En Tunisie l'Etat encourage fortement l'activité d'exportation, il en a même fait une priorité nationale et à juste titre d'ailleurs, pour des raisons bien connues de tous. Tous les domaines ont été explorés dans ce sens et le dernier en date est celui de la santé, dont le potentiel d'exportation a fait l'objet d'un conseil ministériel le 5/ 9/ 2008. Ce dernier a émis les recommandations suivantes ; l'encouragement des activités de thalassothérapie et de maisons de retraite pour étrangers, qui sont à la limite du sujet puisqu'il s'agit plus d'une activité touristique que d'une activité de soin de santé et les débouchées d'emploi qu'elles offrent pour le personnel médical et paramédical restent négligeables. L'encouragement de l'industrie pharmaceutique tunisienne, qui est bien sûr liée à la santé mais qui reste avant tout une activité industrielle et qui mérite évidemment d'être encouragée. Venons en maintenant à l'exportation de services de soins médicaux à proprement parler, ce sont eux qui impliquent le plus les professionnels de la santé et les structures sanitaires. Ce sujet a fait l'objet d'une excellente étude publiée dans le journal scientifique « Social, Science & Medecine » n°67-2008 par Marc LAUTIER, qui avait étudié le phénomène d'exportation des services de soins de santé dans le monde d'une façon générale et en Tunisie en particulier. Cette étude avait été réalisée en 2004, mais peu de choses ont changé depuis. En 2004 donc, 42211 patients étrangers se sont fait soigner en Tunisie, pratiquement tous dans des structures sanitaires privées et provenant à 80% de la Libye, 3 % d'Algérie, 7% d'autres pays non européens et seulement 10% d'européens dont la plupart sont des touristes dont l'état de santé avait nécessité des soins urgents pendant leur séjour parmi nous. Quant à la chirurgie esthétique qui a été tellement médiatisée, en fait elle ne fournit qu'à peine 400 clients européens par an ! L'exemple tunisien confirme ce qui est observé à l'échelle mondiale, à savoir que l'exportation des soins de santé reste essentiellement un phénomène régional entre pays mitoyens et dont le principal moteur est avant tout la recherche d'une meilleure qualité de soins et de compétences inexistantes ou insuffisantes au pays d'origine. C'est donc et avant tout la confiance qui motive ce mouvement et non pas les considérations financières comme c'est le cas pour les activités purement commerciales. D'un autre côté, cet afflux de patients étrangers, n'a eu aucun effet néfaste sur l'accessibilité de la population tunisienne locale aux services sanitaires, puisque les étrangers ne vont que dans les structures privées qui sont normalement pas très sollicitées par les autochtones et dont le taux d'occupation dépasse rarement les 60%. En clair ceci veut dire qu'il y a encore de la marge en terme de capacité d'accueil et qu'il ne faudrait pas se précipiter pour créer d'autres structures privées, au risque de les exposer encore plus au chômage partiel. Un raisonnement simpliste et purement économique pourrait suggérer la bonne logique de l'exportation des services de santé des pays émergents comme la Tunisie (services d'assez bonne qualité, coût réduits) vers les pays riches notamment européens (parfois manquant de médecins, coûts des soins élevés), mais ce mouvement sud-nord se heurte à plusieurs barrières comme l'explique bien Marc LAUTIER. La première barrière est d'ordre psychologique, en effet le patient européen n'éprouve pas naturellement le besoin d'aller se soigner ailleurs puisqu'il bénéficie d'une bonne couverture sociale et d'une très bonne qualité des soins chez lui. D'autant plus que l'impact psychologique de la maladie n'incite pas au dépaysement, surtout si les différences culturelles avec le pays hôte sont importantes. D'un autre coté et sur le plan technique, le problème du suivi et des complications éventuelles est loin d'être facile à résoudre. Il y a aussi des barrières institutionnelles. D'abord l'assurance maladie des pays européens n'est pas extensible hors de l'Union européenne et puis les lobbies des prestataires européens de soins de santé sont très puissants et ne voient pas d'un bon œil cette concurrence étrangère. Une expérience tuniso-britannique sans succès, tentée récemment, vient confirmer tout ce qui a été exposé ci-dessus. En effet, une institution britannique appelée « opération abroad » avait conclu, il y a quelques années, un accord pour faire opérer des patients britanniques dans une clinique de Hammamet. A ma connaissance et jusqu'à ce jour, aucun patient n'a fait le déplacement ! Il ressort de tout ça que, si la Tunisie offre effectivement un excellent potentiel en la matière, le fabuleux marché européen de la maladie nous reste très difficile d'accès, pour ne pas dire impossible. Or j'ai l'impression que certaines sources officielles tablent sur ce marché hypothétique et finalement très peu probable, pour prôner l'augmentation de la formation et de l'effectif des médecins en Tunisie, alors même que ces derniers souffrent énormément du chômage aussi bien partiel que total ! A ce propos les statistiques que nous fournit le Conseil national de l'Ordre des médecins tunisiens dans son bulletin n°27 de décembre 2007,sont très éloquentes, jugez-en : sur les 13347 médecins inscrits au tableau de l'ordre, 1965 soit 14.7% d'entre eux (286 spécialistes et 1679 généralistes) sont sans activité donc au chômage total! Pour des gens qui ont fait bac+7 voire bac+11, c'est tout simplement dramatique. Prendre le risque d'aggraver ce chômage sur la foi de simples théories hypothétiques, serait encore plus dramatique... Dr Samir BRAHAM, chirurgien orthopédiste libéral - Sousse