Aller à Hammam Mellèg, c'est aller en pèlerinage à travers l'histoire de la Tunisie. Où se trouve Hammam Mellèg ? A une dizaine de kilomètres au Sud-Ouest d'El Kef, lové sur la rive droite de l'Oued Mellèg. Dès la première phrase, l'Histoire est présente : El Kef, nommé ainsi à partir du XVIème siècle, est l'héritier de la Chakbanariya arabe qui ne cachait même pas Sicca Veneria romaine, consacrée à Venus, succédant à Cirta, capitale de la Numidie du roi Massyle Massinissa. L'Oued Mellèg est, pour nous, l'appellation arabe de l'antique Muluccha, frontière du royaume de Jugurtha. Si les « bédouins » qui parlent en « g » ont transformé la dernière consonne, le radical consonantique antique « MLK » a été conservé parce qu'il a un sens en arabe, comme en berbère certainement : « Mellek », le roi, peut désigner effectivement le fleuve-roi dont l'immense bassin versant commence dans la région de Tebessa. De plus, pour nous, Hammam Mellèg appartient à l'histoire de ce pays, d'une part parce que les thermes ont manifestement été construits sous la domination romaine, d'autre part parce qu'ils révèlent ce qui pourrait être appelé un culte maghrébin, venu de la nuit des temps, pour l'hydrothérapie et le thermalisme. La source de Hammam Mellèg débite deux litres par seconde d'une eau chlorurée sodique à 40° environ qui soigne, ou au moins soulage, les rhumatismes ainsi que les séquelles des traumatismes ostéo-articulaires, de l'arthrite et des problèmes gynécologiques. Quelques uns s'en servent pour traiter certaines dermatoses. La saison des bains, essentiellement populaires, bat son plein, depuis fort longtemps, après les moissons, dans un ouest tunisien encore principalement agricole. Les « curistes » affluent et s'installent, souvent de façon sommaire, dans une sorte de camping « bon enfant ». L'Histoire antique est partout présente. C'est certainement elle qui a engendré la légende « d'Oum Chlalig » : « La mère des chiffons », des haillons qui est « vénérée » à un olivier sauvage croissant au bord de la piste d'accès. Les dames viennent lui « demander » l'amour de leur époux, un enfant ou une guérison et noue un chiffon à une branche. Cette pratique semble émerger du fond religieux païen berbère. Comme cet usage magique pratiqué par les femmes mariées qui n'ont pas d'enfant au pied de l'exutoire de l'eau de la source à l'endroit où elle se jette dans l'oued. Les dames s'agenouillent, offrent de la « b'sissa » à « Oum Dareb » et lui demandent « des guerriers », c'est-à-dire des enfants ! Si une tortue d'eau arrive seule, le souhait de la dame ne sera pas exhaussé, si une tortue adulte vient accompagnée de petits, la dame aura autant d'enfants que de jeunes tortues ! Cette contrée est pétrie de magie ! Il paraît que naguère le Hammam s'appelait Hammam Salhine : le Hammam des Saints. L'Histoire de la planète se manifeste aussi aux alentours. C'est le long de la piste d'accès que des géologues ont découvert la présence de la couche sédimentaire contenant une forte teneur d'iridium qui aurait justifié la théorie expliquant la brusque disparition des dinosaures à la suite du heurt de la Terre par un énorme astéroïde contenant de l'iridium pratiquement absent sur notre planète. Le titanesque impact aurait engendré un changement complet du climat terrestre entraînant la mort de la plupart des dinosaures que l'explosion aurait épargné, il y a 65 millions d'années environ ! On croise l'histoire tunisienne en passant auprès des marabouts immaculés et ardemment vénérés : Sidi Abdallah Sghaier et Sidi Amor Ben Zghid présentés comme étant des ancêtres des membres de la tribu des Charen, d'origine berbère. On dit qu'Hussein Ben Ali fondateur de la dynastie husseinite aurait pris une Charen pour femme afin d'asseoir son autorité sur la région, avant de partir à la conquête du pouvoir. Et l'on rencontre l'histoire contemporaine, dans les ravines étroites, boisées et orientées au Nord-Est, à « contrepente » pour l'artillerie française, aux alentours de la « ferme Muzar ». C'était un camp très important des combattants algériens durant la guerre d'indépendance. C'est sa présence qui a sans doute entraîné, pour une bonne part, le bombardement de la ville de Sakiet Sidi Youssef toute proche. L'indépendance de l'Algérie y a été fêtée en 1962 en présence, dit-on, de Messieurs Ben Bella et Boumedienne. Les ravines recèlent encore un grand nombre de galeries dans lesquelles vivaient les combattants algériens. Les thermes « romains » ont conservé leur antique structure initiale. Ils ont été restaurés en grande partie dans les années 80 et sont fréquentés depuis l'Antiquité. Le plan d'ensemble de ce monument, presque carré d'une trentaine de mètres de côté, semble comprendre deux parties : Nord et Sud desservies par deux entrées différentes. Les raisons de cette division apparente ne sont pas connues mais l'existence de cinq grandes piscines atteste l'importance du débit de la source et le grand nombre d'usagers à l'époque de la construction des thermes. Toutes les salles ouvrent soit vers l'Est soit vers le Sud pour éviter l'exposition aux vents froids de secteur Nord. Elles sont équipées de canalisations soit en plomb soit en terre cuite. Le surplus d'eau est évacué par des avaloirs communiquant avec une canalisation souterraine, traversant la « cour » ou le « jardin » axial, qui évacue l'eau usée dans l'oued en contrebas. Les murs intérieurs devaient être revêtus d'un enduit protecteur et décoratif. Les pierres employées, extraites de carrières proches, sont dures, légères et d'une superbe couleur ocre jaune. Du côté Sud-Est, une entrée a été aménagée sur une petite terrasse donnant sur ce qui pourrait avoir été un tout petit « temple », dédié à Esculape ou à la divinité romaine de la Santé. Ce sanctuaire surplombe la source. Sa position, à la hauteur des toits des salles, laisse penser que cette partie du Hammam et l'entrée qui y avait été aménagée étaient particulièrement importantes. La partie qui borde l'oued comprend trois grandes piscines dont l'une a une curieuse forme hexagonale. Deux ou plutôt trois chambres, dont l'une a conservé les superbes arcs doubleaux de sa voûte, en pierre ocre, devaient servir de vestiaires. De l'autre côté de la cour, du côté de la montagne donc, on accède par une « entrée orientale », peut-être postérieure : aménagée pour faciliter la circulation des « curistes », à des salles qui ont été restaurées et à la « piscine des Lions ». Cette partie est fonctionnelle et la « Salle des Lions », est appelée ainsi parce que le mur du fond, constitué en partie par des rochers d'où sort la source, est orné de deux fontaines historiées par des têtes de lions à la crinière abondante d'où pendent des tresses. Elles sont reliées par une guirlande. C'est certainement la partie qui a été conservée et fréquentée depuis l'origine du monument.
PERSPECTIVES D'AVENIR Ce superbe monument construit dans un cadre enchanteur : au pied du Jebel Ouargha revêtu d'une puissante forêt de pin d'Alep aux frondaisons boursouflées, vert sombre à l'ombre, jade clair sous les rayons du soleil, au bord de l'Oued Mellèg aux méandres tantôt bleus quand l'eau calme reflète l'azur du ciel tantôt argent quand le courant se précipite sur un fond de graviers, au débouché d'un val qui abrite encore des vestiges d'une petite ville d'eau antique noyés dans les lauriers roses et les palmiers nains, ce monument devrait disparaître, dans le lac de retenue d'un barrage qui devrait remplacer celui de Nebeur construit en aval il y a 50 ans. Le nouveau barrage, qui ne durera guère plus longtemps, doit-il détruire un témoin de l'histoire nationale qui est utile depuis 2000 ans ? Est-ce là le développement durable ? Il est aussi question d'envelopper ces thermes « populaires » dans un vaste complexe thermal moderne destiné, principalement, à des touristes (étrangers ?). Puisque des sondages ont permis de retrouver à quelque distance la nappe d'eau qui alimente la source de Hammam Mellèg, ne pourrait-on pas imaginer de construire ce grand complexe à proximité de ce sondage et de laisser aux thermes romains leur caractère original ? En attendant l'aménagement futur, ne pourrait-on pas, immédiatement, déplacer les panneaux solaires et les fils électriques, certes nécessaires, mais qui déparent le bâtiment ? Les fils pourraient être souterrains et les panneaux solaires fixés sur le toit de la maison du gardien. Il serait souhaitable que les « curistes » n'installent pas leur « tente » dans la « cour » du Hammam, même en période d'affluence. Ne pourrait-on pas éviter que les « eaux usées » issues des latrines construites entre les thermes et l'Oued ne s'y déversent sans aucun traitement préalable ? Les fosses septiques existent depuis longtemps. Pourrait-on envisager qu'une piste, plus « commode », puisse être aménagée à partir de la route de Sakiet, au voisinage de l'entrée du Parc du Jebel Saddine, et qu'elle suive aisément la rive droite de l'Oued Mellèg ? Grâce aux vertus thérapeutiques de la source, aux spécificités de la faune et de la flore du Parc du Jebel Saddine, aux charmes des collines boisées voisines et à la beauté des champs environnants parsemés de fleurs, l'environnement de Hammam Mellèg est l'exemple même d'un patrimoine à protéger et à conserver pour les générations futures.