Que nos jeunes lisent de moins en moins est un fait indéniable. Aussi faut-il chercher les véritables raisons de ce désintérêt qu'ils manifestent pour la lecture. De nos jours, les passionnés de lecture sont devenus des oiseaux rares, encore faut-il savoir à quels genres de lectures ils s'adonnent. Autrement dit, pourquoi ils ne sont plus attirés par le livre, cet outil traditionnel indispensable pour la culture et le savoir ? On a beau avancer l'argument de la cherté des livres chez nous ; mais ce critère ne peut plus tenir aujourd'hui, du moment qu'en Tunisie, les vêtements de marque, les téléphones portables et autres gadgets électroniques dont raffolent nos jeunes coûtent beaucoup plus cher qu'un livre et peuvent être nuisibles à la santé. Le manque de temps est un autre argument avancé par les jeunes pour justifier leur rupture avec la lecture ; encore une fois, c'est un motif peu convaincant, le temps qu'ils passent chaque jour devant la télé ou l'ordinateur peut les contredire. Que reste-t-il donc comme raison à part la préférence qu'ils témoignent pour le numérique. Et là, il ne faut peut-être pas leur reprocher ce choix, d'autant plus que l'heure est à l'informatique et à l'audio-visuel. Cependant, cet engouement de nos jeunes pour les technologies modernes ne doit pas les détourner complètement des autres moyens de culture (livres, journaux, magazines...). Il est regrettable de lire dans les statistiques de 2004 sur les bibliothèques publiques de Tunisie que le nombre d'abonnés dans les bibliothèques est 167515 de l'ensemble des jeunes scolarisés qui comptent 2 millions 848 mille, ce qui donne un taux de 6 % d'abonnements, un taux très insignifiant par rapport aux différents taux enregistrés dans les pays européens, comme la Grande Bretagne, pour ne citer qu'un seul exemple, où le taux d'abonnement dans les bibliothèques publique est de l'ordre de 68 %, d'après le rapport de la direction de la lecture publique réalisé en 2005. Dans ces pays, le livre et les publications en papier ne sont pas totalement abandonnés au profit de l'audio-visuel et du numérique : la lecture s'exerce naturellement chez les grands comme les petits, que ce soit dans les bibliothèques publiques, dans les écoles ou au sein de la famille où les petits imitent les grands. Chez nous, les personnes qui ont aujourd'hui 50 ans ou plus lisaient beaucoup dans leur enfance et jeunesse, et pourtant ils n'ont jamais vu leurs parents, dont la majorité étaient analphabètes, lire un livre. Aujourd'hui, les parents, ayant pourtant un certain niveau instructif, ne donnent pas malheureusement le bon exemple à leur progéniture, puisqu'ils ne lisent pas assez ou du tout ! Et ce qui est paradoxal, même des parents enseignants se plaignent d'avoir des enfants peu ou non passionnés pour la lecture. Un enseignant retraité m'a confié un jour et non sans peine : « Je compte mettre ma bibliothèque en vente aux enchères publiques ou en faire don à la bibliothèque nationale. Elle contient des centaines de livres que j'ai achetés durant 40 ou 50 ans, de vrais trésors, à part les nouveaux. Qu'est-ce que je vais en faire ? Je ne compte pas sur mes enfants pour la protéger. Mes deux enfants n'aiment pas la lecture, ils ne méritent donc pas cet héritage. Tant que le livre ne les tente pas, il vaut mieux en faire cadeau à ceux qui apprécient la lecture ! ». Fréquentation des bibliothèques Il fut un temps où tous les élèves des écoles ou des lycées étaient abonnés à la bibliothèque municipale et/ou à la bibliothèque scolaire et lisaient les livres qu'ils empruntaient pour une période d'une ou deux semaines et qu'ils échangeaient par d'autres une fois lus. Aujourd'hui, ces mêmes bibliothèques, désertées par leurs fidèles abonnés, deviennent poussiéreuses et très peu fréquentées. C'est surtout à l'approche des examens qu'on voit ces bibliothèques pleines à craquer par les élèves et les étudiants qui viennent non pour lire, mais pour réviser leurs cours ! Cette réticence à l'égard de la lecture chez nous pousse à réfléchir sur le sort du livre dans les prochaines années. Dans un pays comme le nôtre, où l'accès à l'éducation est obligatoire et où le taux d'analphabétisme est sensiblement réduit, la lecture aurait pu être l'activité la plus développée et la plus populaire. Mais il s'est avéré que les efforts faits par l'Etat en vue de rapprocher le livre de la jeunesse n'ont pas encore atteint les objectifs escomptés et que beaucoup reste à faire dans le domaine de la lecture. Le nombre d'imprimeurs, d'éditeurs, et de distributeurs connaît pourtant une évolution continue, une foire internationale du livre et d'autres nationales ou régionales sont organisées annuellement, une subvention accordée au papier pour le livre culturel : 75% du coût pour les livres, 50% pour les revues, l'octroi de prix aux meilleures productions littéraires et scientifiques ; le nombre des bibliothèques en accroissement continu (près de 400 bibliothèques, 30 Bibliobus et 1500 points de prêts) ; malgré tout cela, on est loin de se hisser au niveau atteint par d'autres pays en matière de lecture. Les efforts doivent être centrés sur la transformation des bibliothèques classiques en médiathèques, en augmentant la part du multimédia tout en remplaçant les vieux bouquins jaunis par le temps par d'autres très récents tout en diversifiant les fonds (dans plusieurs langues) selon les goûts de la jeunesse d'aujourd'hui. Ces bibliothèques doivent aussi être pourvues de tous les titres de la presse nationale et internationale, pour inciter les jeunes à la lecture des journaux, des revues et des périodiques qui demeure très insuffisante. C'est à peine s'ils feuillètent un journal pour lire les gros titres sans pour autant s'attarder sur un article bien particulier. Pour les garçons, c'est surtout les pages sportives qui les intéressent et peut-être les photos des stars. Pour les filles, c'est plutôt la mode vestimentaire, la rubrique de la beauté et l'horoscope qui les attirent dans un journal. A part cela, les jeunes ne lisent rien. Même pas un coup d'œil sur la page culturelle ou littéraire du journal où ils pourraient au moins être au courant des nouveaux titres et des publications récentes dans le monde du livre. Demandez à ces jeunes, pourtant mordus d'Internet, s'ils savent qu'il existe sur la toile depuis 2003 une librairie en ligne, lancée par des Tunisiens pour les Tunisiens, qui informe sur les nouveautés littéraires et culturelles en Tunisie et à l'étranger, la plupart de ces jeunes vous diront qu'ils ne l'ont jamais visitée ! La langue, que ce soit l'arabe ou le français, pourrait être en quelque sorte un obstacle majeur pour certains jeunes à s'adonner régulièrement à la lecture. Le niveau général de nos enfants ne leur permet pas toujours d'aborder tous les livres. Ils se découragent alors dès les premières pages et abandonnent la lecture. Les plus passionnés attendent l'arrivée de la foire du livre dans l'espoir d'assouvir leur soif de culture ; mais ils risquent parfois d'être déçus. La dernière foire, souvenons-nous, n'était pas vraiment à la hauteur des attentes du public : la nature et la valeur des livres exposés laissaient à désirer, à part quelques titres de valeur et qui sont d'ailleurs très chers. Une grande quantité de livres traitaient de la religion, même ceux destinés aux enfants étaient de mauvaise qualité et il y avait plein de livres pour femmes du genre « comment rendre votre mari heureux ? » ou « Les secrets de la vie conjugale » ou encore « Comment garder sa ligne toute la vie ? » Tous ces titres ne sont pas dignes d'une foire à vocation internationale, on dit même que les visiteurs étaient beaucoup moins nombreux que les années précédentes. Une foire est faite pour inciter à la lecture en exposant les livres récents et de meilleure qualité.