La colonisation était déjà bien ancrée en Tunisie et on assistait à un affairisme capitaliste qui permit aux observateurs de l'époque de parler d'un impérialisme colonial en Tunisie. Charles André Julien faisait remarquer à ce propos dans son ouvrage « Les politiques d'expansion impérialiste » que, pour que la Tunisie devint une affaire capitaliste par excellence, « il fallait aux yeux des hommes d'Etat et des financiers, que les détenteurs de capitaux fussent assurés définitivement contre toutes les entraves des autochtones ». Commençant par une intervention sur le plan administratif, pour une meilleure pénétration industrielle et commerciale, le régime colonial remplaça l'administration autochtone qui était instituée par le Bey par une administration comportant des sujets français. Dans son ouvrage : « Le fonctionnement du Protectorat en Tunisie », l'historien tunisien Mohamed Hédi Cherif fait mention d'une note à ce propos adressée au contrôleur de Béja, par le secrétaire général du gouvernement à l'époque B.Roy où il faisait remarquer entre autres : « l'administration indigène comporte en elle-même un certain nombre d'imperfections que nous ne pouvons nous flatter de faire disparaître parce qu'elles sont inhérentes aux mœurs et au caractère de la population arabe ». Cette nouvelle administration française en Tunisie, n'était point dans un but réformiste afin d'améliorer une situation qui laissait à désirer, tant sur le plan politique que sur le plan économique. Bien au contraire c'était pour mieux contrôler la situation afin d'en tirer un maximum de profit. Le ministre de la Guerre tunisien auprès du Bey, fut remplacé par un commandant français de la division d'occupation de la Tunisie. Les pouvoirs du Bey se réduisaient de plus en plus devant l'importance du Résident Général français. Ceux parmi les Tunisiens qui étaient nommés en tant que caïds de régions (équivalent au gouverneur), procédaient à des malversations, dont profitaient leurs supérieurs français. Vigné d'Octon dans « La sueur du bournous », déclarait que « la nomination des caïds comportait un pot de vin de 10 à 30.000 francs. Un caïd pour justifier ses actes de malversation déclarait : « Croyez-vous que j'agis de mon propre chef et pour mon propre compte ?! » Sur le plan commercial, l'administration coloniale avait agi pour faciliter l'installation des commerçants français en Tunisie, en procédant à un allègement, voire une suppression des taxes d'importation de certains produits. Elle a même utilisé les notables du pays afin d'encourager l'écoulement et la vente de certains produits auxquels les autochtones n'étaient pas habitués. Pour preuve, à titre d'anecdote, cette fatwa, en février 1895, requise auprès de Cheikh El Islam Hamida Belkhodja, afin de déclarer que la consommation du chocolat n'était pas prohibée par la religion musulmane. On en avait d'ailleurs fait de cette fetwa un moyen publicitaire, puisqu'elle était imprimée sur l'enveloppe des tablettes, qui étaient vendues au prix d'un sou pièce. Pour cette raison, et afin de protester contre cette fetwa pour laquelle le Cheikh El Islam était, paraît-il rétribué, des manifestants, s'étaient rassemblés à Halfaouine en scandant « Cheïkh El Islam Bsourdi ! » (Cheïkh El Islam à un sou). Cette fetwa, fut entre autres sévèrement critiquée par le Cheikh Thaâlbi, dans son journal « Sabil Arrached ». Il déclara que le Cheikh El Islam par son attitude anti-patriotique, encourageait l'écoulement des produits coloniaux. D'autant plus qu'il y avait de fortes présomptions que ce chocolat était mélangé à la graisse de porc. Sa consommation, si c'était le cas, est interdite par la religion musulmane. La réaction des autorités coloniales ne se fit pas attendre, puisqu'elle avait aussitôt interdit le journal en question et arrêté Thaâlbi qui fut condamné à deux mois d'emprisonnement.