A l'origine du projet, les deniers publics étaient aussi grandiloquents que les ambitions qui ont animé le relookage de notre centre ville. Une artère à l'image des Champs-Elysées. Même si la prétention existait, il n'en reste qu'une vulgaire réplique pour ne pas dire une réalité utopique. Et pourtant la conception a épousé, à l'origine la réalisation. Pourquoi la conformité n'a t-elle pas suivi ? Faut-il chercher la réponse dans les indices de paupérisation qu'affichent notre centre ville ? Où trouver dans la manière de gérer l'espace public des réponses qui pourraient expliquer cet état de fait ? A moins qu'il faille jeter un regard introspectif dans les comportements du Tunisien vis-à-vis de cet environnement.
Ce qui suit est à considérer comme un coup de gueule, une envie de décrire cette surenchère dans les dérives et l'impression piteuse que laisse le parcours de notre artère principale. Un détour, ou plutôt une randonnée voulue par nostalgie au centre ville, s'est transformé en un périple amer ressenti en déambulant de bout en bout l'artère principale de notre capitale. C'est connu, les capitales du monde entier sont cette identité première d'un pays qui imprègne tout visiteur. Et au-delà de la beauté architecturale, des prouesses urbanistiques d'esthétisation, de valorisation environnementale, une capitale c'est d'abord un espace public investi par des citoyens qui donnent le ton, la cadence, la qualité de vie et l'ambiance qui y règne. Prenons de la distance et débarquons.
Ça grouille. De partout. Les gens s'affairent, trottent, flânent, une agitation somme toute ordinaire. Mais les premiers signes symptomatiques ne tardent pas à s'annoncer à l'extrémité de l'Avenue de France, et rue El Jazira avec ce paysage anarchique occasionné par les stationnements des taxis, des voitures de particuliers, de louages algériens. C'est à se demander qui leur a concédé cet espace, ces trottoirs ? Alors que de tels abus sont bannis auprès du conducteur tunisien qui à égale pratique, verra illico, son véhicule confisqué par les services municipaux et devenir passible d'une amende de trente cinq dinars. L'accès au centre ville est ainsi, non seulement paralysé, mais fait plus dommageable, leur stationnement altère la beauté du Monument de la Porte de France.
Cafés et fast food... Place aux cafés. Ils pullulent comme des champignons, investissent de manière progressive et toujours inexpliquée les trottoirs. Les aberrations de certains vont jusqu'à grignoter le peu d'espace réservé aux piétons. A croire qu'un mot d'ordre a été donné pour générer autant de monotonie, si peu d'imagination dans la décoration et une absence de singularisation de nos cafés ! Pourquoi cette réponse imposée aux goûts du Tunisien qui n'a droit qu'à des services, des chaises, des tables et des cafés interchangeables ? Pire, cette bouffe, qui nous bouffe le moral. Comment expliquer qu'à côté de chaque café un espace fast food prenne place ? Quid des serveurs. N'y a-t-il pas moyen de recycler leur savoir faire pour ne pas dire leur savoir être. L'expérience auprès de trois cafés est également lamentable. Un service qui traîne. Une réponse à votre commande qui se fait avec une seule cuillère à votre tasse et qu'on vous demande de partager avec la personne qui vous accompagne pour diluer votre petit sucre. Au prix où se pratiquent les cafés, un verre d'eau avec glaçon ne serait pas un luxe. En comptant la facture, l'abord pénible des serveurs, ajoutez y les vociférations harassantes de certains voisins gloutons. Votre café a tous les goûts du déplaisir.
Tavernes jonchées de saletés L'alcool, sa vente, sa consommation fait l'objet d'une tolérance deux poids, deux mesures pour ne pas dire d'une incohérence incompréhensible. Le propos ici n'est ni permissif, ni restrictif. La question est de comprendre pourquoi les locaux qui proposent cette consommation affichent tous des allures de tavernes, jonchés de saleté, pollués de fumée et déprimante d'obscurité. Sans rentrer dans des considérations d'ordre moral, la tenue, la qualité et le prestige pourraient être l'image de ce breuvage. Il y a peut-être quelques explications rationnelles voire scientifiques, jamais élaborées par ailleurs, dans le rapport bizarroïde du consommateur à l'alcool. Le moins qu'on puisse dire c'est que pour certains tunisiens - une grande proportion- c'est loin d'être un rapport de plaisir, de gustation encore moins un appoint qualitatif dans son quotidien. Mais cette relation peut-être perfectible si on consent de « dé-ghetthoiser » et de sensibiliser les consommateurs sur les aspects néfastes de tout abus moyennant des campagnes publiques.
Plusieurs questions s'imposent. Pourquoi les contrôles d'hygiènes, de prix, de qualité touristique...font-ils défaut ? Certains argueront qu'ils font leur travail, nous supposons de bonne foi que c'est le cas. Alors pourquoi l'état des lieux et les multiples détails observés prolifèrent-ils à vue d'oeil pour affirmer le contraire ? Probable qu'une systématisation des approches de contrôle est à imposer. Que la nature des sanctions est à réviser et surtout qu'une intransigeance au niveau des applications est à soutenir.
Disparition silencieuse des vitrines Mais là où le bât blesse, c'est cette disparition silencieuse des vitrines. Ces miroirs attrayants qui reflètent les nouvelles tendances, qui changent et prennent des couleurs au gré des saisons. Ces capteurs artificiels de toute ville qui poussent tout un chacun à répondre au plaisir subtil d'y flâner. Les kiosques de journaux qui stoppaient, autrefois, les pas des passants et retenaient l'attention des badauds même, pâtissent de leur transfert à proximité de la place d'Afrique et cannibalisent la vente des journaux par des articles qui relèvent plus des souks populaires, avec en sus ces sonorités stridentes de cassettes qui polluent. Enfin, avec la délocalisation, à l'autre extrémité du centre ville, des fleuristes, c'est toute une identité visuelle qui a été altérée. A l'heure actuelle, c'est à même la chaussée que les fleurs inhalent les échappements des voitures, alors qu'auparavant, elles inondaient et embaumaient le cœur du sillon de l'avenue.
Les paramètres de compréhension de cette atmosphère ambiante deviennent insaisissables sont criards dans la tenue, le savoir être, le savoir vivre qui frôle la vulgarité, l'arrogance et toujours l'incivilité. Une incivilité qui s'exprime dans les regards qui insistent, scrutent jusqu'à agresser. Au regard des politesses, des courtoisies de rigueur dans des lieux publics qui s'affichent mal, sporadiquement, si ce n'est rarement. C'est dans ce désamour manifeste pour ce qui est supposé être un espace d'ouverture neutre vers l'autre, vers nous même, vers l'expression de notre degré de citoyenneté.
Elle était pourtant belle notre avenue au début de sa rénovation. Au début de la stricte application des règles d'interdiction de stationner qui avaient métamorphosé la physionomie de notre avenue. Il est paradoxal de constater que parallèlement aux efforts consentis pour améliorer le cadre de vie, l'élément humain, premier bénéficiaire de cette qualité, soit à l'origine de sa détérioration. Il semble que gérer des infrastructures aussi colossales soient-elles est plus aisé que façonner les structures mentales de ceux qui refusent de suivre l'évolution.