Solliciter l'intervention d'une personne influente, exploiter ses relations pour régler une ou plusieurs affaires, avoir recours au fameux « piston », ce sont de nos jours des pratiques tellement courantes que même ceux qui s'y opposent mettent beaucoup moins de passion et de conviction à les condamner. La rentrée scolaire est une énième occasion pour montrer qu'on a des appuis solides et pour en imposer aux autres à travers le pouvoir de ses protecteurs. En fait, on attend rarement la date du 15 septembre pour faire appel aux interventions : dès fin août, les démarches se multiplient auprès des directeurs régionaux, des directeurs d'écoles et des proviseurs de lycées. Ce parent vient de la part de tel grand responsable local ; l'autre est envoyé par un haut fonctionnaire de la capitale ; le troisième est un proche parent de votre banquier ou de votre assureur. Le nom de famille du visiteur peut à lui seul vous faire sortir de votre bureau en catastrophe pour dérouler le tapis rouge devant lui et le servir illico presto. Tout ça pour ça ! Les services demandés font souvent sourire tant ils paraissent mineurs et ridicules. On sollicite l'intervention surtout pour le transfert de son propre enfant ou de l'enfant d'un proche dans un autre établissement que celui où il sont inscrits. Le proviseur d'un lycée de l'intérieur nous a raconté comment un responsable local avait exigé de lui qu'il transfère son fils dans une autre classe : « Il ne voulait pas voir son fils suivre les cours de l'un des professeurs de ce groupe car celui-ci était selon mon interlocuteur un extrémiste de gauche très dangereux ! ». C'est parfois un caprice de l'élève qui préside à l'intervention de quelqu'un de haut placé : il (ou elle) veut tout simplement changer de décor et de têtes ; il (ou elle) veut rejoindre un(e) camarade privilégié(e); il (ou elle) veut étudier dans le lycée le plus proche de chez lui ou du centre-ville. Certains parents sont, à la rentrée, très mécontents du groupe dans lequel leur enfant a été affecté ; alors ils mobilisent toutes leurs connaissances pour le faire changer de classe. Les prétextes invoqués sont là aussi du genre irrecevable : le groupe n'est constitué que de fainéants et de nullards ; les enseignants chargés de cette classe sont incompétents ou trop sévères ; on voudrait aussi mettre ensemble son fils et celui de la voisine ou de l'amie de la famille ! On recourt au piston également pour modifier l'emploi du temps de son fils ou de sa fille afin de le rapprocher le plus possible de celui des parents ; pour éviter à son enfant chéri les réveils trop matinaux ; pour lui épargner encore de rentrer dans l'obscurité des après-midi hivernaux ! La guerre des pistons Mais dans nos écoles et nos lycées, il n'y a pas que les parents qui se fassent recommander par quelqu'un d'important en vue d'une faveur administrative : les enseignants les plus farouchement opposés au piston s'en remettent parfois à la notoriété d'un parent ou d'un ami influent pour satisfaire leurs requêtes refusées. Le pouvoir du protecteur peut ne pas suffire ; dans ce cas celui-ci recourt à un supérieur hiérarchique plus puissant et c'est ainsi que s'organise la chaîne de solidarité des « pistonnés ». L'on pourrait même parler de « la guerre des pistons » lorsque pour une seule faveur se présentent deux candidats ou plus ! Dans ce genre de situation il vaut mieux s'accouder sur les épaules les plus robustes. Caprices et prétextes Comme pour les parents d'élèves, les demandes des enseignants confinent quelquefois aux caprices notamment quand il s'agit d'une modification à apporter dans l'emploi du temps. Il paraît à ce sujet que certains instituteurs et professeurs sont interdits de pareilles faveurs : les mal aimés ont beau s'appuyer sur des références solides, leurs vœux restent lettre morte. Pour justifier cette fin de non recevoir, l'administration peut se retrancher derrière des règlements qu'elle a auparavant outrepassés sans le moindre cas de conscience, ou invoquer l'horrible chambardement que la satisfaction de la requête peut provoquer dans la répartition horaire et celle des salles, ou encore avancer l'argument de l'impossibilité de faire concorder l'emploi du professeur avec celui de ses élèves ! Les martyrs du...piston ! Et comme partout, les interventions au profit des pistonnés font toujours des malheureux : du côté des élèves, ceux qui n'ont pas de soutien se verront attribuer les horaires les plus inadaptés, les enseignants les moins confirmés et seront inscrits dans les groupes les plus « faibles ». Les enseignants sans appui pâtiront quant à eux des privilèges accordés à leurs collègues «soutenus » : ce sont eux qui auront le plus d'heures creuses sur leurs emplois ; ce sont eux qui commenceront à 8 heures et termineront à 18 heures ; ce sont eux enfin qui, dans les établissements en plusieurs étages, enseigneront dans les salles du 4ème et du 5ème !