Cette rubrique traite des faits réels dans des affaires anciennes et classées. Par respect pour les personnes , il n'est guère mention de non , ni de dates précises des faits , et encore moins de lieus précis. Il avait soixante ans bien sonnés et pourtant il paraissait beaucoup plus jeune. « Le soir, j'ai comme une angoisse. Ça me prend à la gorge. Là, tu vois ? Juste au niveau de la pomme d'Adam. Quand tout le monde dort, et au milieu des ronflements, je revois dans mon esprit, et tout en ayant les yeux ouverts, toutes les péripéties de la soirée du drame ». Khammous, qui purgeait une peine de vingt ans, était assis sur un seau en guise de chaise et racontait à son compagnon de cellule le drame qui l'avait conduit en prison. Celui-ci l'écoutait avec attention pendant que la plupart des détenus qui se trouvaient avec eux dans la même cellule faisaient la sieste. Il y avait un silence profond. On était en plein mois d'août et il faisait une chaleur étouffante. Khammous, s'arrêta de parler pour tirer sur la cigarette qu'il partageait avec son interlocuteur. Celui-ci avait un récipient en plastique en guise de tasse où il y avait du café, qu'il sirotait de temps à autre, quand son tour de fumer cette cigarette commune, arrivait. Après ce temps d'arrêt qui lui permettait entre autres de reprendre ses esprits, Khammous poursuivit en ces termes. « Tu sais,je me suis marié par amour. J'étais fou de ma femme. Et malgré les problèmes que j'ai eu avec sa famille et la mienne, j'ai tenu bon, et elle aussi, d'ailleurs. Mais est-ce que cela veut dire qu'elle l'avait fait par amour ? Ce n'est pas évident, car elle voulait se caser, surtout qu'elle avait raté ses études et qu'elle était un peu désemparée. Elle avait vingt ans de moins que moi. Elle était âgée exactement de dix-huit ans alors que moi, j'en avais trente huit. Le jour de mon mariage coïncidait avec celui de mon anniversaire. » La discussion fut brusquement interrompue par le bruit des clés dans la serrure. Ce bruit était encore plus angoissant que ce tout qu'avait enduré Khammous et tous les autres détenus. - « Je n'aime pas ce bruit des clés. Il vient à chaque fois troubler ma quiétude, comme pour me rappeler à l'ordre et me tirer d'une certaine évasion psychologique,grâce à laquelle je me permets de rêver et de sortir par mes sens, mes sentiments et mon esprit du « ghetto » où je trouve. Soupira le compagnon de Khammous, avec beaucoup d'amertume. La porte s'ouvrit, et le gardien vint annoncer l'heure de la promenade. Il avait plutôt une voix aiguë et étant trapu et son embonpoint était visible à l'uniforme, dans lequel il semblait plutôt serré. Ses moustaches était bien fournies, le képi enfoncé sur sa tête lui cachait entièrement les cheveux et une bonne partie du front. Khammous se dirigea vers la cour avec son compagnon, pour continuer la discussion, pendant la promenade. - « Les jours passèrent et comme tu sais j'ai plongé dans la drogue à cause de problèmes psychologiques, mais je n'ai jamais failli à mes devoirs conjugaux ». J'ai fait ce que j'ai pu pour élever mon fils âgé, aujourd'hui, de dix ans, dans la dignité. - « Il vit avec sa grand-mère ? - « Oui, bien sûr, avec ma mère. C'est la seule, qui m'a aidé et soutenu ! » Khammous alluma une deuxième cigarette et la tendit à son compagnon. Celui-ci ne pouvait pas se permettre d'en acheter et profitait de fumer avec Khammous. Il purgeait lui aussi, une longue peine, mais pas pour les mêmes raisons. Lui, c'était un dealer qui avait été impliqué dans une grande affaire de trafic de stupéfiants. Quant à Khammous, il était condamné pour le meurtre de sa femme. Une sale affaire ! Mais lui, il a toujours clamé son innocence. Sa femme était dépressive et était affectée par le comportement de son mari qui, à un moment donné, avait plongé dans la consommation de la drogue, au point d'en devenir accro. Il avait passé quelques mois déjà en prison avant sa dernière incarcération. Il était condamné pour usage de stupéfiants. A sa sortie, il avait passé quelques mois à l'hôpital dans un service de désintoxication. Ce fut pendant son séjour à l'hôpital que sa femme a connu un ancien ami de classe. Un revenant. Il avait quitté le pays à un moment donné pour aller travailler à l'étranger. A son retour, il a rencontré la femme de Khammous et essaya de la consoler. Mais, de quelle façon ? Là, les rumeurs étaient multiples et les avis étaient contradictoires. D'aucuns racontaient que cet ami ne cessait de la courtiser, dans le but de la conquérir et l'amener à divorcer, pour pouvoir l'épouser. D'autres avançaient qu'il avait même eu une idylle avec elle. Tandis qu'une minorité affirmait, qu'il avait agi en simple ami pour essayer tout simplement de l'aider. Toujours est-il, qu'à sa sortie de l'hôpital, Khammous eut vent de cette relation douteuse de sa femme avec cette personne qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Mais, laissons Khammous raconter à son compagnon la suite des évènements. -« Lorsqu'en rentrant de l'hôpital, je lui ai parlé de cette relation, elle s'est tout de suite, mise en colère. Mais elle était perturbée, quand même. Elle m'avait dit, d'abord, qu'elle n'avait jamais revu cet ami, puis elle m'a dit qu'elle l'avait incidemment croisé dans la rue pour parler avec lui, juste un quart d'heure. Mais je voyais qu'elle mentait. Ses propos étaient contradictoires et incohérents. Notre première discussion s'est terminée en dispute, et elle est allée dormir au salon. -« Et est-ce que tu as vu le jeune homme en question ? -« Je l'ai vu une fois dans sa boutique de fleuriste. C'est un ami qui m'a renseigné sur lui ». -« Ensuite ? » -« Eh bien, ensuite, tout était arrivé très vite, comme si le ciel s'abattait sur nos têtes ». Le soir du drame, elle était rentrée tard. Il était dix heures ou dix heures et demie, lorsque je lui ai demandé les raisons pour lesquelles elle était en retard, elle s'était mise brusquement en colère. Tellement en colère qu'elle devenait hystérique. Elle criait si fort qu'elle avait dérangé tous les voisins. Puis elle s'était saisie d'un couteau qu'elle chercha dans la cuisine. Elle criait : « Je vais me tuer. Je veux mourir ». Je voulais l'empêcher de faire une bêtise. Je l'ai attrapée par le bras et j'ai essayé de lui arracher le couteau. Et ce fut ainsi que se produisit l'irréparable. Dans sa gesticulation la pointe du couteau s'était plantée dans sa poitrine. Elle lui avait atteint le cœur ! ». Khammous était devenu tout rouge. Une forte suée lui mouilla le tee-shirt blanc qu'il portait, son compagnon essayait de le calmer et lui apporta à boire, dans le fameux récipient en plastique où il y avait du café. Khammous avait-il donné cette version pour se disculper ? Pouvait-il tuer de sang froid la mère de son fils et celle qu'il aima plus que tout au monde ? Le maton vint annoncer la fin de la promenade. Khammous regagna sa cellule, le cœur gros et l'âme triste. « Jamais je n'aurais pu faire une chose pareille ! Je n'ai jamais fait de mal à une mouche ! », dit-il à son compagnon en soupirant. -« Que dirais-tu d'une partie de dames ? », lui dit son compagnon, qui essayait de lui faire oublier un événement qui l'avait marqué pour l'éternité.