La rédaction de cet article m'a demandé des semaines de réflexion. Dois-je me taire et participer à la clochardisation de l'enseignement ou tout dévoiler afin de mettre fin à cette véritable mascarade qui fait tant de mal aux élèves, au pays et à leur avenir ? Très lourde responsabilité ! C'est à la demande de certains parents, que j'ai accepté d'encadrer leurs enfants qui préparent le bac dans deux lycées huppés des Menzah, gouvernorat de l'Ariana. Devant leur incroyable faiblesse, je leur ai dit que le niveau d'un maîtrisard ou d'un doctorant est plus faible que celui d'un élève qui a obtenu le certificat d'études primaires, il y a 50 ans. A la fin du cours, la première de sa classe m'a déclaré qu'elle rêve de terminer ses études universitaires pour passer, par la suite... ce certificat. C'est loin d'être une bonne blague et la fille n'a même pas compris le mot « primaires ». Imaginez l'ambiance ! Ce que je dois souligner, c'est que j'ai entendu des milliers de fois, les qualificatifs les plus insultants, pour désigner nos élèves. « Ils sont nuls, incultes, insolents, fainéants, agressifs... » Ceci est en partie vrai ! Par contre, si on se met à étudier les véritables raisons, très vite, on excelle pour tout fausser et tout camoufler. « L'enfer, c'est les autres ! ». Et pourtant, que cela plaise ou non ! Nos enfants sont tout simplement à notre image ! Ils sont les fruits de notre cafouillage et de notre travail débilitant. Bien sûr, les parents ont une part de responsabilité ! Bien sûr, la société a aussi sa part ! Mais ce qu'on refuse d'entendre, c'est la responsabilité très lourde des professeurs et de leurs inspecteurs, dont certains sont d'un excellent niveau, soit dit en passant !
De la responsabilité des professeurs : En contrôlant les cahiers d'histoire et de géographie du 1er groupe, j'ai rapidement remarqué que toutes, absolument toutes les leçons, sont non seulement bâclées, mais surtout très loin des manuels de l'enseignement ou de tout manuel scolaire. Plus catastrophique, des fautes gravissimes, même pour un élève, sont pratiquement dans chaque donnée. A titre d'exemple, j'ai relevé plus de 20 fautes, uniquement dans la leçon : « La Tunisie dans les années vingt », non étudiée, mais remise sous forme de brouillon polycopié aux élèves. De quoi faire bondir de leurs tombeaux nos pauvres parents qui avaient tant donné au pays, pour le libérer ! Pour la géographie, les leçons semblent venir de manuels d'il y a un quart de siècle ou de bonnes blagues et des meilleures perles de nos élèves, pourtant si riches. Burlesque ! Pour l'autre groupe d'élèves d'un autre lycée, mon travail de contrôle est extrêmement facile. Certains d'entre eux ne connaissent même pas les titres de leurs cours. La raison est fort simple. La professeure se contente de leur demander d'ouvrir leur livre, se met à lire le cours et leur demande de souligner telle ou telle phrase. Un élève ferait peut-être mieux, en faisant rire la classe, de temps en temps. Pourvu qu'on ne nous dise pas que ce sont des cas isolés. Par ma propre expérience, j'affirme que ce phénomène est fort courant. Tant de profs, se contentent de réciter leur cours pendant de longues années, d'autres piquent tout simplement les leçons de leurs collègues.
De la responsabilité des inspecteurs : Ces professeurs cités ne sont nullement des stagiaires, puisqu'ils ont plus de 15 à 20 ans d'enseignement et corrigent les épreuves du bac sous le « contrôle » d'un inspecteur ou d'une « conseillère pédagogique ». Et plus dramatique, encadrent les nouveaux profs stagiaires. En dénonçant ces pratiques devant une salle remplie de collègues, j'étais devenu le meilleur ennemi de mon « inspecteur ». A qui la faute ? Certes à ces enseignants qui osent même donner des cours particuliers, pour « aider » les élèves et leurs pauvres parents. Mais la grande responsabilité incombe aux inspecteurs. Comment osent-ils laisser ce désastre noyer nos écoles ? Comment acceptent-ils primes, promotions et honneur ? Comment trahissent-ils leur mission de cette façon ? Manque de temps pour contrôler ce travail ? La ficelle est un peu trop grosse ! D'ailleurs, n'importe qui, peut vérifier les accusations que je porte à l'opinion, en comparant les cahiers et les manuels. Mieux ! Si le ministère veut stopper cette gangrène qui attaque l'enseignement, il peut prendre un exemplaire des cahiers de chaque professeur et vérifier leur contenu dans une autre région, comme il le fait pour les épreuves du bac. Le plus choquant est que certains de ces inspecteurs nous produisent des manuels très « performants » avec des erreurs et des contresens à ne plus en finir (voir les chapitres sur la Tunisie). Les derniers manuels ont le secret de déformer et non pas former élèves et enseignants. Si quelqu'un veut comparer les trois derniers manuels d'histoire ou de géographie, (dont le premier des deux matières fait honneur au pays) il risque d'avoir une attaque cardiaque. Mais qu'importe ! Nous suivons bien les dernières expériences françaises dans le domaine ! Les perles et le bourrage en prime, car 4/5è des 440 pages sont des documents d'histoire qu'aucun prof ne consulte (faute de temps) et 40% de plus que l'ancien manuel (285 pages). Travail royalement payé et gaspillage des deniers de l'Etat ! Abdelbaki BEDOUI Professeur principal d'histoire-géo. Retraité.