Lundi soir, sur France 3, Julien Lepers, animateur de -Questions pour un champion- prononçait quarante trois fois le mot: -Tunisie-. Emouvante résonance. Grisante fierté pour ceux, pas très nombreux, rivés à leur téléviseur, le cœur battant, la respiration haletante, et qui vibraient à la prestation culturelle d'un enfant du pays, Amor Mzali. Pour autant, ce "bouillon de culture" (pour paraphraser Bernard Pivot) avait ce zeste d'exotisme folklorique bien de chez nous, avec habits traditionnels et le tintamarre ponctuant les bonnes réponses de notre représentant. Face à la belle italienne Patrizia, chevaleresque, Amor Mzali n'aura loupé qu'Albert Camus, épinglant son adversaire sur des thèmes autrement compliqués, sinon un peu trop français comme celui qui concerne le règne tumultueux d'Henri IV. Devant un parterre admiratif, et devant cet homme immense d'humanisme et de culture qu'est le Président Abdou Diouf, Amor Mzali aura rapporté à la Tunisie bien plus qu'une victoire de l'Equipe nationale – pour laquelle nous aurions mobilisé une forte logistique affrété un avion spécial et mis en branle un arsenal médiatique. Il prouve que, malgré les avatars, somme toute relatifs, de notre système scolastique et universitaire, l'intelligentsia tunisienne est de haut niveau, qu'elle reste performante et que sa dimension culturelle plurielle reflète ce que la Tunisie a toujours été: un creuset civilisationnel; la plaque tournante méditerranéenne du brassage des cultures. Malgré l'euphorie du succès, Amor Mzali dédiait cette victoire à ses parents et à son pays, la Tunisie. Message chargé de symboles, comme pour dire qu'il est dans la parfaite harmonie temporelle et spatiale de l'"Envers et l'Endroit" (encore Camus décidément); comme pour dire aussi qu'il ne faut pas chercher la culture "ailleurs que partout", et qu'il ne faut pas se laisser déraciner. Sans doute ce succès sera-t-il quelque part récupéré. C'est classique. Mais au moins, qu'il serve de "prétexte" à un regain culturel dans notre pays, en cette époque où la spécialisation des filières de l'enseignement fabrique des "perroquets" et des robots, où la pensée culturelle devient suspecte et où les prédicateurs barbus disputent l'audimat au sexisme dévergondé. Notre pays a investi depuis l'aube de l'indépendance dans le savoir et la culture. Nous sommes l'un des pays émergents les plus scolarisés. Les Tunisiens parlent couramment les langues étrangères. Mais attention: avec Amor Mzali, la Tunisie a remporté un concours culturel réservé aux pays dans l'aire de la francophonie. Ce n'est pas une compétition de français. Que les apôtres de l'arabisation pure et dure n'y voient pas une traîtrise.