* Une coopération tuniso-espagnole est en passe d'échafauder un plan d'action néanmoins jugé « encore compliqué ». * « Il faut changer les mentalités », disent les spécialistes. Mais il faut aussi que les femmes elles-mêmes osent dénoncer les sévices qu'elles subissent Les membres du groupe d'amitié parlementaire Tunisie-Espagne qui se sont réunis, il y a plus d'une semaine en Tunisie, dans le cadre de la troisième session de leur rencontre périodique, se sont entretenu de plusieurs sujets dont la femme. Cette question fait partie des programmes de coopération entre les deux gouvernements. Une attention particulière est, en fait, accordée à la femme battue et à la femme rurale. En témoigne, les programmes bilatéraux en cours de réalisation entre l'Office Technique de Coopération (OTC-Espagne), l'Office National de la Famille et de la Population et le ministère des Affaires de la Femme, de la Famille, de l'Enfance et des Personnes âgées. L'OTC a établi une stratégie s'étalant sur trois ans (2005-2008) dans quatre secteurs prioritaires, équité du genre, protection de l'environnement, développement des capacités économiques et le secteur culturel. Pour mieux mettre la lumière sur les projets réalisés au profit de la femme tunisienne, nous avons contacté Mme Irène Lobo, responsable du programme Genre et Développement à l'Office technique de Coopération. Elle nous a parlé, entre autres, du programme de lutte contre la violence subie par la femme et du développement de la femme. Mais, suffit-il de mettre en place des programmes pareils pour parer à ce problème social ? Ces programmes de coopération seront-ils réellement efficaces ? La femme rurale a-t-elle besoin uniquement des centres d'animation sociale ou de sensibilisation ? Dans cet entretien, Mme Lobo répond à ces questions. Interview.
Le Temps : Depuis quand date la coopération entre l'Espagne et la Tunisie dans le domaine de la femme ?
Irene Lobo Avant l'année 2005, l'Office Technique de Coopération réalisait (OTC) des petites actions dans plusieurs pays. Mais, il y a deux ans, l'office a changé de plan de travail. Il a, en fait, élaboré un document stratégie pour les pays. Ce programme qui se réalise sur trois ans est axé sur quatre secteurs prioritaires à savoir ; l'égalité entre l'homme et la femme, en d'autres termes, équité du genre, la protection de l'environnement, le développement des capacités économiques et le secteur culturel. Ces plans de travail sont réalisés par la coopération espagnole partout dans le monde. Mais on accorde une attention particulière à l'un de ces champs selon la priorité de chaque pays.
Quelles sont les questions prioritaires en Tunisie ? Nous considérons que la femme tunisienne a beaucoup d'acquis. Ses Droits sont assez développés. Toutefois, le problème de la violence se pose. C'est pour cette raison que nous avons choisi de collaborer avec les institutions tunisiennes sur cette question. Nous travaillons depuis le mois de mai 2006 avec l'ONFP sur un projet qui porte sur la lutte contre la violence envers la femme. Il se compose de trois volets. La recherche, la formation des intervenants de l'ONFP et la sensibilisation. Une équipe de chercheurs se penche pour le moment sur le premier volet. Elle est en train d'élaborer les modalités de réalisation d'une enquête pour mieux cerner le problème en Tunisie. La formation touche essentiellement les cadres de l'office qui sont en étroite liaison avec les femmes victimes de sévices. Notre objectif est de développer leur capacité d'écoute et de prise en charge des femmes battues qui se rendent dans les centres du planning familial. La sensibilisation touchera plusieurs intervenants notamment les ONG, les médias. Nous proposerons au gouvernement Tunisien d'impliquer les agents de la police dans ces programmes. Car, c'est très important de sensibiliser les professionnels dans le domaine et de leur inculquer la façon d'accueillir les femmes victimes de violence. Nous avons en Espagne des commissariats spécialisés. Des femmes policières ont été chargées de cette mission. Les ONG doivent être, de leur côté, des membres actifs pour limiter ce problème. Il faut que ça bouge à tous les niveaux. Il est, également, important de sensibiliser les jeunes afin de les aider à concevoir et imaginer une vie de couple sereine, sans conflit. Une culture qu'ils doivent apprendre pour gérer leurs problèmes à l'amiable. Il faut aussi viser d'autres professionnels en étroite liaison avec les femmes battues, notamment les médecins, les avocats et les juristes. Ils doivent savoir comment traiter la femme victime de violence.
Mais, suffirait-il d'établir des programmes. Il faut quand même prévoir une évaluation ? C'est vrai. C'est un projet compliqué. Les résultats ne vont pas être clairs et rapides. En Tunisie, il y a une volonté de réduire le problème et de mieux prendre en charge les victimes. Il y a beaucoup à faire. Certainement, les solutions ne seront pas concrétisées dans l'immédiat. Elles seront réalisées à long terme. Il faut tout d'abord changer les mentalités. En Espagne par exemple, nous n'avons pas réussi à changer les mentalités à propos de cette question malgré les efforts déployés. Mais, il y a de plus en plus de prise de conscience quant à la gravité de ce comportement. C'était un sujet tabou. Nous n'avons pas aussi réussi à cerner le problème au niveau quantitatif. Et pour cause, nous ne disposons pas de statistiques précises. Il est difficile ainsi de comparer l'évolution du problème car les chiffres sont très récents. Il est recommandé ainsi d'axer le travail sur le changement des mentalités. L'évaluation des projets est fondamentale pour tirer les conclusions quant à ses avantages et son efficacité.
Vous avez un autre programme pour la femme rurale ? Un autre projet est en cours de réalisation en collaboration avec le ministère des Affaires de la Femme, de la Famille, de l'Enfance et des Personnes âgées. Il consiste dans la mise en place des pôles de rayonnement pour la femme rurale. Le ministère réalise ce programme dans plusieurs régions et nous le soutenons dans quatre zones du pays, Kairouan, Tataouine, Béjà et Zaghouan. Le coup d'envoi du programme a été donné en juillet dernier. Il s'étale sur 24 mois. Nous assurons la formation des animatrices sociales dans ces pôles. Le volet sensibilisation dans la lutte contre la violence subie par la femme et dans la santé reproductive est également à l'ordre du jour. Nous soutenons aussi les filles qui ont abandonné à un âge précoce l'école. Cette action se réalise à Kairouan. Propos recueillis par Sana FARHAT