujours d'actualité des bavettes. En tous les cas, pour virulentes que puissent être les critiques à l'endroit du gouvernement, on ne saurait conclure à un manque de réactivité face à la pandémie. L'avant Covid+ et l'après Covid+ Ce qu'on oublie, c'est qu'il y a un avant Covid+ et qu'il y aura un après Covid+. Toute une approche de gouvernance qui changera radicalement. Tout un rapport gouvernants/gouvernés qui devra procéder à sa propre introspection, d'abord pour faire en sorte que ré-émerge cet Etat-providence s'étant dilué dans le temps et dans l'espace durant cette convulsive dernière décennie. Lorsqu'une large frange de la population tunisienne se met à « regretter » Ben Ali, eh bien, c'est là une condamnation de l'Histoire, cette Histoire que le « Printemps arabe » et la « Révolution du jasmin », dans leur exaltation, avaient cru pouvoir « dé-fataliser ». Mais un ordre nouveau aura vite fait de s'installer. Et cet ordre nouveau est autant induit par un parlementarisme « sur mesure », dispersant les pouvoirs institutionnels et induisant de nouvelles dictatures occultes, certes, mais tentaculaires. Or, un régime parlementaire a ses règles, dans un contexte de démocratie. Le présidentialisme a, lui aussi, ses règles toujours dans un contexte démocratique. Dans les deux cas de figures, comme nous enseigne Montesquieu, c'est le jeu du poids et contrepoids. Il faut que, par la disposition des choses, « le pouvoir arrête le pouvoir ». Parce que, dit-il encore, « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Or, chez nous, depuis cette « révolution » et depuis l'avènement fantasmé d'une démocratie encore à démontrer, encore à concrétiser dans la pratique, de quels poids et contrepoids pourrions-nous parler ? Lorsqu'un gouvernement est clochardisé, qu'il vive encore avec une perpétuelle épée de Damoclès parlementaire suspendue sur la tête, qu'il se retrouve harcelé par le « pouvoir d'en haut » au nom de la volonté du peuple, ce peuple du côté duquel on louvoie le temps des élections et qu'on oublie aussitôt, quelles exigences de performances peut-on décemment exiger de lui ? Huit gouvernements se sont succédé depuis la révolution : on aura mieux fait que la IVème République française ! Conspirations systématiques, complicités occultes, guerre pour le leadership : nos institutions « démocratiques » c'est en cela qu'elles excellent. On n'oubliera pas, à ce propos, la fameuse déclaration d'Habib Essid après cette avilissante motion de censure : « Je salue cette nouvelle Fatwa de sidi Echeikh ». Musarde à la sauce parlementaire Elyès Fakhfakh est assurément tout aussi mal loti que Habib Essid. Il tombe au mauvais moment et au mauvais endroit. Son tort, aux yeux de ce Monsieur qui préside aux destinées du Parlement, c'est d'être le « poulain » sur lequel a misé Kaïs Saïed. Un Président qui ne lui fait d'ailleurs pas de cadeaux, comme on l'a vu lors de la première réunion du Conseil de sûreté nationale consacré au Coronavirus. Il n'empêche : le feeling entre les deux hommes et la coordination des politiques entre Carthage et la Kasbah sont très mal vus au Bardo. C'est, dès lors, toute une technique de coups bas d'en dessous de la ceinture, un Bureau de l'ARP qui fonctionne comme dans la logique de cette fameuse « loge P2 » et qui s'attelle maintenant à peaufiner un règlement intérieur, clientéliste, rassembleur autour du « Perchoir » et qui ira puiser de nouvelles mesures législatives au sein de la toute puissante Commission du règlement intérieur, de l'immunité, des lois parlementaires et de la loi électorale. Tout un verrouillage tendant à fédérer autour d'Ennahdha ce qui reste de Qalb Tounès (officiellement dans l'opposition, mais dont les récents propos d'Iyadh Elloumi prêtent à équivoque) la Coalition Al Karama (toujours aussi suspendue à un mouvement des lèvres de Ghannouchi) et d'autres âmes errantes dans l'hémicycle. Un verrouillage dans les règles en somme, d'autant que des indiscrétions, du côté du Bardo, font état de projet d'un nouveau texte interdisant le tourisme parlementaire et le passage d'un bloc à un autre. En soi, ce serait logique et même respectueux vis-à-vis des électeurs, si ce n'était pas mu, justement, par un plan de noyautage de l'opposition -en passe d'étouffer Abir Moussi- et par la suspicion à l'endroit d'Ettayar et d'Echaâb, idéologiquement aux antipodes d'Ennahdha. Ces manœuvres secrètes, au final, viseraient le gouvernement Fakhfakh lui-même. C'est-ce qui fait dire à Mohamed Abbou que, nolens volens, ce gouvernement est parti pour durer quatre ans. Du côté de la Kasbah, on flaire la combine. Et elle a déjà commencé par le harcèlement systématique. A savoir, ces interminables séances d'auditions des membres du gouvernement, comme sacrifiés pour les besoins d'une musarde parlementaires alors que l'exigence première est qu'ils soient sur le terrain, dans l'action et pas dans les palabres.