Après plus d'un quart de siècle de monopole des pouvoirs publics dans la collecte, le stockage et la commercialisation des céréales, des plants, des semences via l'Office des céréales, des actions ont été effectuées pour le désengagement de l'Etat et un appel a été lancé aux opérateurs privés pour prendre en charge l'activité de collecte et de stockage des céréales. L'expérience a été entamée depuis deux saisons. Un bilan provisoire est fait avant sa légalisation. Comment ont réagi les agriculteurs ? Quels sont les acquis de l'expérience ? Quelles sont les faiblesses constatées ? Que faire pour pérenniser cette option pour la responsabilisation des opérateurs privés dans une activité aussi sensible que le stockage des céréales ? Les banques adhèrent - elles?
Nombreux étaient les participants, hier à la conférence nationale sur la collecte des céréales, organisée par l'Union Tunisienne de l'Agriculture et de la Pêche, une rencontre qui succède à deux autres régionales organisées à Siliana et à Sousse. M. Mabrouk El Bahri, Secrétaire général de l'UTAP devait rappeler que « les céréales font partie des créneaux les plus stratégiques au sein de l'agriculture. Au vu de leurs prix, ils sont comparables à l'énergie. Avec la mondialisation, nous sommes appelés à nous ouvrir et à nous éloigner de l'unilatéralisme, tout en organisant le marché ». Il a posé des questions fondamentales telles : la collecte des céréales est - elle bénéficiaire ? Pour certaines coopératives ce n'est pas le cas. Le patron des agriculteurs ne voudrait pas que les problèmes rencontrés dans la collecte des tomates et du lait se reproduisent avec les céréales. Il faut avoir des garanties pour le paiement des agriculteurs. La transparence doit être totale. M. Chokri Ayachi PDG de l'Office des Céréales confirme que l'office est déterminé à se retirer progressivement de l'activité de stockage des céréales et à la confier aux professionnels du secteur conformément à un cahier des charges. L'expérience a été entreprise depuis deux ans. Il considère que c'est une réussite qui ne diminue en rien le rôle de l'Office. Avant de promulguer les textes de lois, qui régiront cette pratique, une option pragmatique a été choisie.
Conventions signées Des conventions ont été signées avec quelques opérateurs. En 2005 deux opérateurs ont été engagés. En 2006 ils sont devenus trois. Pour la saison prochaine, déjà 28 opérateurs ont retiré des copies du contrat. Ils seront examinés à temps. Les trois opérateurs actuels sont une société anonyme, une société à responsabilité limitée et une personne physique. Comme l'affirme Mme Chiraz Fitouri, « les collecteurs privés ont financé par leurs propres moyens et par des crédits bancaires leur activité, à l'exception d'un seul qui n'a pu poursuivre son activité dès la première année ». La valeur des céréales collectées et stockées par le privé en 2006 s'élève à 9,6 millions de dinars. Les agriculteurs ont été payés dans les délais de 15 jours convenus avec l'Office des céréales. La capacité de stockage utilisée par le privé s'est élevée à 296 mille quintaux en 2006, contre 165 mille en 2005. Mieux : un des opérateur a mis en place un laboratoire pour l'évaluation de la qualité des céréales à l'achat auprès des agriculteurs. Ce laboratoire est conforme aux normes et équipé pour établir les analyses nécessaires. Les deux autres opérateurs se sont rabattus sur les laboratoires régionaux relevant de l'Office. Ils ont tous recruté des spécialistes dans la gestion administrative et financière ainsi que dans la prise des échantillons. En 2006, les quantités de céréales collectées à l'échelle nationale se sont élevées à 7 millions de quintaux. Les opérateurs privés en ont stocké 4,4% contre uniquement 0,7% en 2005. Rappelons que les coopératives centrales en ont stocké 69,8% et l'Office des céréales 25,8%.
Adhésion progressive des agriculteurs Au départ, l'installation d'opérateurs privés a généré une concurrence qui s'est vite apaisée par la suite. Une adaptation entre les différents intervenants a pris le relais. Quels sont les agriculteurs qui ont travaillé avec ces opérateurs ? Dans leur écrasante majorité , ils sont des petits et moyens agriculteurs aux moyens limités. Le secteur organisé dont les sociétés de mise en valeur, les unités de production agricole et les complexes étatiques, n'ont pas entretenu de relation avec ces opérateurs. Ces derniers ont renforcé leurs activités en y ajoutant la fourniture de sacs, de fertilisants et de semences aux agriculteurs. Ces opérateurs stockent les céréales et les cèdent à l'Office. Ils effectuent le transport à leur propre compte tout en bénéficiant par la suite de la prime de transport. Parmi les premières conclusions tirées de cette ouverture sur les opérateurs privés, la confirmation de la capacité de l'opérateur privé de financer son activité sans recourir à la garantie de l'office et surtout, de procéder au stockage avec la même efficacité que les intervenants publics et à un moindre coût. L'adhésion des agriculteurs a augmenté d'une année l'autre.
L'optimisme est de mise La Banque Nationale Agricole a eu une réaction positive avec les opérateurs privés, même si on en demandera toujours plus. L'un des opérateurs a recouru à d'autres banques pour financer une partie de ses besoins. Les taux d'intérêt pratiqués ont été de 9%, 7,5% et 6%. En dépit de quelques freins d'ordre matériel, évoqués par les uns et les autres, un consensus s'est dégagé autour de la réussite de cette expérience. Elle sera reprise durant la saison actuelle. Dans cet esprit, comme l'a annoncé son PDG, l'Office mettra à la disposition des investisseurs certains de ses silos sous la forme de location. Les contrats de location de hangars de stockage, dont le bail est fini ne seront pas reconduits sauf dans des cas extrêmes. En cas de litige entre l'opérateur privé et l'agriculteur le laboratoire central de l'Office permettra de faire les arbitrages nécessaires. L'office continuera avec les coopératives à procéder à l'opération de collecte jusqu'à ce que les opérateurs privés acquièrent l'expérience nécessaire pour assurer la relève sur tout le territoire. Les frais de stockage s'élèveront pour la prochaine saison à 1,400 dinar la tonne contre 1,250 dinar l'année dernière. Les participants ont pris connaissance du contenu du contrat reliant l'opérateur privé à l'Office des céréales ainsi que des avantages accordés par le code des investissements agricoles et la manière de financer cette activité de stockage. L'optimisme des intervenants présage d'un réel élan à cette nouvelle activité.