En cette fin d'année scolaire qui sent déjà l'odeur de la chaude poussière de l'été et de l'encre sur les copies moites des examens, la question est on ne peut plus d'actualité. Reprenant le titre d'un livre paru récemment et dans lequel une ancienne enseignante de français raconte son expérience professionnelle, la question a meublé le contenu d'une rencontre-débat qui s'est déroulée au Centre Régional de l'Enseignement et de la Formation Continue (CREFOC) de l'Ariana. Lors de cette rencontre l'auteure du livre, Mme Naïla Ben Harbi a eu l'occasion de présenter et de signer son livre ainsi que de répondre aux interrogations de nombre de cadres de l'enseignement, professeurs, inspecteurs, directeurs d'établissements et conseillers qui partagent les soucis relatifs aux particularités et aux difficultés de la profession enseignante et qui ont été interpellés par le récit de ce parcours professionnel.
Un livre, une expérience... Naïla Ben Harbi retrace son expérience de professeure de français depuis ses premiers pas chancelants sur l'estrade d'une salle de classe jusqu'au jour de son départ à la retraite. C'est d'ailleurs ce départ vécu dans la douleur qui lui a inspiré ce récit. L'enseignante en profite pour donner quelques conseils, une douzaine de commandements, aux enseignants encore en exercice ou nouveaux dans le métier. Le livre de Mme Ben Harbi se proposerait-il comme une bible de l'enseignant ? Cette question mérite d'être posée car, bien que s'adressant à tous les enseignants, c'est un récit qui demeure subjectif, puisqu'il relate une expérience professionnelle, relationnelle et humaine particulière, vécue dans des lieux, des époques, des milieux et des conditions probablement " élitistes " (le Collège Sadiki et l'un des grands lycées de Bizerte) et entièrement faite de satisfaction et de bonheur. Ce bonheur, pourrait-on le penser, est " trop " pur et " trop " limpide pour que l'expérience professionnelle de l'auteure soit considérée comme un reflet possible de la réalité de la profession. Beaucoup l'ont dit d'ailleurs.
Un ciel pas toujours bleu... Car, force est de constater que le métier d'enseignant connait aujourd'hui, non seulement en Tunisie, mais presque partout dans le monde une véritable crise qui fait partie elle-même d'un carrousel d'autres crises encore plus complexes, multiples et interdépendantes : notamment économique, sociale et éthique. Objet de dévalorisation, de discrédit et de doute, l'enseignant surtout depuis les deux dernières décennies est loin de vivre en paix dans son identité professionnelle. Les conditions de travail sont également loin d'être évidentes : rapports difficiles avec les élèves, niveau scolaire de plus en plus en baisse, notamment en langues, désintérêt pour les études en général, influence des médias, manque de confiance dans les diplômes, baisse du pouvoir d'achat des enseignants, roulements qui durent de plus en plus longtemps se transformant souvent en " expatriements forcés " à durée indéterminée... autant de facteurs qui ont fortement influencé la perception que les jeunes, les enseignants eux-mêmes et la société en général ont du statut de la profession et de celui qui l'exerce. Cette perception dévalorisante diffère selon les disciplines. Semblent y échapper magistralement les professeurs de mathématiques et de sciences, tandis qu'elle touche surtout les enseignants des langues, d'histoire et autres humanités...
A qui la faute ? Ou le serpent qui se mord la queue... Certains enseignants accusent les programmes d'enseignement qui ne sont pas adaptés aux besoins et aux niveaux requis, d'autres le statut du français dans l'enseignement. Il devrait selon eux être enseigné en tant que langue étrangère et non pas seconde avec des méthodes plus appropriées. D'autres cadres du domaine, notamment des inspecteurs, déplorent le niveau insuffisant et la " frivolité " croissante d'un corps de plus en plus jeune qui prendrait à la légère sa mission éducative en se contenterait de faire son cours, sans plus de débats, qui cèderait facilement à la tentation " mercantile " des cours particuliers et qui ne manifesterait plus le même engagement que les enseignants d'antan. C'est d'ailleurs ce que l'on pourrait appeler une crise des valeurs qui revient en boucle dans tous les propos. L'enseignement et l'enseignant ne sont plus porteurs de rêves, ne suscitent plus d'enthousiasme, pas plus qu'ils n'en éprouvent, d'ailleurs... Tout ce contexte pourrait nous faire penser que la question d'une " école finie " ne se limite pas au cadre restreint d'un simple départ à la retraite. En tant que mode de socialisation, elle semble perdre de sa crédibilité à plus d'un niveau. Et il serait urgent de s'interroger sur les mesures à prendre pour remédier à cette situation critique.
Promouvoir l'enseignement des langues Tel semble l'objectif principal des dernières actions éducatives, initiées sous le patronage du ministre de l'Education et de la Formation et encadrées pédagogiquement pas les inspecteurs de l'enseignement des langues dans les collèges et dans les lycées. Le Centre Régional de l'Enseignement et de la Formation Continue a été le théâtre les 15 et 16 mai 2009 des Journées Régionales des Langues. Au cours de ces journées, des élèves des différents établissements de la région et leurs professeurs ont exposé leurs projets. Ces projets qui ont été réalisés au cours de l'année se composent d'exposés, de maquettes, de récitations de poèmes et de spectacles divers (chansons, sketchs et pièces de théâtre)... Ils on été présentés dans différentes langues : l'arabe, l'anglais, le français, l'italien, l'allemand et l'espagnol. Notons à ce propos que l'expérience du projet n'est pas nouvelle en soi, puisqu'elle faisait partie de l'apprentissage de l'anglais depuis déjà trois années. La nouveauté c'est qu'elle a été étendue aux autres langues. Beaucoup des spectacles présentés dépassaient, et de loin, le stade de l'amateurisme. La réussite de cette manifestation témoigne des avantages que pourrait avoir un enseignement interactif des langues ainsi que des apports d'une implication horizontale motivée et motivante de la part des élèves et de leurs enseignants dans l'acte d'apprentissage. Il serait souhaitable que de telles initiatives soient généralisées et que les moyens matériels et pédagogiques nécessaires soient mis à la disposition du cadre enseignant pour garantir la réussite de l'expérience. L'enjeu est de taille : les langues sont les clés des humanités et de l'humanité.