Vendredi dernier c'était, nous disait une chaîne de télévision belge, la Journée Mondiale de la Gentillesse ! Vérification faite sur les sites d'Internet, l'annonce fut confirmée. Il ne s'agissait donc pas d'une quelconque plaisanterie belge. La Journée Internationale de la Gentillesse un vendredi 13, quelle chance ! Et il paraît que c'est une commémoration vieille de 9 ans déjà puisque en 2000, une association qui s'est baptisée World Kindness Movement, organisme international laïc, a vu le jour à Singapour. Des études scientifiques sérieuses soutiennent à ce propos qu'être gentil c'est bon pour le cœur et pour la santé d'une manière générale. On affirme ainsi que le bénévolat prévient la dépression et à en croire des psychologues suédois, les personnes gentilles vivraient plus longtemps et possèderaient de meilleures défenses immunitaires que les brutes. C'est beau tout cela, mais qui convaincre avec ces arguments un tantinet démagogiques dans un monde où les « gentils » sont pris pour des imbéciles ? Faut-il tenir pareil langage de contes de fées en éduquant nos enfants ? A moins peut-être de leur dire que c'est bien heureux déjà que les hommes pensent à être bons un jour sur les 365 (ou 366) que compte l'année !
Prestataires de service indélicats C'est plutôt la méfiance vis-à-vis de l'Autre qui prévaut aujourd'hui dans les rapports humains, et chacun évite justement d'être trop gentil pour ne pas se faire avoir en toute circonstance. Même les prestataires de services dont c'est le premier capital d'être gentil ou de jouer le gentil avec leurs clients, se montrent de plus en plus grossiers et grincheux dès que vous sollicitez cette qualité de leur part. Le serveur d'un café du centre-ville nous accueillit l'autre jour avec cette formule à tout le moins choquante : « que voulez-vous ? » ! Et quand il nous servit, ce garçon ne prit même pas la peine de nettoyer la table où nous nous sommes installés. En revanche, il nous regarda de travers lorsque nous payâmes la consommation sans lui laisser son pourboire ! De nombreux chauffeurs de taxis manquent de vous jeter par leurs vitres lorsque vous leur demandez de vous prendre dans une direction qui n'est pas celle qu'ils préfèrent. Les agents de banque sourient rarement si vous formez le vœu de recevoir votre salaire en billets de dix dinars et non en coupures de vingt, de trente ou de cinquante. Dans les guichets des caisses sociales, devant ceux de la poste, de la SONEDE, ou de la STEG, vous vous sentez plutôt indésirables. Pour un peu, certains services hospitaliers vous traiteraient comme le dernier des va-nu-pieds ! Vous avez beau leur préférer les soins des cliniques privées, vous n'en serez pas mieux accueilli. Dans les unités touristiques, on distille la gentillesse au compte-goutte, à la tête du client et en fonction des largesses que vous consentez.
La gentillesse paie ! Pourtant, la gentillesse peut être payante dans plusieurs métiers : un médecin courtois, patient et bienveillant avec ses patients a toujours des chances d'accroître son crédit dans le quartier ou la ville où il exerce. Nous avons connu un pédiatre qui prenait tout son temps avec les enfants qu'on lui ramenait, il leur offrait invariablement des friandises, les auscultait convenablement, suivait scrupuleusement leur croissance et s'enquérait de leur santé même quand ils se portaient comme des anges. Dans le même patelin, son confrère-dont la compétence ne faisait aucun doute- se montrait plutôt expéditif dans ses consultations. Instinctivement, les habitants boudèrent presque en même temps son cabinet. Chez les commerçants de détail, qui accueillent quotidiennement les clients du même quartier, on rivalise de bonté, de bienveillance et de compréhension en servant ces derniers. Ils savent en effet qu'un mot doux, une petite ristourne, une indulgence consentie de temps à autre, doublent leur clientèle. Pourvu, bien évidemment, que cela ne se fasse pas toujours à leurs dépens ! Le bon grain de l'ivraie Car la gentillesse, comme toute chose dans ce monde, a des limites. Il vaut mieux la dispenser avec modération. Autrement, l'épicier qui accorde les crédits au tout venant s'en mordrait les doigts le jour où ses débiteurs disparaissent de la scène. Le professeur qui pardonne toutes les turbulences de ses élèves risquerait son poste ou sa titularisation. L'époux (ou l'épouse) trop tolérant(e)se découvrirait des cornes un de ses quatre. Le parent trop permissif en paierait le prix le jour où son enfant outrepasse les limites autorisées. La leçon à tirer de cette drôle de célébration annuelle est que gentillesse sans prudence n'est que ruine de l'homme. Soyons donc gentils mais avec ceux qui le méritent vraiment. Encore faut-il les distinguer au milieu de la cohorte de canailles qui nous entoure!