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Les pays arabes méditerranéens en panne de réformes
Dossier
Publié dans Le Temps le 27 - 02 - 2007

Pourquoi, à la différence des pays asiatiques, est-européens et sud-américains, les pays arabes méditerranéens (PAM) ne parviennent-ils pas à associer démocratisation politique et développement économique ? Une étude de l'Agence française de développement (AFD) esquisse une réponse...
Au cours des années 1990, les pays d'Amérique latine ont connu des transformations économiques et socio-politiques majeures, caractérisées notamment par une stabilisation économique et une démocratisation des régimes.
Les pays d'Asie de l'Est, de leur côté, ont conjugué ouverture commerciale maîtrisée, croissance rapide par les exportations, puis, après la crise de 1997, une marche ferme vers la démocratie. D'autres zones émergentes ont enregistré des mutations semblables, notamment les pays balkaniques après des années de déchirements, l'Afrique du Sud avec la fin du régime d'apartheid et les pays en transition d'Europe centrale et orientale, qui se sont convertis, plus rapidement que prévu, à la démocratie représentative et à l'économie de marché, avant d'entamer, non sans succès, leur intégration à l'Union européenne.
Pourquoi le monde arabe, qui est richement doté par la nature et qui jouit d'une position géostratégique privilégiée, au carrefour de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique, est-il resté au seuil de ces mutations ?
Pourquoi la fin de la guerre froide et l'ouverture du processus d'Oslo en 1993, qui aurait pu mettre fin au conflit israélo-arabe par le règlement de la question palestinienne - d'ailleurs souvent invoquée comme le principal frein au développement régional -, n'ont-ils pas débouché, dans cette région du monde, sur les dynamiques politique et économique observées ailleurs sur la planète ?
Comment expliquer cet «immobilisme arabe», à la fois politique et économique, que trahissent les convulsions intermittentes et les flux quasi-permanents des migrants clandestins vers les rivages européens ?
Réponse de l'économiste Jacques Ould Aoudia, dans un étude intitulée «Croissance et réformes dans les pays arabes méditerranéens», publié en octobre dernier par l'AFD: «Les pays des rives Sud et Est méditerranéennes [Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Palestine, Liban et Syrie] connaissent de fortes tensions internes (faible légitimité de la plupart des régimes, blocages autoritaires, radicalité des oppositions) et des conflits régionaux de différentes intensités (Maroc/Algérie, Israël/pays arabes, Chypre/Turquie). La région est de surcroît traversée par les stratégies d'acteurs internationaux et notamment des Etats-Unis en raison des enjeux énergétiques majeurs à son immédiate proximité (pays du Golfe). L'ensemble de ces facteurs en fait une zone fragile, où le facteur politique est dominant et écrase souvent les dynamiques économiques potentielles».
L'économiste français apporte, par ailleurs, des éclairages édifiants sur les blocages affectant les économies des pays arabes méditerranéens. «Alors que leur régime de croissance est chroniquement faible, ces pays font face, à présent et pour les quinze prochaines années, à un afflux maximum d'actifs, principalement jeunes, urbains, diplômés», écrit-il. Partant d'une approche classique (par l'analyse macro-économique), il nous fait progresser ensuite dans les couches de plus en plus profondes des économies et des sociétés: caractéristiques structurelles (démographie, éducation, pauvreté, etc.), institutionnelles (comment susciter la confiance dans ces économies ?), économie politique des réformes (quel contrat social aujourd'hui ?), nouveaux courants qui émergent...
Cette démarche multicritères lui permet de revisiter un certain nombre de présupposés. On apprend ainsi que les PAM sont engagés dans une transition démographique parmi les plus rapides, avec notamment le spectre d'un vieillissement plus ou moins rapide des populations. Ces pays, qui connaissent les taux de pauvreté monétaire les plus faibles, ont investi dans l'éducation la part du PIB la plus importante de tous les pays en développement. Ils ne manquent pas, par ailleurs, de ressources financières. La preuve: ils en exportent. La «gouvernance» et le climat des investissements n'y sont pas particulièrement dégradés, relativement à leur niveau de revenu.
Qu'est-ce qui empêche donc ces pays de réussir leur développement économique ? A en croire Jacques Ould Aoudia, c'est le manque d'appétence des entreprises locales pour l'ouverture de leur capital qui explique le niveau très bas des investissements étrangers dans les pays arabes méditerranéens. Ainsi, sans doute, que la gestion autoritaire et paternaliste des sociétés, la forte emprise de l'Etat sur l'économie, qui ne semble pas prête de se desserrer, et l'écart important entre les annonces de réformes et leur mise en application effective.
Le rapport, dont nous reproduisons ci-dessous quelques extraits significatifs, montre que la Tunisie souffre des mêmes carences structurelles que les autres PAM. Il montre aussi que notre pays s'en sort relativement mieux que la plupart de ses voisins. Il montre enfin que la Tunisie peut mieux faire en exploitant plus judicieusement ses acquis, réalisés en vingt ans de réformes dans tous les domaines. Etant entendu que dans un monde globalisé soumis à une rude concurrence un pays qui n'avance finit par régresser. Inexorablement...

Bonnes feuilles
Politique active d'éducation
* - « Avec des niveaux de départ très faibles (31 % de la population alphabétisée en 1970), la progression de l'alphabétisation a été rapide [dans les PAM]: en 2000, elle a atteint 66 %. Compte tenu des écarts des niveaux de départ, la comparaison est particulièrement pertinente avec l'Asie du Sud. Celle-ci, partie d'un niveau à peine plus élevé (33 %), n'a atteint que 56 % de la population alphabétisée en 2000. Mais les bons résultats dans les PAM sont obtenus avec des dépenses publiques deux fois supérieures. Cependant, il est à noter que la scolarisation des filles a été plus rapide qu'en Asie du Sud.
Ces caractéristiques sont communes aux PAM, à l'exception de la Tunisie qui a mené, dès l'indépendance en 1956, une politique très active d'éducation, particulièrement en direction des filles. Cette politique s'est insérée dans un mouvement plus global de modernisation de la société, mené d'une façon ferme par le président de l'époque, Habib Bourguiba [et poursuivi avec la même fermeté après l'accession de Zine El Abidine Ben Ali au pouvoir en 1987, NDLR].

Forte emprise de l'Etat sur l'économie
* - «Si l'emprise de l'Etat sur l'économie diminue pour certains de ces pays, principalement en matière d'intervention sur les prix et les taux d'intérêt (notamment au Maroc et en Jordanie et, dans une moindre mesure en Tunisie), les secteurs privés et les Etats restent, partout, étroitement mêlés, concourant à un fonctionnement peu concurrentiel des marchés. Ceux-ci demeurent très protégés tant en interne (obstacles à l'entrée) que vis-à-vis de l'extérieur (niveau très élevé des protections commerciales encore peu entamées par l'ouverture dans le cadre du Partenariat euroméditerranéen). Cette imbrication des intérêts publics et privés, assez spécifiques des économies en transition, constitue un obstacle majeur à la dynamisation de leurs systèmes productifs.»

Faible croissance, sans développement
* - «Les PAM connaissent une longue période de faible croissance qui n'a pas assuré de convergence de leurs revenus avec ceux des pays développés, notamment les pays européens. Les explications classiques ne rendent que partiellement compte de cette atonie de la croissance. De plus, elles invoquent le plus souvent une faiblesse de la gouvernance que les indicateurs de ''climat d'investissement'' ne confirment pas. Nous remarquons que les facteurs macroéconomiques qui expliquent le mieux les évolutions longues de la croissance de ces pays sont liés aux fluctuations de leurs ressources exogènes: endettement extérieur et exportations d'hydrocarbures. Dans la période 1975-1985, l'abondance de ces ressources a suscité une croissance élevée. Mais cette abondance n'a pas initié un processus de développement auto-entretenu susceptible de se prolonger une fois ces ressources taries (à l'exception de la Tunisie). Même s'il s'est atténué en fin de période, le poids des ressources externes demeure déterminant après le rétablissement des équilibres macro-économiques à la suite des programmes d'ajustement structurel. Les PAM dans leur ensemble relèvent ainsi de régimes de croissance faible, sans développement.»

Marchés financiers très peu développés
* - «Conséquence de la forte concentration du capital et du faible dynamisme des entreprises, les marchés d'actions sont étroits et les marchés d'obligations sont tournés essentiellement vers le financement de la dette publique. Les marchés des assurances, des retraites et des fonds d'investissement restent eux aussi peu développés. Les marchés secondaires sont extrêmement limités, parfois inexistants. Les raisons expliquant la faiblesse des marchés financiers tiennent essentiellement aux réticences des entreprises, le plus souvent familiales, à diluer leur capital et à s'astreindre aux procédures qui s'appliquent aux sociétés cotées, notamment en termes d'informations. Ainsi en Tunisie, où la récente modernisation du marché des titres a réduit, formellement, les obstacles institutionnels, on retrouve la même atonie des échanges boursiers.»

Blocages des réformes institutionnelles
* - «[Une] enquête du MINEFI identifie les blocages aux réformes institutionnelles dans les pays partenaires méditerranéens. De cette étude effectuée en 1999-2000, il ressort que ces pays, encore largement sous l'empreinte du modèle de développement autocentré, rencontrent de grandes difficultés à mettre en œuvre un nouveau mode de fonctionnement de leur économie.
L'Etat de droit, nécessaire pour sécuriser les affaires et faire progresser la concurrence, les privatisations, l'élargissement de la base fiscale, le financement effectif des entreprises privées, l'ouverture commerciale, connaissent des avancées bien médiocres. Avec quelques nuances, ces résultats restent globalement valides aujourd'hui.
L'analyse menée a permis de classer les pays partenaires, au regard de leur dynamique de réforme en lien avec le Partenariat euro-méditerranéen, en trois groupes:
- le premier (Israël, Chypre et dans une moindre mesure la Turquie) où les réformes sont largement avancées et promues par des forces internes. Le Partenariat n'y apparaît pas comme un enjeu majeur dans la mesure où ces pays disposent d'une stratégie propre d'insertion dans l'économie internationale;
- le second (Maroc, Tunisie, Egypte, Territoires palestiniens, Jordanie, Liban) regroupe les pays en situation intermédiaire: les réformes y sont engagées (selon des degrés divers) mais piétinent toutes devant les vives résistances rencontrées. Quand les réformes sont adoptées, elles sont peu appliquées ou détournées de leurs objectifs. L'adhésion au Partenariat est relativement forte, pour des raisons économiques en Afrique du Nord, pour des raisons essentiellement politiques au Proche-Orient;
- le troisième (Algérie, Syrie) regroupe des pays où la dynamique de réformes est faible voire nulle, ainsi que l'adhésion au Partenariat.»

Vers une croissance portée par l'exportation :
* - «Deux groupes de pays apparaissent: ceux qui ont peu (Syrie, Egypte) ou pas du tout (Algérie) diversifié leurs exportations, en restant enfermés dans des exportations de produits primaires (hydrocarbures pour l'essentiel), et ceux qui ont connu une croissance régulière la part de leurs exportations manufacturières: Jordanie, Maroc et Tunisie.
«Pour autant, les produits manufacturés de ces derniers pays proviennent essentiellement du secteur habillement (qui constitue une sous-partie intensive en travail peu qualifié du secteur textile), qui s'est constitué à l'abri des préférences commerciales accordées par l'Europe aux pays du sud et de l'Est méditerranéen au milieu des années 1970 [Accord multifibres, démantelé le 1er janvier 2005, NDLR]. Depuis, peu de remontées de filières se sont opérées, les secteurs concernés, insérés parfois dans des zones spéciales (en Tunisie et dans les QIZ en Jordanie), n'ont provoqué que peu d'effets d'entraînement sur le reste de l'économie. L'analyse des évolutions des échanges intra-branches confirme ces conclusions: les secteurs manufacturiers de ces pays n'ont connu qu'une très faible différentiation des produits (rapport de la FEMIS, 2005).»

Productivité globale des facteurs (PGF)
* - «Seule la Tunisie connaît, depuis 1960, une croissance de la productivité de la PGF, certes inégale, mais en accélération sur la période 1990-2000 par rapport à la précédente, tandis que les autres composantes croissent, assurant, au total, un relèvement significatif du produit par travailleur depuis 1973 (...) La région MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord, NDLR] dans son ensemble (y compris donc les pays pétroliers du Golfe) présente, en termes de productivité, des performances défavorables, comparables à celles de l'Afrique subsaharienne depuis le début des années 1970.
** - «[Une] analyse de la productivité combinée avec celle tirée de la diversification des exportations permet de distinguer la Tunisie et le Maroc qui ont su utiliser les préférences commerciales asymétriques accordées par l'Union européenne depuis le milieu des années 1970 pour entamer un processus d'industrialisation dans le secteur de l'habillement, intensif en main-d'œuvre. Ces pays ont, de plus, été les premiers à s'engager dans les réformes lors des plans d'ajustement structurel (PAS) en 1983 pour le Maroc et 1986 pour la Tunisie.»
*** - «(...) le Maroc et la Tunisie qui, eux aussi, avaient accumulé un important endettement extérieur, ont su profiter des préférences communautaires [accords avec l'Union européennes NDLR] pour constituer une base manufacturière limitée mais efficiente (dans le secteur de l'habillement principalement). L'ajustement, déclenché à la suite d'une crise des paiements extérieurs au Maroc, a été mis en œuvre avec succès à partir de 1983. Il a démarré en 1986 en Tunisie, seul pays au monde à avoir sollicité l'appui des institutions financières internationales pour mettre en œuvre un plan d'ajustement structurel, alors qu'elle n'avait pas besoin de rééchelonner sa dette extérieure.»

Transferts des émigrés, APD et IDE
* - «Le poids de ces recettes par tête varie cependant d'un pays à l'autre. La Jordanie, avec des transferts annuels de 335 dollars et une APD [aide pour le développement, NDLR] de 125 dollars, devance largement les autres pays de la région: l'Egypte reçoit 67 dollars de transferts par tête et 45 dollars d'APD, le Maroc 85 et 30 respectivement et la Tunisie 80 et 40. Seule, la Tunisie a reçu des investissements directs étrangers (IDE, 45 dollars par tête) pour un montant par habitant supérieur à celui de l'aide.»
** - «Jusqu'au milieu des années 1990, ce sont surtout l'Egypte et la Tunisie qui ont reçu des investissements directs, dans le secteur des hydrocarbures essentiellement. A partir du milieu des années 1990, ce sont le Maroc, la Tunisie, la Jordanie et pour une moindre mesure l'Algérie qui accueillent les investisseurs étrangers. Pour la plupart, ces IDE sont liés à des grandes opérations de privatisations, soit sur des marchés captifs, comme les cimenteries (Tunisie, Maroc et surtout Jordanie), soit sur des opérations liées à la téléphonie. A noter que dans le secteur de l'habillement, peu capitalistique (qui concerne le Maroc, la Tunisie et marginalement l'Egypte), les IDE sont structurellement de faible montant. L'Algérie, qui a ouvert son secteur pétrolier aux investisseurs, concentre dans ce secteur la totalité des IDE reçus.»

Déficit aigu du facteur confiance
* - «L'analyse multicritère des caractéristiques institutionnelles des pays étudiés, menée à partir de la base de données ''Profils Institutionnels'' couvrant un ensemble de pays en développement et développés sur tous les continents, infléchit et élargit les premières conclusions sur la gouvernance, tirées des bases de données de la Banque mondiale.
«Dans la typologie déduite de l'analyse de données, les pays arabes se caractérisent par une gestion autoritaire et paternaliste des sociétés et des économies: la conduite sans redevabilité des pays s'effectue ''en échange'' de protections sur un mode paternaliste (subventions aux produits de base, embauches dans le secteur public). Mais ces protections ne sont pas adossées à des droits: les relations sociales et économiques sont largement basées sur le lien, ce qui entraîne des effets contradictoires: ces formes institutionnelles assurent certes de fortes solidarités traditionnelles, en revanche, elles tendent à figer les sociétés. Les dynamiques de réformes y sont donc faibles, et ce, d'autant plus que les pays disposent de ressources rentières.
«Comme dans tous les pays, le processus de développement fait cheminer les sociétés d'un système où les règles sont basées sur le lien vers un système où les règles sont basées sur le droit. Ce processus s'effectue sur le très long terme, les deux systèmes se chevauchant pendant la longue période de transition. Il ne suit pas une trajectoire linéaire, et conduit à des baisses d'efficience que les politiques de développement ne reconnaissent pas suffisamment. Finalement, nous développons le concept de confiance comme facteur de croissance à long terme. Confiance statique entre les agents, qui réduit les coûts de transactions, confiance dynamique dans le futur, qui élargit les anticipations positives pour investir dans le capital (entreprises), dans l'éducation (ménages).
«Dans ces deux dimensions, nous montrons que les PAM présentent un déficit aigu de ce facteur confiance, la Tunisie partiellement exceptée.»
** - «Au Maroc et en Tunisie, la confiance dans les institutions publiques se situe en position moyenne par rapport à leur niveau de développement. En revanche, l'Algérie, l'Egypte et la Syrie présentent un déficit de confiance notable. En ce qui concerne la confiance entre agents économiques, seule la Tunisie se détache en se rapprochant d'une situation moyenne. Dans les quatre autres pays, groupés, la confiance entre agents est faible au regard de leur niveau de développement.
«Plus encore que pour les variables de confiance liées aux coûts de transaction, on constate la situation dégradée des PAM quant aux anticipations des acteurs. Ni les agents économiques, en termes d'investissement dans l'innovation (à l'exception de la Tunisie), ni les ménages, en termes d'investissement dans l'éducation, n'ont un niveau de confiance élevé dans le futur au regard de leur niveau de développement et par rapport aux autres pays.
«Au total, les sociétés arabes du pourtour méditerranéen, en transition cahoteuse dans leur cheminement vers la formalisation des règles, partagent dans l'ensemble un profond déficit de cet élément fondamental qu'est la confiance, dans ses deux dimensions, statique et dynamique, comme facteur de croissance à long terme. Sur ce critère également, la Tunisie se distingue sensiblement des autres pays.»

Gouvernance publique et sécurité des contrats
* - «Dans la base [de données, NDLR] ''Profils Institutionnels'', nous construisons un indicateur combinant, au titre de la ''gouvernance publique'': la transparence et la lisibilité de l'action publique, le contrôle de la corruption, l'efficacité de l'administration (fiscale, douanière notamment) et de la justice non-commerciale, et au titre de la ''sécurité des contrats'', la capacité de l'Etat à respecter et faire respecter les droits de propriété, le fonctionnement de la justice commerciale et le droit sur la faillite. Cet indicateur est proche de l'Index of Quality of Administration (IQA) utilisé par le WBI (Banque mondiale, 2003).»
** - «On constate que les pays partenaires répertoriés dans la base de données sont relativement groupés au sein de l'échantillon. La Tunisie et le Maroc occupent une situation ''moyenne'' : selon la relation établie entre l'indicateur mesurant le fonctionnement de l'administration et le niveau de développement, la qualité de leur appareil administratif n'accuse pas de retard par rapport à leur niveau de revenu par tête (les points sont proches ou même légèrement au-dessus de la droite de régression). En revanche, l'Algérie, et surtout l'Egypte et la Syrie manifestent un écart important au regard de leur niveau de développement et pourraient connaître plus de difficultés à mettre en œuvre leur transition fiscalo-douanière.»

Intégration des PAM à l'espace Euromed
*- «Le volet économique du Partenariat euro-méditerranéen (création d'une zone de libre échange entre l'UE et chacun de ces pays et entre ces pays) est sensé accélérer les mutations de l'appareil productif et des institutions en offrant un ancrage politique et un soutien financier à ces pays. A ce jour, seule la Tunisie s'en est emparée pour procéder, à son rythme, à une certaine modernisation économique. Le Maroc lui emboîte le pas, avec difficulté. Les autres pays partenaires sont encore loin du compte, qui viennent à peine d'entamer leur ouverture. Ils se caractérisent par une absence de stratégie de développement apte à coordonner et mobiliser les intérêts.»
**- «Les premiers effets du partenariat euro-méditerranéen ne sont donc actuellement mesurables que sur les deux pays flancs du Maghreb, la Tunisie et le Maroc. Au plan de la transition fiscalo-douanière: les deux pays sont parmi ceux pour lesquels la part de recettes affectées par l'ouverture avec l'Europe est la plus élevée en points de PIB, soient 6,0 % et 2,2 % respectivement pour la Tunisie et le Maroc (et 19,6 % et 9,2 % en pourcentage des recettes publiques). Ces chiffres sont, pour l'Algérie et l'Egypte respectivement de 2,5 % et 2,3 % en part de PIB, et 8,1 % et 4,0 % en part de recettes publiques.
***- «La Tunisie a mené depuis 1996 une ''compensation fiscalo-douanière'' particulièrement réussie, en augmentant les recettes prélevées notamment au titre de sa fiscalité indirecte (TVA) pour compenser les pertes de recettes douanières. Si la part des recettes publiques globales dans le PIB décroît légèrement, la part du total des recettes fiscales n'a pas été affectée par cette perte, alors même que la Tunisie a entamé en 2001 la seconde phase de la période de transition de 12 ans, pendant laquelle l'effort de compensation est plus important.»
****- «Les politiques d'accompagnement engagées par la Tunisie et le Maroc ont porté sur la préparation du tissu industriel à l'ouverture. Les autorités ont pris des mesures d'accompagnement sur le terrain sectoriel:
- en Tunisie, avec la mise en place, dès 1997, de la politique de ''mise à niveau de l'économie'', inspirée et soutenue par d'anciens dirigeants portugais qui ont eu à mener ce même processus lors de leur intégration à l'Europe en 1986 et avec l'appui de l'Onudi. Cette politique visant à réduire les risques de l'ouverture comporte des programmes de soutien à l'expertise puis à la modernisation des entreprises. Son démarrage a été lent, mais des effets sont maintenant constatés: participation croissante des entreprises aux dispositifs mis en place, hausse des investissements, efforts de rationalisation de la gestion, amélioration de la structure financière des entreprises, etc.;
- au Maroc, l'engagement dans le Partenariat a procédé surtout d'une volonté politique. Il a été mené malgré l'opposition de la majorité du secteur industriel, alors qu'en Tunisie, les entreprises du secteur exportateur ont soutenu l'ouverture avec l'Europe. Le programme d'accompagnement des entreprises pour les préparer au choc de la concurrence européenne a démarré avec beaucoup de réticences, comme en atteste la très faible consommation des fonds mis à disposition des entreprises.»
*****- «Les premiers effets constatés en Tunisie et au Maroc:
«- En termes d'investissement, on ne constate pas de redressement significatif, sauf en Tunisie dans les toutes premières années qui ont suivi l'engagement dans l'accord d'association et sous l'effet des IDE. Le taux d'investissement a par la suite fléchi dans ce pays, en raison notamment d'une anticipation de la suppression des quotas dans le textile-habillement avec la fin des Accords textile-vêtements (ATV) au 1er janvier 2005.
«- En matière de réallocation des facteurs, les mouvements sont lents, et l'observation n'est encore possible qu'en Tunisie (...). On y constate un début de recomposition structurelle de l'appareil productif marqué notamment par le recul du textile habillement (qui s'accélère à partir de janvier 2005 sous l'effet de l'accroissement de la concurrence des produits chinois sur les marchés domestique et européen, lié au démantèlement des ATV). On y décèle également le développement de nouvelles branches industrielles au sein de l'agro-alimentaire (avec un mouvement vers la qualité), de l'industrie électrique et électronique, ainsi qu'un début de développement de nouveaux services (notamment les centres d'appel), une diversification du tourisme (culturel, de luxe, pour le troisième âge), l'apparition de services médicaux à destination des étrangers, etc.
«- En matière sociale, seule la Tunisie a commencé à lever les protections sur les biens produits localement. A ce stade, les autorités n'ont pas diffusé d'information sur la situation des entreprises désormais affectées par la concurrence européenne.
«- Au total, la diversification du tissu productif en Tunisie pourrait tenir plus à la nouvelle donne internationale sur le marché du textile (''l'après-textile'' auquel les autorités et le patronat ont commencé à se préparer), qu'aux effets, plus diffus, de l'ouverture vis-à-vis de l'UE. A tout le moins, les conséquences des deux mouvements seront difficiles à isoler.
«Mais, à l'inverse des premiers dragons du Sud-Est asiatique (Corée, Taiwan, Hongkong et Singapour) qui ont redéployé leur main-d'œuvre du textile vers l'électronique quand la concurrence d'autres pays d'Asie s'est manifestée (Malaisie, Indonésie, Thaïlande, puis Vietnam et Chine), ni la Tunisie ni le Maroc (ni les autres PAM) ne disposent d'autres secteurs industriels assez dynamiques pour absorber les emplois excédentaires du textile.
****** «- Au total, le Partenariat euro-méditerranéen semble avoir un début d'impact en matière de dynamisation des réformes structurelles de ''seconde génération'' en Tunisie et dans une moindre mesure au Maroc, mais les premiers effets sur l'offre ne sont à ce jour que faiblement perceptibles en Tunisie.
«L'ouverture commerciale ne constitue pas, en effet, une stratégie de développement en soi. Elle doit être accompagnée d'un ensemble cohérent de réformes internes, qui dépendra, in fine, de la capacité des systèmes politiques de ces pays à conduire ces mutations, c'est-à-dire de la capacité à trouver les nouveaux équilibres politiques et sociaux pour constituer une base de soutien aux réformes et à la modernisation des sociétés.
«Outre le terrain fiscal, le chantier en cours porte, pour ces pays, sur l'accélération des réformes du système financier (pour augmenter l'épargne domestique et faciliter le financement des entreprises, notamment celui des réallocations factorielles entraînées par l'augmentation de la concurrence), la poursuite des programmes de privatisations des entreprises publiques, y compris la mise en place de partenariats publics/privés pour les infrastructures, les réformes sur le marché du travail (pour diminuer les écarts entre marché formel très protégé et marché informel sans protection), l'extension et les réformes des régimes de protection sociale, la refonte des systèmes éducatifs, l'amélioration des systèmes de santé, etc.
«Au-delà de l'affichage d'un agenda chargé, la question posée est celle de la cohérence de ces réformes (sont-elles adaptées à l'environnement institutionnel existant ? s'inscrivent-elles dans une stratégie d'ensemble ?), et surtout de leur appropriation par les acteurs et par la société. Cette appropriation est nécessaire pour en assurer la mise en application effective et des effets espérés sur la croissance.
«Globalement, on constate un écart important entre les annonces de réformes et leur mise en application. L'appréciation d'ensemble est encore difficile à établir, mais les résistances à l'œuvre sont perceptibles dans l'application des dispositifs: ainsi la nouvelle loi sur les sociétés au Maroc peine à pénétrer le tissus des entreprises car elle requiert des conditions qui ne sont pas réunies pour les PME (expertise comptable). Il en va de même pour la récente loi sur le marché du travail, finalement adoptée après 20 ans de discussions. En Tunisie, la politique d'ajustement macro-économique, l'ouverture et l'ancrage à l'Europe ont été appropriés par les élites, mais les réformes du système bancaire, poussées par la Banque mondiale, se heurtent à la défense d'intérêts très puissants.»
(Extraits d'une étude de Jacques Ould Aoudia, «Croissance et réformes dans les pays arabes méditerranéens», publié par l'AFD, octobre 2006.)


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