De toutes les administrations sises des deux côtés du boulevard de Bab Benat de Tunis, le Palais de justice est indiscutablement celui qui fait le plus vivre les commerces d'en face. Une dizaine de cafés et de buvettes, trois ou quatre gargotes, plusieurs services de photocopie, quatre ou cinq taxiphones, et bien évidemment des centaines d'études d'avocats et de notaires. Ce sont pour la plupart de petits " trous " dans les murs, d'une superficie dérisoire qui n'autorise parfois que la station debout aux milliers de clients qui passent par le coin. Dans les locaux à étages, la cage d'escalier est plutôt sombre et si exigüe qu'elle rappelle certains manoirs des films d'horreur. Quant à espérer un rayon de soleil à l'intérieur des bureaux et des boutiques...Pour ce qui est de la circulation devant le tribunal, elle n'est jamais fluide entre 9 heures et 14 heures, ni pour les automobilistes ni pour les piétons ! C'est plutôt le bouchon six jours sur sept !
L'aubaine irremplaçable Mais les affaires de tous ces locaux roulent à merveille. Les quelques heures de la matinée sont souvent suffisantes pour vider les cafés et les petits restaurants de leurs provisions. A 15 heures, les photocopies du coin auront épuisé leur réserve d'encre, les téléphones des centres de " publitel " auront fait le plein de pièces de 100 millimes, les petits marchands du trottoir auront vendu tous leurs journaux, cigarettes, briquets, chewing-gum, mouchoirs en papier ; les avocats, traducteurs, écrivains publics, experts judiciaires, huissiers de justice, notaires auront quant à eux fini de rendre leurs services à tous les clients du jour et commencé déjà à préparer les dossiers du lendemain. Le Palais de justice est pour tous ces métiers une aubaine irremplaçable. Ce serait le désastre pour tous si, un jour, le tribunal déménageait ! D'ailleurs tout récemment, une partie importante des services du palais de justice fut transférée au Tribunal de Tunis II, du côté de Sidi Hassine. Sans nul doute que cela est de nature à affecter, ne serait-ce que partiellement, le rendement des locaux d'en face dont les propriétaires devraient, jour et nuit et chaque vendredi à la mosquée, prier Dieu et les autorités pour que le précieux bâtiment reste là où il est actuellement. On peut même proposer qu'une partie des impôts que ces derniers payent profite exclusivement aux fonctionnaires du ministère de la Justice et plus particulièrement à ceux du tribunal. Parce que pour avoir une idée de ce que serait le boulevard sans lui, il faut passer par là un dimanche ou un samedi après-midi ! Même les chats et les chiens errants du quartier préfèrent passer leur week-end ailleurs pendant ces périodes de fermeture du palais !
Le sens des " affaires " ! En fait, les tribunaux de toutes les villes de Tunisie rendent des services inestimables aux commerçants du voisinage. Et c'est une manne du ciel également pour les habitants qui leur louent les locaux où ils travaillent : ces propriétaires vont jusqu'à déménager de chez eux, jusqu'à devenir eux-mêmes locataires, pour proposer leurs maisons à la location. Mais auparavant, ils auront pris la précaution mercantile de faire éclater la construction en plusieurs petits studios afin de louer un maximum de locaux ! Les loyers proposés augmenteront toujours en fonction de la proximité du bureau par rapport au tribunal. Un mètre de plus ou de moins et ce sont des dizaines de dinars qu'on ajoute ou qu'on retranche ! Qui aujourd'hui habite encore en face du palais de justice de Bab Benat ? Allez voir à Sousse, à Sfax, à Jendouba, au Kef, à Médenine et où vous voulez pour vérifier que les logements des environs des principaux tribunaux ont été dans leur immense majorité entièrement ou en partie désertés par leurs habitants au profit de ceux qui font des affaires grâce aux " affaires " (judiciaires, cela s'entend). Tant mieux donc pour les " commerçants " de la justice, parce que l'adage dit toujours que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Pourvu que ça dure!