Une discussion byzantine et une bataille navale ont éclaté entre deux profs universitaires : Dr Fadi Ayech et Mr Naouefel Ben Rayana. Le premier a rédigé un article intitulé « Tunisiens avant d'être Arabes ». Le second très fâché, lui balance un violent article avec pour titre « Choquant ». Mais en fait, nos deux universitaires nagent dans une piscine de confusions et d'erreurs étymologiques, historiques et culturelles de couleurs sombres. Avant de rectifier le tir ou de lancer une bouée de sauvetage, il est à signaler qu'il suffit de changer le nom de Fadi Ayach par Ben Rayana dans le premier paragraphe de ce dernier pour être vraiment choqué par le contenu de son article et notre choqué de devenir choquant en comparant son collègue aux néo-cons et aux racistes d'un Occident en crise. Par la suite, les deux confondent totalement le sens du mot arabe. Est-ce qu'ils parlent de l'ethnie arabe ou de la civilisation et de la culture arabes ? Tout le problème est là au risque de nous noyer à Byzance !
Arabe ? Vas-y savoir ! Je doute fort que Mr Ben Rayana puisse nous prouver qu'il est de l'ethnie arabe, comme pour la plupart des Tunisiens et des arabes d'autres pays. Chez nous il y a eu un brassage total des ethnies à travers les siècles : berbères, phéniciens, romains, grecs, arabes, turcs, espagnols, français, italiens, allemands, noirs d'Afrique...Il serait miraculeux de prouver que l'on est arabe, dans la mesure où les arabes musulmans, contrairement aux juifs et aux chrétiens ne tenaient pas de registres de leur état civil jusqu'au XIXe siècle. C'est la colonisation qui l'a imposé. N'importe qui parmi nous serait incapable de citer cinq, quatre, voire trois de ses ancêtres. A moins que l'ADN de Mr Ben Rayana nous prouve scientifiquement qu'il est bel est bien de souche arabe ou à l'instar d'ibn Tûmart, fondateur de l'Etat des Almohades et berbère à 100%, qui pour se proclamer le « Mahdi Attendu », falsifia son arbre généalogique pour se faire nommer Muhammad ibn Abdallah ibn Abdelmutalab... ibn Tûmart...de la tribu de Kuraich. Il fallait le faire ! Mais au moins, ce berbère a été le seul à réaliser l'union du Maghreb, après ...les romains et avant les français, l'Andalousie en plus Par la suite, Mr Ben Rayana coule au fond de la piscine en parlant de l'histoire de la conquête arabe du Maghreb. Il doit revoir ses cours puisqu'il clame haut et fort que les arabes « sont les seuls à propager un message de justice et à s'être mélangés dés leur arrivée à la population locale ». Pauvre Saint Augustin ! Pauvres sommités de l'Ifriqiya ! Puis il ajoute doctement « La motivation de leur venue n'était pas liée à un quelconque intérêt économique ou l'asservissement des indigènes ». C'est bien la première fois que j'enregistre l'arrivée d'une armée conquérante pour ...des motifs aussi nobles. Notre maître semble ignorer qu'à l'arrivée des armées arabes, les berbères, (la population native, locale et autochtone dont on voulait effacer l'identité et surtout la langue), avaient mené l'une des plus longues guerres des peuples et qui dura prés de 75 ans. La dernière bataille fut menée par El Kahina qui demanda à ses deux enfants de se convertir à l'islam pour les sauver de la mort et à son armée de mourir avec elle au lieu d'être asservis. Il faut se rappeler que le mot « amazigh » veut dire « homme libre ». Enfin Mr Ben Rayana enfonce le clou et nous annonce que les arabes « ont créé plusieurs civilisations en Tunisie (à Kairouan, Mahdia, Tunis etc....), en Afrique du Nord (Maroc et Andalousie) ou ailleurs (en Irak, etc.) ». Terrible confusion -qui nous fait craindre le pire pour la formation universitaire de nos étudiants- entre deux notions : cité et civilisation Peut-être ? Par contre, il doit savoir que jamais les arabes depuis leur arrivée n'ont gouverné notre région, même constat pour l'Algérie et à un degré moindre pour le Maroc (voir l'ADN). Ce sont bel et bien les berbères qui, islamisés, ont créé plusieurs dynasties de Kairouan, à Mahdia et à Tunis : aghlabides, fatimides, zirides, almohades, hafsides. Quant à la dynastie husseinite (1705 - 1957), elle a été fondée par Hussein ben Ali qui a pour père un grec et pour mère une kéfoise de la tribu des Cherni. Kéfoise ne veut pas dire arabe. Peut-être qu'elle était berbère. Qui sait ? Dynastie détrônée par Habib ben Ali Bourguiba. Arabe de souche ???
Culture et civilisation arabes : Mais quelle mouche a frôlé Mr Ben Rayana en nous parlant de Bernard Lewis, l'un des idéologues du « choc des civilisations », (Islam contre chrétienté) et bien sûr le conseiller écouté de Bush, Oriana Fallaci, Houelbecque et Salman Rushdie ? J'ai horreur de ces imbéciles, quelle que soit leur renommée, dans la mesure où nul n'a le droit d'insulter une religion quelconque, et en occurrence, l'islam pour ces quatre « chevaliers de la liberté de pensées ». Ben Rayana nous offre la preuve qu'il ne fait aucune distinction entre arabe et musulman, à moins que pour lui, tous les arabes doivent être musulmans. Ce serait vraiment dingue pour un universitaire ! Quant au docteur en Sciences Politiques, comme il le souligne, je trouve qu'il est navrant d'étaler tant d'ignorance et d'inculture en nous disant textuellement : « La culture dite arabe est plutôt, au moins de nos jours, une culture de haine de l'autre, d'hypocrisie, de chaos, de corruption, de frustration, de paresse, de désordre, d'extrémisme religieux ». Merci pour Mahmoud Derwiche et Youssef Chahine ( l'un musulman, l'autre chrétien) pour ne citer que ceux qui viennent de nous quitter en nous laissant, avec des milliers d'autres créateurs et penseurs un trésor des plus inestimables en riche culture et en fine civilisation arabes (et non pas particulièrement musulmanes). Chers amis, à ses débuts la civilisation arabo-musulmane n'a pas été créée par les arabes, mais par des perses, des turcs, des juifs et des chrétiens convertis et cela à l'époque des premiers abbassides (Haroun er Rachid, el Maamoun...) et par la suite par les arabes de souches. Il est inutile de citer ces géants tant la liste est longue et qui ont laissé un héritage fabuleux pour l'humanité entière. Ce fut bien l'âge d'or de cette civilisation appelée aussi « l'Islam des Lumières », grâce à des sultans hors normes, ouverts aux autres cultures et civilisations. Par contre, les ténèbres avaient commencé le jour où l'on avait commencé à refuser l'autre ; et il est quand même des plus bizarres qu'actuellement, cette civilisation musulmane ne soit pas parvenue à négocier sa modernité alors qu'elle a été à la base de la Renaissance de l'Occident judéo-chrétien comme on se plait à l'appeler récemment. Il est encore bien plus choquant qu'après l'indépendance des pays, les musulmans se soient renfermés encore plus qu'avant et ne cessent de s'entretuer pour un voile ou une barbe, alors qu'ils ont des penseurs de poids et capables de ressusciter cet « Islam des Lumières ». Mais Bush et nos illuminés refusent tout changement et adorent les traditionalistes, sans oublier les pouvoirs politiques qui ont une peur bleue de tout renouveau même s'il est des plus pacifiques.
Finalement, mes chers enfants, un arabe est comme tout être humain, croyant ou athée. Il peut être cultivé, respectueux, bien élevé, ouvert et tolérant ou inculte, fanatique, haineux, borné et aussi fermé qu'une huître mais avec une perle en toc. Tout dépend de son vouloir et de son éducation. Alors tunisien ? Très certainement et fier de l'être, Arabe ? Peut-être mais pas n'importe lequel. To be or not to be. Et TOC sur le crâne !