Il aura entraîné tous le grands clubs de Tunisie, même si ce ne fut pas toujours pour une longue période. Son statut en tant qu'espérantiste lui a joué de mauvais tours quand il prenait en main les destinées d'équipes rivales. Son parcours n'est peut être pas jalonné de titres mais riche en connaissances et en relations humaines. Son calme olympien sur le banc de touche alors et à l'ère où tous les entraîneurs fulminent, s'agitent, s'esquintent le gosier, s'enrayent et s'enrouent la voix et font de l'influence autour d'eux le distingue des autres. C'est sa manière à lui de se concentrer, un tempérament et un choix. Il se qualifie de minutieux dans son travail et de têtu. Il ne laisse personne s'immiscer dans ses choix professionnels. En trente ans d'une carrière pleine, le souvenir de la finale de ligue des champions perdue contre Al Ahly lui restera à jamais au travers de la gorge ! Agacé, excédé, dépité par l'injustice des arbitres assistants et brisé de douleur, il sortira de ses gonds et s'en prendra après le match au journaliste de " Mosaïque " puis sera surpris par des supporters sfaxiens entrain de verser des larmes chaudes, seul dans sa voiture ! Il pensera, même à mettre fin à sa carrière ! Dans cette interview vérité, il dénonce l'ingratitude des responsables, regrette leur ingérence dans le volet technique, déplore l'inégalité des moyens entre les clubs, désapprouve l'attitude insultante des entraîneurs envers leurs joueurs, livre le fond de sa pensée, présente ses traits de caractère et raconte sa vie et son métier d'entraîneur.
-Le Temps : Est-ce vrai que vous étiez initialement un entraîneur de volley-ball ? -Mrad Mahjoub : Bien sûr que non. J'ai joué au foot dans les catégories cadet et junior à l'EST. Quand j'ai débarqué au lycée de Sadiki, mon diplôme d'enseignant en éducation physique, spécialité football en poche, j'ai trouvé d'anciens collègues qui avaient l'équipe scolaire de foot. Alors on m'a donné celle de volley et on remporté une coupe scolaire. Quand j'ai pris de l'ancienneté, j'ai pris en main l'équipe de football. -Q : Vous vous êtes alors destiné au métier d'entraîneur ? -R : Jamais je n'ai eu à l'idée d'embrasser une carrière d'entraîneur ! Hédi Ennabi, un collègue qui était le président de l'ES.Radès m'avait vu à l'œuvre avec l'équipe scolaire et m'a demandé de prendre son équipe fanion qui était, alors en 3ème division en main. J'ai accepté et on a pu se qualifier aux quarts de finale de la coupe et gagner le surnom de " cendrillon de la coupe ". J'y suis demeuré trois ans puis je fus sollicité par l'E.S.T pour entraîner les jeunes. Ce fut une longue expérience de six ans. Q : considérez vous que votre réussite avec l'équipe nationale junior en 1985 et sa qualification pour la coupe du monde de cette catégorie a été le véritable catalyseur de votre carrière ? R : Ce fut très certainement le cas. Mais ce n'est pas ma réussite c'est celle de tout un groupe. Le bureau fédéral était, alors composé d'hommes exceptionnels tel que Bellil et Aziz Miled et le président feu Saleh Ben Janet. Nous étions tout le temps en stage à la caserne du Bardo et le groupe était bien encadré par l'excellent Taoufik Belghith -Q : Vous aviez aussi à votre disposition de jeunes talents qui sont devenus par la suite des stars du football tunisien. -R : Oui les Chokri El Ouaer, Haythem Abid, Mhadhbi, , Lounis Abdelhak, Dergaâ et j'en passe étaient brillants et facilitaient le travail de l'entraîneur. -Q: Juste après, vous avez refusé d'être l'adjoint de Vincent à la tête de l'équipe senior. -R : C'est une option, un choix que j'ai fait dés le départ. Je n'aime pas les étiquettes. Je suis têtu, j'aime prendre mes responsabilités et les assumer. En y pensant aujourd'hui, je crois que j'aurai accepté si c'était pour seconder un Tunisien. -Q : Pourquoi êtes-vous contre l'entraîneur étranger ? -R : Je considère qu'une équipe nationale doit être entraînée par un concitoyen. Nous avons les compétences. Ce n'est pas une question de noms mais d'un ensemble de critères dont celui d'avoir le profil d'un chef. Comme je vous l'ai déjà affirmé ; la réussite dépend du travail d'un groupe. La responsabilité de l'entraîneur national doit être contrôlée. Bien sûr, il a la liberté de choisir mais son travail doit être soumis à l'évaluation par un groupe où il n'y aurait pas de tabous. -Q : On dit de vous que vous ne connaissez pas la même réussite en Tunisie qu'au Golfe ? -R : Pour moi la réussite ne se mesure pas au nombre de titres gagnés mais au respect des gens. Oui, j'ai réussi au Golfe que se soit à " Nadi Echabeb, El Ittifek, Echarka ou Il Aïn " parce que les qualités de l'entraîneur sont reconnues, tout est beaucoup plus clair et net et on te donne les moyens et une grande marche de manœuvre. En Tunisie c'est beaucoup moins évident ! Il y'a une inégalité flagrante entre les clubs et énormément de problèmes extra carré vert. Quand je m'engage dans un club, je préfère me restreindre à mes prérogatives et décider pour ce qui concerne le technique. Je ne peux pas supporter les décisions des responsables et surtout au niveau des recrutements. -Q : Vous êtes peut être trop poli et gentil ? -R : Et je ne changerai pour rien au monde. Je sais que croire et appliquer des principes moraux nuit dans ce métier mais je suis, aussi, intimement convaincu qu'être sans scrupules aide à résoudre des problèmes temporaires mais devient catastrophique à long terme. -Q : Vous donnez leur chance aux jeunes parce que vous ne savez pas gérer les vedettes ? -R : Mais non ! Tant qu'un joueur est en pleine possession de ses moyens, je le fais jouer. Si je sens qu'il manque de fraîcheur je ne l'épargne pas. Baya l'a très bien compris parce que quand il a bien travaillé physiquement, il a retrouvé une seconde jeunesse avec moi. Je suis droit avec tout le monde et je me comporte de la même manière avec tous mes joueurs. Q : C'est le cas aussi avec vos responsables ? R : Assurément. Mais certains me jalousent l'amour que les supporters me portent et d'autres changent au gré du vent ? Q : Vous parlez de Zahaf ? R : Oui. J'ai horreur de l'ingratitude. J'ai permis au CSS de remporter un titre arabe, le premier dans sa nouvelle version. Durant une certaine période le CSS était au dessus de tous les clubs tunisiens footballistiquement parlant. Zahaf m'en a voulu d'avoir perdu la finale de la ligue des champions. En réalité, nous ne l'avons pas perdu on nous l'a volé ! Il était lui aussi responsable de cette défaite. Il s'est occupé plus des festivités que du groupe. C'était l'euphorie totale. Le hall de notre hôtel était envahi par les supporters. Q : Une défaite qui vous a réellement affecté ? R : Enormément. On ne la méritait pas pour notre parcours exemplaire et pour avoir tenu en échec Al Ahly au summum de son art en Egypte même. Malheureusement, on avait gagné le match avant de le jouer. L'arbitrage nous a lésés ce jour-là. Le 11 novembre restera pour moi un jour amèrement inoubliable ! J'en veux à Zahaf d'avoir changé et de s'être si mal comporté à mon égard mais le CSS demeurera toujours pour moi un club à part où les supporters m'ont accueilli à bras ouverts. Le club aurait pu passer à un pallier supérieur s'il avait gagné ce titre. L'ESS en a profité. Q : Encore un club que vous avez entraîné mais où vous n'avez pas fait des vieux os ? R : Je crois que l'étiquette d'espérantiste a marqué mon passage à l'Etoile. Ils me voyaient en maillot " rouge et jaune " ! L'élimination en demi finale contre ce même adversaire a enflammé les esprits. Je tolère qu'on doute de mes compétences. Je serai même capable d'en rire mais j'ai horreur qu'on mette en cause mon honnêteté. Cela me fait enrager. Q : Pourtant l'EST ne vous a pas épargné et votre retour à la tête de l'équipe fanion fut un échec total. R : J'ai sans doute choisi le mauvais moment pour y retourner. L'ambiance au sein du club n'était pas saine à cette époque. Je suis foncièrement optimiste. Avec de modestes moyens et une bonne ambiance, on peut réaliser des miracles. Q : L'argent est très important dans ce métier ? R : Il permet d'avoir une vie tranquille et de pouvoir s'isoler quand on en éprouve le besoin. Q : Vous êtes un entraîneur " cher " ? R : Je mets tout le monde sur le même pied d'égalité sans être excessive ! Le gros argent, je l'ai eu au Golfe. Q : Sinon quelles sont vos autres passions dans la vie ? R : Le théâtre qui est entrain de renaître en Tunisie. Q : Et aussi la musique à ce qu'on s'est laissé dire, vous jouez de la guitare? R : Je compose même des chansons ! Q : On vous prête une dimension très humaine. Vous la confirmez ? R : Je suis très sensible à la douleur des autres et très respectueux de la race humaine. Vous ne me verrez jamais insulter un joueur ou blasphémer pour me faire entendre. Q : Vous croyez en l'amitié ? R : Mon meilleur ami c'est mon frère ! Q : Vous avez déclaré à plusieurs occasions vouloir arrêter votre carrière mais vous revenez tout le temps sur les terrains ? R : Je n'ai jamais demandé rien à personne mais je me demande si je ne suis pas devenu masochiste et vicieux. J'ai bien profité de cette période de repos. J'ai pu voyager et profiter de ma famille mais les responsables marsois ainsi que certains membres de ma famille m'ont sollicité pour aider le club et je n'ai pas pu dire non ! Q : Le métier d'entraîneur bouffe la vie d'un homme ? R : Sa vie, son temps et son énergie. Mais que c'est bon de jouir de l'amour des gens et de leur reconnaissance. Je n'ai pas choisi de faire ce métier mais je ne l'échangerai pour rien au monde !