Le Temps-Agences - Les chefs des deux partis de l'ex-opposition vainqueurs des législatives lundi au Pakistan devaient négocier hier, lors d'une rencontre déterminante, la formation d'un gouvernement de coalition face au président Pervez Musharraf, lequel entend pour l'instant rester à son poste. La question la plus épineuse est précisément le sort réservé au chef de l'Etat, au pouvoir depuis un putsch militaire il y a plus de huit ans. Le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) de la défunte Benazir Bhutto, arrivé largement en tête et qui devrait diriger le gouvernement, n'est pas hostile à une cohabitation avec un président privé d'une partie de ses pouvoirs de blocage. Le mouvement de l'ex-Premier ministre Nawaz Sharif, arrivé second et sans lequel une coalition de l'ex-opposition est impossible, exige, lui, le départ de M. Musharraf qu'il considère comme un "dictateur". Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto et nouveau leader du PPP, a annoncé qu'il s'entretiendrait dans la soirée avec Nawaz Sharif. Car au vu des résultats quasi-définitifs, mais toujours pas officiels, ni le PPP, avec 87 sièges, ni la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N-N) de M. Sharif (66), ne dispose d'une majorité pour gouverner seul. Le parti qui soutenait M. Musharraf a été balayé aux législatives (37 sièges), mais le président a assuré qu'il n'envisageait pas, pour l'heure, de démissionner, plaidant pour une "coalition harmonieuse". M. Musharraf pourrait surtout exploiter l'animosité entre les mouvements des deux ex-Premiers ministres ennemis des années 1990 : le PPP de Mme Bhutto, assassinée le 27 décembre dans un attentat suicide, et la PML-N. Manifestation et affrontements entre avocats et policiers Juste avant la rencontre d'hier soir, M. Sharif s'est mêlé à Islamabad à une manifestation d'avocats, magistrats et membres de la société civile réclamant le départ du chef de l'Etat, et les a exhortés à résister au pouvoir de M. Musharraf, qu'il a qualifié d'"inconstitutionnel et illégal". Des milliers d'autres avocats et magistrats ont manifesté dans les grandes villes et la police en a arrêté neuf à Karachi, dans le Sud, en dispersant leur rassemblement à coups de bâtons et de grenade lacrymogènes. Mais M. Musharraf a fait par avance de la question de son départ un casus belli, lui qui peut dissoudre le Parlement et démettre le gouvernement. Le président limogé de la Cour suprême du Pakistan a appelé hier depuis sa résidence surveillée, ses partisans à se rassembler, demandant que le nouveau gouvernement qui sortira des législatives remportées par l'opposition réinstalle immédiatement les juges évincés par Pervez Musharraf durant l'état d'urgence. Iftikhar Mohammed Chaudhry, qui figure parmi les dizaines de juges ouvertement indépendants limogés et remplacés par Musharraf à la fin de 2007 est assigné à résidence dans sa maison d'Islamabad depuis le 3 novembre dernier. Bien que toutes ses lignes de téléphone soient coupées, il est parvenu à mettre la main sur un téléphone portable duquel il a appelé les avocats à la mobilisation. Peu après le discours de Chaudhry, dans les rues du port méridional de Karachi, la police a tiré des grenades lacrymogènes pour le rassemblement d'une centaine d'avocats. Des marches ont également eu lieu à Lahore dans l'Est du pays ainsi qu'à Quetta, dans le Sud-ouest. Cet enjeu est de taille car M. Musharraf est l'allié-clé des Etats-Unis dans leur "guerre contre le terrorisme". Et la République islamique du Pakistan, forte de 160 millions d'habitants et seule puissance nucléaire du monde musulman, en proie à une vague d'attentats islamistes sans précédent, qui a fait près de 1.000 morts en un an, est considérée par Washington comme une pièce essentielle à la stabilité de la région et du monde.