Le phénomène de la mendicité classique est devenu rare dans nos contrées suite aux louables efforts déployés par qui de droit pour venir en aide aux véritables nécessiteux, ceux qui sont vraiment dans le besoin. Il n'en demeure pas moins que certains continuent de harceler les âmes charitables au cœur tendre par des moyens diaboliques finement calculés, jouant sur la fibre, bonté, caractéristique de nous autres Tunisiens. Et là ne vous méprenez surtout pas, la majorité des cas que vous rencontrez sont, osons nous affirmer sans grand risque de nous tromper, des pros appartenant à un cartel dirigé de main de maître par un ou plusieurs caïds se partageant généralement le territoire, les centres stratégiques où le citoyen serait plus sensible, plus réceptif, plus à l'écoute de la « misère » d'autrui. Chaque patron chapeaute une communauté englobant des gosses, des femmes jeunes et vieilles, des hommes d'un certain âge car les ados sont difficiles à manier et risquent de devenir de potentiels et dangereux rivaux une fois les ficelles du métier apprises, maîtrisées. Comme places névralgiques, de prédilection, nous citerons en premier lieu le portail de l'hôpital où le cœur largement meurtri par la visite rendue à un proche hospitalisé, personne n'ose rabrouer une dame éplorée manquant de liquidités pour honorer une ordonnance médicale prescrite par les toubibs à son enfant unique alité en pédiatrie et que la pharmacie de l'hosto dépourvue cruellement de médicaments n'a pu exécuter. Un malade se rendant aux consultations externes ne peut refuser son aide à un monsieur âgé et cardiaque ayant été « soulagé » tôt le matin dans le métro de son carnet de soins et de ses deniers et ne possédant plus de ce fait de quoi s'inscrire à la consultation de cardio. Une demoiselle en robe de chambre, trimbalant un piteux sac en bandoulière ne disposant pas de quoi rentrer à son lointain village ; le médecin ayant décidé subitement de libérer son lit pour une autre malade cousine de l'infirmier de nuit et à l'insu de sa famille croyant sa convalescence encore plus longue. Des parents mûrs aux abois, leur fille victime d'un accident de la voie publique est en salle d'opération, exsangue, et ils doivent lui « acheter » du sang pour tenter d'assurer sa survie...et les exemples de se multiplier de se diversifier, tous aussi originaux, poignants, saisissants ! Les mosquées, surtout après la prière du vendredi où encore imbus du prêche de l'imam prédicateur incitant au soutien et à l'entraide, les pratiquants ne lésinent pas sur les donations à des mères tenant dans les bras des nourrissons à demi nus . Aux confins des restaurants, gargotiers, pâtisseries, qui oserait se sustenter, s'y régaler et priver une gamine fluette et grelottante de froid du prix d'un solide sandwich ou d'une appétissante friandise ? Du côté du marchand de fruits vous-êtes invariablement accostés par une dame faussement enceinte (un adroit rembourrage faisant généralement l'affaire) quémandant de quoi s'offrir telle ou telle succulente primeur oh combien ardemment désirée (chahwa) ; connaissant l'extrême importance que nous accordons, nous autres aux désirs de la femme enceinte, le succès de l'entreprise est quasi assurée. Bien sûr le marchand est au fait de la supercherie, mais il n'ose vous prévenir de crainte des représailles du copain surveillant de près et à quelques encablures les manœuvres de sa dulcinée ! Vous êtes au bureau, invariablement à la fin du mois, et votre secrétaire vous annonce un monsieur bien distingué qui vous aborde avec une voix contenue par l'émotion, la tristesse et surtout la gêne, il vient de perdre son père et se doit d'acheter le linceul et d'affréter une 404 bâchée pour le ramener au bled mais il ne dispose pas de la totalité de la somme nécessaire, requise, et ne veut pas demander de l'aide à ses beaux parents de peur de perdre leur estime. Une dame très distinguée accompagnée de son fils sillonne ces derniers jours les villas cossues en banlieue sud trimbalant un volumineux dossier médical ; sa requête est très émouvante : son mari cadre supérieur dans une banque devant subir une délicate intervention chirurgicale sur le cœur en France et les caisses de sécurité ont refusé de le prendre en charge car il aurait dépassé 60 ans. «Tombant » dans la demeure d'un cardiologue, ce dernier lui posa des questions précises concernant l'état de santé du mari présumé malade, intrigué par le singulier motif, car nous disposons et maîtrisons les techniques les plus pointues en matière de chirurgie cardio-vasculaire. Se sentant prise au piège, elle refusa de lui communiquer le dossier et quitta la scène non sans l'avoir qualifié de sale arriviste avare, nous tairons les autres qualificatifs pour ménager certaines sensibilités ! Aux âmes charitables cherchant à venir en aide des nécessiteux, commencer d'abord par les parents ,les voisins connus dans la gêne, sinon il y a des caisses, des organismes faits pour recevoir les dons et équitablement les répartir sur ceux qui en ont véritablement besoin.